À genoux/Le Trouvère

Alphonse Lemerre (p. 126-127).

XIX

LE TROUVÈRE


 
Donc (puisque nos accents dégénérés n’ont pas
Le pouvoir d’attacher ton beau cœur à mes pas,
Et que pourtant je veux dompter tes yeux sévères)
Je vêtirai la veste orange des trouvères,
J’achèterai pour quinze ou vingt francs un vieux luth,
Et puis j’irai par les chemins, chantant en ut
Mineur, le ton le plus triste, la chanson morne
Des amours dont est tout rempli mon cœur sans borne.
J’irai par les chemins silencieux, pendant
Tout le jour, et, les yeux tournés vers l’occident,

Je chercherai de vieux rhythmes, sur qui mes vieilles
Douleurs se poseront à toute heure, pareilles
À ces tristes oiseaux qui viennent s’endormir
Sur des branches. Alors on m’entendra gémir,
Gémir, gémir, vers le silence des campagnes,
Jusqu’au soir ! Ô la plus douce de mes compagnes,
Mais dont un douloureux et terrible destin
M’a séparé ! J’irai, chantant jusqu’au matin
Sur ces vieux airs plaintifs et pourtant pleins de charmes
La chanson des baisers et la chanson des larmes.