Pruneau et Kirouac ; V. Retaux et fils (p. 116-118).


XVIII


Gisèle Méliand aimait Charles Garnier de l’un de ces amours profonds, ardents, exclusifs qu’il est donné à si peu de connaître.

Lui de moins dans sa vie, il n’y avait plus rien. La terre n’était plus qu’une effroyable solitude.

Elle le savait parfaitement ; mais le lendemain, quand le soleil vint éclairer sa chambre, sa résolution était prise.

Ce jour-là, surmontant sa faiblesse, elle se leva, s’habilla soigneusement et fit prier son tuteur de monter à sa chambre.

Le magistrat, qui vint aussitôt, la trouva à demi couchée sur un pliant. Son attitude rigide et tranquille lui fit une pénible impression ; mais, sans en rien laisser voir, il la baisa au front, et s’asseyant à côté d’elle :

— Vous avez à me parler ? ma chère petite, dit-il.

— Oui, répondit-elle, levant sur lui ses beaux yeux tristes. J’ai une chose à vous demander.

— Qu’est-ce que c’est ? fit-il avec la plus grande douceur, mais en détournant la tête, car l’expression de sa physionomie lui faisait mal.

— Je voudrais retourner à Port-Royal, dit lentement Gisèle.

— Vous voulez retourner à Port-Royal ! s’écria le magistrat se penchant vers elle, avec l’air d’un homme qui croit avoir mal compris.

— Oui, dit-elle fermement. Puisque je suis une cause de division et de souffrance, puisque vous voulez forcer votre fils à m’épouser, je ne resterai pas chez vous plus longtemps, et je vous demande la permission de retourner à Port-Royal. Où voulez-vous que j’aille ?

Les traits du magistrat se contractèrent violemment ; une flamme de colère jaillit de ses yeux, et, se levant brusquement, il marcha vers la fenêtre qu’il faillit faire voler en éclats. Ses tempes battaient avec une force terrible et les sentiments les plus violents, les plus contradictoires se partageaient son cœur.

Le visage caché dans ses oreillers, mademoiselle Méliand attendit en silence.

Elle attendit bien longtemps.

Enfin, revenant vers elle :

— Gisèle, dit-il amèrement, nous serions si heureux ! J’aurais tant aimé à vous nommer ma fille !

— Je le serai, dit-elle, se jetant dans ses bras.

Pendant quelques minutes, elle pleura sans contrainte, la tête appuyée sur son épaule. Puis, relevant son visage, auquel la douleur donnait une expression sublime :

— Vous le laisserez libre de faire ce qu’il veut ? murmura-t-elle. Vous me le promettez ?

— Oui, dit le magistrat, sanglotant sans s’en apercevoir. Oui, je vous le promets… Vous ne m’aurez pas donné, en vain, un si grand exemple de générosité. Pauvre enfant ! c’est surtout pour vous que ce sacrifice est terrible… Nous autres, notre vie est bien avancée, mais la vôtre est tout entière devant vous.