À l’heure des mains jointes (1906)/Le Pilori

Pour les autres éditions de ce texte, voir Le Pilori.

À l’Heure des Mains jointesAlphonse Lemerre (p. 141-142).


LE PILORI


Pendant longtemps, je fus clouée au pilori,
Et des femmes, voyant mes souffrances, ont ri.

Puis, des hommes ont pris dans leurs mains de la boue
Qui vint éclabousser mes tempes et ma joue.

Des pleurs montaient en moi, houleux comme des flots,
Mais mon orgueil m’a fait refouler mes sanglots.

Nulle n’a dit : « Elle est peut-être moins infâme
Qu’on ne le croit, elle est peut-être une pauvre âme. »


La place était publique et tous étaient venus,
Et les femmes avaient des rires ingénus.

Ils se jetaient des fruits avec des chansons folles,
Et le vent m’apportait le bruit de leurs paroles.

J’ai senti la colère ardente m’envahir.
Silencieusement, j’appris à les haïr.

Leurs insultes cinglaient, comme des fouets d’ortie…
Lorsqu’ils m’ont détachée enfin, je suis partie.

Je suis partie au gré du vent, et depuis lors
Mon visage est pareil à la face des morts.