À genoux/Les Dieux bons

Alphonse Lemerre (p. 226-227).

IX

LES DIEUX BONS


 
Un soir que nous serons agités par les Dieux,
Nous nous regarderons avec de grands clins d’yeux,
Et, poursuivis depuis tant d’heures par les mornes
Remords qui nous auront reculés jusqu’aux bornes
Du mondé, flous serons encore remués
Par le regret des Dieux que nous avons tués.

( Car depuis qu’enfiévrés par cette amour frivole,
Nous nous sommes un soir donné notre parole
Dans un lit où vos bras tièdes me font dormir,
Chaque nuit, nous avons d’un coup et sans fr

Comme d’ingrats enfants qui déchirent leurs pères,
Détrôné dans nos cœurs nos Dieux les plus prospères,
L’Orgueil, l’Honnêteté, l’Art beau comme le jour.
Et puis nous n’avons plus adoré que l’Amour.)

Encor tout pleins de nos préférences charnelles,
Nous nous regarderons au fond de nos prunelles,
Et tandis que de froids et rampants Repentirs
Nous suceront le sang comme à de vrais martyrs,
Nous pleurerons sur notre ancienne ingratitude.
Bientôt la formidable et dure solitude,
Qui déjà nous étreint de toutes parts, aura
Fait de tout notre monde un vaste Sahara.
Nous gémirons longtemps vers l’obscurité sourde
Des nuits où nous serons pour toujours ; et la lourde
Lumière de la lune envahira nos cœurs.
Cependant que malgré tous nos efforts, vainqueurs,
Les Dieux bons, les grands Dieux généreux et sublimes,
Nous saisiront et nous tireront des abîmes,
Et, nous rendant le bien pour le mal, nous feront
Divins comme eux, avec des astres sur le front.