À Messieurs les électeurs de la division de Rougemont/Chapitre VI

VI.


Qu’à-t-on fait, Messieurs, durant cette session, relativement à la tenure Seigneuriale, cette question culminante entre toute pour les habitants des seigneuries ? Rien. On s’est encore cette année moqué des censitaires, et on a introduit une loi incompréhensible, qui avait pour but de répartir de suite le fonds seigneurial actuel, mais qui ne pourvoyait nullement à son augmentation, qui ne faisait pas même allusion à la nécessité de l’augmenter.

Bien plus, par le fait même qu’on eût réparti cette année, entre les Seigneurs, le fonds seigneurial, on se créait une difficulté grave de plus dans l’avenir. Une fois l’argent payé, sans déclaration qu’il en fallait davantage, et le bill de M. Cartier n’en disait pas un mot, les membres du Haut-Canada, ceux des Townships du Bas-Canada n’eussent pas manqué de prétendre que l’octroi du fonds seigneurial avait été une affaire finale, considérée comme telle par tout le monde sans exception, et il n’y avait presque plus d’espoir que justice fut rendue aux censitaires !

Nous avons entendu l’Hon. M. Sicotte dire aux électeurs de St. Hyacinthe, quand il leur demandait de le réélire, qu’ils pouvaient être tranquilles sur la question des droits seigneuriaux et se tenir pour assurés qu’ils n’auraient rien autre chose à payer que le capital de leurs rentes. L’Hon M. Cartier a dit précisément la même chose aux électeurs de Verchères. Comment ces deux Messieurs ont-il tenu leur parole ? Celui-ci a introduit une loi, et l’autre en a approuvé l’introduction, par laquelle on laissait à la charge des censitaires au delà de deux millions de piastres qu’on leur disait, avant d’être élu devoir être payées par le Gouvernement !

— Mais on l’aurait fait l’année prochaine !

— Pourquoi pas cette année ?

— Parce que les membres ministériels du Haut-Canada s’y seraient opposés, et les membres de l’opposition aussi, ce qui nous mettait dans une minorité, ET VOUS FAISAIT PERDRE VOS SIÈGES !

Toujours cette misérable considération au fond de toutes les questions, de toutes les situations ! Pas un homme dans ce ministère n’a eu l’énergie de dire : « Nous l’avons promis, cela sera ou l’administration périra à la peine ! » Non il valait mieux résigner, parce que la Chambre a donné sur les doigts à ces mandataires du peuple qui se faisaient servilement les champions de la prérogative royale, exercée au préjudice de tous les intérêts du pays ! Il valait mieux résigner après s’être vanté de n’avoir pas perdu la confiance de la majorité, ce qui démontre que cette résignation n’était qu’une intrigue !

L’Hon. M. Sicotte n’a donc rien fait, cette année, pour prouver qu’il eût franchement le désir de remplir l’engagement qu’il avait pris vis-à-vis des électeurs de St. Hyacinthe.

Je ne vous dirai rien ici, Messieurs, des dépenses courantes, du déficit dans les recettes, des révélations obtenues par le Comité des comptes publics ; de la maladministration, de l’incapacité incroyable de quelques uns des Ministres. Si l’on n’a pas prouvé une malhonnêteté flagrante chez l’un d’eux, on a certainement démontré une inaptitude déplorable, et une absence de jugement et d’activité réellement incompréhensibles. Je n’entrerai dans ces détails que quand j’aurai l’honneur de vous rencontrer.

J’appellerai seulement votre attention sur ce fait, que dans l’examen des comptes publics comme dans les contestations d’élections, le Gouvernement a mis toutes les entraves possibles, sinon toujours directement, au moins par le ministère de gens dont il pouvait d’un mot faire cesser l’opposition, à ce que la vérité fut connue, à ce que justice fut rendue.

Le comité des comptes publics a mis au jour des faits bien déplorables, bien propres à démontrer que notre prétendu gouvernement responsable est pourri jusqu’à la moëlle ; mais on ne sait pas encore la moitié de la vérité.

Ce n’est pas une idée en l’air que je jette ici dans le public comme partisan politique et pour faire de l’effet ; c’est ma conviction franche et intime que je vous exprime ; et d’ailleurs, j’ai suffisamment prouvé, je crois, que je sais mettre de la modération dans mes vues et ma conduite comme homme public. Mais les affaires en sont arrivées à un point où chacun doit dire franchement toute sa pensée. Je ne fais donc qu’exprimer consciencieusement une opinion formellement arrêtée chez moi quand j’affirme que le ministère Brown-Dorion ne me parait avoir été éconduit au moyen d’une fourberie insigne, que parce qu’on avait de grands coupables à cacher ; que parce qu’on savait parfaitement qu’une fois des hommes réellement déterminés à aller au fond des choses préposés à la tête des bureaux publics, de trop grands scandales seraient connus !! Qu’on accorde une enquête sérieuse, et ce que je dis là sera vérifié !

C’est parce qu’il fallait à tout prix éviter des yeux trop clairvoyants qu’on a fait commettre au chef de l’Exécutif un acte déloyal qui ternit à jamais sa réputation comme homme d’état.

Ceux qui en profitent l’avouent, et un journal ministériel disait récemment que même quand on acceptait la trahison, on n’en méprisait pas moins le traître !

Franchement, à qui cela s’applique-t-il ?