À Nicolas Le Vavasseur
À NICOLAS LE VAVASSEUR
RIMAILLEUR DU XVIIe SIÈCLE
Cher Bardou, je fus hier te rendre une visite
. . . . . . . . . . . . . Alors que j’entray,
Mon cœur d’un coup mortel se sentit pénétré,
Voyant auprès de toi le cierge et l’eau beniste.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Comme toy je me vis à deux doigts du trépas
Et si dans cet instant je n’ay pas rendu l’âme,
C’est, cher ami Bardou, que tu n’en mourus pas.
(LE VAVASSEUR — Sonnet à Bardou).
Comment, mon très obscur et très cher homonyme,
En un recueil de vers fait par un anonyme
Dont je suis l’heureux possesseur,
Frondant de tes voisins la grasse platitude,
Ai-je vu ce sonnet d’une fière attitude,
Ô Nicolas Le Vavasseur ?
Gueux comme Colletet, tes odes peu savantes
Cherchaient, à son exemple, à charmer les servantes
Et tu nous laisses deviner
Que l‘espoir d’une croûte ou d’un os médullaire
Te fit parfois louer l’oeil demi-séculaire
De la prêtesse du dîner.
Aussi, quand tu voulais faire de la critique,
Tu semais le sel gris mieux que le sel attique.
Quand tu t’en pris à Chapelain,
Croyais-tu du caillou voir jaillir l’étincelle ?
Hélas ! il n’en sortit pour chanter la Pucelle
Qu’un coq-à-l’âne assez vilain.
Oiseau de basse-cour aux chansons incongrues,
Comment, un beau matin, picorant par les rues
Et revenant, on ne sait d’où,
Trouvas-tu par hasard, au seuil d’une cuisine,
Au lieu d’un grain de mil, une perle assez fine
Pour en parer l’ami Bardou ?
Nicolas, ton esprit sans doute était semblable
Au grelot grelottant, qu’au sortir de l’étable
Porte au col le mouton bêlant.
Ton estomac était vide comme ta tête.
Mais par quelque côté tu te sentais poète
Et ton cœur était excellent.
Aussi tu protestas en rimes assez riches
Pour ton ami Bardou contre les hémistiches
De l’hypercritique Boileau.
Mais la postérité n’en tint pas plus de compte
Que ce fat de tailleur qui refusa l’escompte
De dix rimes pour un manteau[1]
Despréaux n’a jamais mal parlé de ta muse.
T’a-t-il donc, indulgent au fredon qui l’amuse,
Mis à part dans le groupe élu ?
Si tu n’as pas senti les coups de sa houssine,
Ce n’est pas qu’il te crût élève de Racine,
C’est qu’il ne t’avait jamais lu.
Étais-tu de Paris, de Rome ou de Falaise ?
D’Apollon, pour avoir rimé quelque fadaise,
Tu te croyais le favori
Et je t’ai vu, bonhomme, à la tête d’un livre,
Au milieu des lauriers inhumé pour revivre
Côte à côte de Scudéry.
C’est au commencement de l’Histoire normande
De l’abbé Du Moulin. Dans ta vanité grande
Tu l’appelles : « Mon cher ami » ;
Au frère en Apollon tu promets la couronne
De l’immortalité, c’est lui qui te la donne
Et te rend célèbre à demi.
Quel autre qu’un « pays » t’eût rendu ce service ?
Je crois qu’à Maneval, assez gros bénéfice,
La broche a tourné devant toi
Et, quand je t’aperçois goguenard sous ton masque,
Je me dis : Ce doit être un bas-Normand fantasque
Comme Jean de Falaise et moi.
N’étant pas comme toi pressé par la famine,
Je n’ai point attardé ma Muse à la cuisine.
Chante-t-elle mieux pour cela ?
J’ai fait de mauvais vers, presque en sortant de naître,
J’en fais et j’en ferai de pires et peut-être
Deux ou trois bons par ci par là.
Je ne prévois point d’aigle ou même d’alouette
Qui puisse sur son aile emporter le poète
Au ciel de l’immortalité
Et le Saumaise à qui j’amasse des tortures
Pourra me présenter aux critiques futures
Honteux comme un ressuscité.
Mais si, génie insctit aux fastes de l’Histoire,
Quelque Le Vavasseur approche de la gloire,
Plus près que ses deux devanciers,
Peut-être, en nous trouvant au milieu des décombres
Du passé, fera-t-il accueil à nos deux ombres
Avec des sourires princiers.
Nicolas, ce jour-là, ma Muse réveillée
Ira, hors de la tombe et comme émerveillée,
Se joindre au cortège du Roi
Et, — les poètes font toujours bonne mesure, —
Le Roi nouveau saura me rendre avec usure
Ce qu’aujourd’hui je fais pour toi.
(1846–1887).
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Toi qui passe sans contredit
Pour un des marchands les plus riches
Et qui de tes draps n’est point chiche
Quand on t’en demande à crédit,
Si, me traitant en philosophe,
Robin, tu veux pour ton étoffe
De moi ne prendre jamais rien,
Mon art te fera toujours vivre
Et je te peindrai dans mon livre
Si tu veux m’effacer du tien.