À genoux/Les Bienfaits de la Mort

Alphonse Lemerre (p. 142-144).
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XXIX

LES BIENFAITS DE LA MORT


 
En hiver, dans les nuits obscures,
Les morts lèvent leurs bras pierreux
Et, sortant de leurs sépultures,
S’assemblent pour causer entre eux.
Sur l’herbe des grands cimetières
Ils s’asseoient en cercle, tout blancs,
Et discourent des nuits entières,
Graves sous leurs linceuls tremblants.


L’un dit : — « J’ai cherché le silence
Et la grande paix autrefois
Près des mers belles d’indolence,
Au fond des déserts et des bois.
Les seuls frissons du vent sonore
Erraient au milieu de la nuit.
Le silence est plus grand encore
Dans ma tombe où rien ne bruit. » —

Un autre dit : — « Moi, sur la terre,
Ce que j’aimais, devenu vieux,
C’était la grande brume austère
Que la nuit jetait sur mes yeux ;
Mais souvent la lumière blonde
Des astres égayait mon deuil.
Oh ! la nuit est bien plus profonde
Sous les planches de mon cercueil ! » —

— « Les monts où j’étais, dit un autre,
Sont couverts de neige ; c’était
Un pays bien froid que le nôtre,
Où l’on gelait et grelottait.
Quand je suis entré dans la couche
Où les morts dorment à l’étroit,
Nul frisson n’a crispé ma bouche.
Pourtant il y fait bien plus froid ! » —


— « Moi, j’ai cherché la solitude,
Dit un autre, dans les forêts ;
J’ai toujours fui la multitude
Au fond des déserts où j’errais.
Sous l’accablement des chimères,
J’allais à l’ombre des tilleuls
Rêver loin des foules amères.
Il n’est que les morts qui soient seuls ! » —

Un autre encore : — « Dans les couches
Des femmes j’ai dormi longtemps,
Le front collé contre leurs bouches,
Bercé par leurs seins éclatants ;
Mais toujours leurs baisers sans nombre,
Leurs rires radieux et beaux
M’éveillaient brusquement dans l’ombre.
On ne dort que dans les tombeaux ! » —