À bout portant/Soyez poète

Éditions du Devoir (p. 9-10).


Soyez Poète

Sauf votre respect, êtes-vous un assassin ?

Je sais que cette question est indiscrète et que les criminels d’aujourd’hui sont des fervents du n’avouez jamais. Néanmoins, je persiste dans ma demande et prenant pour acquis que votre réponse est affirmative, je vous dis : “Si vous êtes assassin, soyez aussi poète !

Je comprends, par la tête que vous faites, combien est grand votre ahurissement. C’est que vous ne connaissez pas l’histoire de Webb.

Permettez-moi de présenter le personnage à l’honorable société.

Webb était tout bonnement un meurtrier de l’Oregon qui avait eu le grand tort de se laisser prendre par la police. Il avait, on ne sait trop pourquoi, tranché d’un coup de poignard ses relations avec un sien compagnon de travail. Celui-ci, blessé dans son amitié et dans le dos, en mourut de chagrin ; il avait le cœur littéralement percé.

Webb, fort peiné lui aussi sans doute, chercha la solitude. La justice lui donna celle de la prison, après qu’un juge l’eût condamné à une autre peine : la capitale.

Webb adressa alors supplique sur supplique au gouverneur de l’État, sans cependant toucher son cœur à celui-là. Le jour de l’exécution arrivait et Webb inquiet sur son sort allait perdre la tête quand une idée lui vint. Il invoqua les Muses, écrivit un long poème et le fit parvenir au gouverneur.

Le dispensateur des grâces de l’État lut, fut ému, puis commua la sentence.

Et pour une fois des vers firent vivre leur auteur…