À l’heure des mains jointes (1906)/Éminé

À l’Heure des Mains jointesAlphonse Lemerre (p. 79-81).


ÉMINÉ


Le couchant répandra la neige des opales,
Et l’air sera chargé d’odeurs orientales.

Les caïques furtifs jetteront leur éclair
De poissons argentins qui traversent la mer.

Ce sera le hasard qu’on aime et qu’on redoute…
À pas lents, mon destin marchera sur la route.

Je le reconnaîtrai parmi les inconnus
Malgré les ciels changés et les temps survenus…


Mon cœur palpitera, comme vibre une flamme…
Et mon destin aura la forme d’une femme,

Et mon destin aura de profonds cheveux bleus…
Il sera le fantasque et le miraculeux.

Involontairement, comme lorsque l’on pleure,
Je me répéterai : « Toute femme a son heure :

« Aucune ne sera pareille à celle-ci :
Nul être n’attendra ce que j’attends ici. »

Celle qui brillera dans l’ombre solitaire
M’emmènera vers le domaine du mystère.

Près d’elle, j’entrerai, pâle autant qu’Aladin,
Dans un prestigieux et terrible jardin.

Mon cher destin, avec des lenteurs attendries,
Détachera pour moi des fruits de pierreries.

Je passerai, parmi le féerique décor,
Impassible devant des arbres aux troncs d’or.


Et je mépriserai le soleil et la lune
Et les astres en fleur, pour cette femme brune.

Ses yeux seront l’abîme où sombre l’univers
Et ses cheveux seront la nuit où je me perds.

À ses pieds nus, pleurant d’extases infinies,
Je laisserai tomber la lampe des génies…