À genoux/À Marguerite

Alphonse Lemerre (p. 45-46).
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XIX

À MARGUERITE


 
Venez, je redirai chaque parole dite,
Ô grand Ange de flamme et d’ombre, ô Marguerite !
Je redirai comment nous nous sommes connus ;
Comment les ans, d’abord radieux, sont venus,
D’abord étincelants et clairs et pleins de gloire,
Puis tristes et remplis de l’immensité noire.
Je redirai comment il se fait que nos chairs
Ont résisté longtemps aux désirs les plus chers,
Et comment il se fait que nous avons pu vivre,
Pareils à ces lions enchaînés mais qu’enivre

Depuis trente ans le clair souvenir de leurs cieux.
Et vous m’écouterez, Ange silencieux ;
Et dans l’obscur encens où mon âme se couche
Vous vous reconnaîtrez tout entière, farouche
Et grave, comme il sied aux vieux dieux réprouvés
Qui sont d’autant plus grands qu’ils ne sont que rêvés,
Par un bénie et par tous les autres maudite,
Ô grand Ange de flamme et d’ombre, ô Marguerite !