À genoux/Exumiæ laudes

Alphonse Lemerre (p. 11-14).
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III

EXUMIÆ LAUDES


 
J’ai chanté sa grandeur quand je n’étais encore
Qu’un enfant aux tristes amours.
Le couchant se souvient des rougeurs de l’aurore.
Je la célébrerai toujours.

J’ai chanté sa grandeur quand j’étais son esclave.
Je lui redirai mon aveu
D’un cœur plus magnifique et d’une voix plus grave,
Maintenant que je suis son dieu.

 
Elle est l’urne de vie ardente et délectable
D’où toute divine liqueur
Se développe ainsi qu’un fleuve intarissable
Et se disperse dans le cœur.

Elle rend l’âme aux corps farouches et funèbres ;
Elle a le pouvoir chaleureux
D’apparaître plus blanche au milieu des ténèbres ;
Et, comme un arbre généreux

Qui n’a qu’à secouer ses branches vers le faîte
Pour que ses fruits tombent pressés,
On dirait qu’elle n’a qu’à remuer la tête
Pour en taire choir les pensers.

Et puis, ou faible ou forte, ou clémente ou haineuse,
Qu’elle dicte ou souffre la loi,
Elle est d’une splendeur tellement lumineuse
Qu’on la sent toujours près de soi.

Vous m’avez emporté sur la haute montagne,
Seigneur, parmi les astres d’or ;
Je n’apercevais plus le bois ni la campagne ;
Elle, je la voyais encor.


Vous m’avez fait venir sur les plaines sauvages
Où commence la mer sans fin ;
Je la voyais toujours baignant sur les rivages
Ses pieds nus dans le sable fin.

J’ai beau changer de ciel et changer de patrie,
Son beau corps de marbre, éclatant
Comme un astre et léger comme une rêverie,
Ne me quitte pas un instant.

Je ne me lasse point de chanter sa louange !
Elle est l’ombre qui suit mes pas
Et l’air que je respire et le pain que je mange.
Sans elle je ne vivrais pas.

Elle est tout ce qui charme et tout ce qui s’élève,
Ce que j’aime et ce que je vois ;
Elle est tout, vision, musique, parfum, rêve,
La grande âme et la grande voix.

C’est pourquoi, maintenant, je ne lui parle encore
Qu’à genoux, même ivre d’amour,
Son front semblant toujours levé pour qu’on l’implore.
Et, quand viendra le dernier jour,


On croisera mes mains comme dans la prière,
Pour que, même au fond du tombeau,
Je semble supplier encor cette guerrière
Au front si noble, au cœur si beau !