À genoux/Le Relèvement

Alphonse Lemerre (p. 101-102).

IV

LE RELÈVEMENT


 
Quand elle m’eût, après le temps visionnaire,
Emporté dans son cœur comme un aigle en son aire,
Quand, m’ayant ébloui déjà par son essor
Sublime, elle eût fait luire à mes yeux le trésor
De ses regards, de ses baisers, de ses caresses,
Et bien lié mon cœur avec ses longues tresses,
Et longtemps savouré son triomphe sanglant ;
Et lorsqu’ensuite, avec son grand air nonchalant,
Heureuse, satisfaite, indiciblement grave,
Elle m’eût repoussé du pied comme un esclave,

Alors je m’écriai : « Qu’importe ? suis-je las ? »
Est-on jamais lassé du mal d’amour ? Hélas !
Si je ne l’aimais plus, je ne pourrais plus vivre.
Mais je l’aime toujours et cet amour m’enivre.
Et même maintenant qu’elle m’a repoussé
Dans mon ombre, pour peu que je songe au passé,
Je me sens libre et grand comme autrefois encore,
À cause de ce front surhumain que j’adore.
Et même maintenant que je meurs, mon cœur sent
La gloire du passé sur l’ennui du présent.