Alphonse Lemerre (p. 64-65).

XXVIII

SILENCE


Ils venaient chaque soir, graves, sous les feuillages,
Chercher l’ombre qui sied aux amours douloureux,
Ils ne se disaient rien pendant ces longs voyages,
Laissant à leurs deux cœurs farouches et sauvages
Le soin de se comprendre et de parler pour eux.

Leurs corps étincelants de jeunesse et de grâce
S’accouplaient dans la nuit sous les cieux empourprés,
Tandis que, doucement réveillés dans l’espace,
Les arbres autour d’eux se parlaient à voix basse
Et se montraient du doigt leurs fronts décolorés.


À les voir cheminer par les routes, paisibles,
Doux et les yeux fixés sur leurs pensers de feu,
On eût dit qu’ils suivaient des anges invisibles
Ou quelqu’un de ces beaux rêves intraduisibles
Que la main de la Nuit sème au fond du ciel bleu.

Il ne se disaient rien pendant ces longs voyages,
Laissant l’amour couler de leurs cœurs à grands flots,
Mais parfois s’asseyaient sous les sombres feuillages
Et, rapprochant encor leurs mains et leurs visages,
Pleuraient l’un contre l’autre avec de grands sanglots.

Un soir ils sont venus dormir sous l’ombre verte ;
Et quand, le lendemain, sous le soleil de feu
Ils se sont vus encor dans la forêt déserte,
Pour la première, fois leur bouche s’est ouverte,
Mais c’était pour se dire un éternel adieu.