À Messieurs les électeurs de la division de Rougemont/Chapitre II

II.


Ça été, Messieurs, un navrant spectacle, pour les hommes de cœur, que de voir une majorité de la Chambre sanctionner sans pudeur les prodigieux scandales des dernières élections.

Le ministère avait proposé et fait élire comme Orateur de l’Assemblée un homme pour qui la raison, la vérité, les principes de justice et de droit sont lettre morte.

Cet homme a, de l’aveu des ministériels eux-mêmes, dégradé dans l’estime publique le poste élevé qu’il occupait, par la partialité révoltante avec laquelle il a invariablement agi, et parce que sa position d’orateur ne l’a pas empêché d’être moins scrupuleux que jamais en tant que partisan politique.

Son premier acte comme Orateur, chose sans exemple dans le pays, a été blâmé, repoussé, honni, par une majorité qui certes n’a pas prouvé qu’elle eût beaucoup de scrupules. La Chambre lui a de suite jeté à la face sa nomination d’un comité d’élection dans lequel se trouvaient deux ou trois des hommes les plus flétris de la législature. Le second comité n’a été de fait qu’une satire à l’adresse de la Chambre.

Aussi que n’a-t-on pas vu.

Sur vingt-deux ou vingt-trois contestations d’élection sérieuses, une seule a été jugée comme elle devait l’être, celle relative à l’élection de Lotbinière, et encore, le Procureur-général du Bas-Canada, s’est-il, au milieu de l’étonnement universel, constitué le défenseur actif d’O’Farrell. Par toutes les questions qu’il a posées aux témoins, il a créé l’impression chez ceux qui comprennent ce que parler veut dire, qu’il désirait presqu’à tout prix, lui conserver son siège ; et c’était en vérité une étrange anomalie que cette protection accordée à un homme indigne par l’officier même qui est chargé et qui a prêté serment de punir les outrages faits à la majesté de la loi.

Il est vrai que plus tard, le Procureur-Général a lui-même fait la motion d’expulsion d’O’Farrell, — mais c’est quand les propres témoins de ce dernier ont prouvé qu’il y avait eu tentative d’empoisonnement pratiquée sur un officier-rapporteur et incitation au vol des livres de poll dans les bureaux publics même, qu’il s’est enfin décidé d’agir. Et puis qu’a-t-il fait en fin de compte ? Était-ce seulement une expulsion que la morale publique exigeait ? Non certes, c’était au moins une poursuite criminelle qui était plus que motivée par des actes de brigandage sans exemple. Mais là comme ailleurs, le Procureur-général a prouvé que son cœur ne lui disait quelque chose, que sa conscience ne troublait sa quiétude que quand il fallait protéger les violateurs de l’ordre et de la loi, mais qu’ils restaient muets quand il était besoin de les punir.

Et puis, pour essayer jusqu’au bout de sauver les apparences, le Procureur-Général a introduit un projet de loi pour défranchiser les paroisses qui avaient commis ou laissé commettre ces brigandages ; mais ce projet est resté lettre-morte, et la majorité s’est contentée de cette menace qui reste à jamais un pur acte d’hypocrisie, puisqu’on n’avait pas l’intention de la réaliser.

Passons maintenant à l’élection de Québec. Quinze mille votes frauduleux sur les livres de poll ! des violences et des corruptions sans exemple, un ministre qui occupe son siège en Chambre, au même titre que l’usurpateur de la propriété d’autrui ! ces faits sont connus, admis comme scandaleux par ceux-là même qui en défendent les auteurs ! Au défi de la moralité publique, on accorde aux membres siégeants la plus illégitime protection, on leur laisse la latitude la plus exagérée, pendant que l’on oppose toutes les entraves imaginables à ceux dont le droit est impudemment violé. Le collège électoral de Québec méritait-il donc moins de sympathie que trois hommes élus au moyen de fraudes gigantesques ?

Même absence de moralité, même déni de justice, même mépris de toute règle de bienséance relativement à l’élection de Russell ; avec ce surcroit de scandale que dans la séance même ou la majorité de la Chambre déclare qu’elle maintient le député Fellowes dans la possession de son siège, avec sa prétendue majorité de quatorze voix ; elle déclare en même temps par une résolution unanimement adoptée, que plus de trois cents votes frauduleux ont été enregistrés en sa faveur ! Il était donc en minorité !! La majorité de la chambre a donc, de fait, dit aux électeurs de Russell : « Vous n’avez pas voulu élire M. Fellowes, eh bien, nous jugeons à propos de l’élire nous ! »

Lord Sydenham lui-même, jusqu’à ce jour le type de l’immoralité politique en Canada, se trouve relégué sur le second plan par cette décision inouïe. Jamais pareil acte d’impudeur n’avait encore étonné les honnêtes gens en ce pays !

Maintenant, que les électeurs de St. Hyacinthe particulièrement me permettent de leur rappeler qu’un des points sur lesquels l’Hon. M. Sicotte insistait davantage, l’automne dernier, dans ses allocutions électorales, c’était la nécessité de moraliser les hommes publics du pays !!

Quelle magnifique école de morale publique et privée que cette Chambre d’Assemblée qui déclare compétent à siéger dans son sein un député qu’elle affirme officiellement ne devoir son siège qu’à une minorité des électeurs !

Comme l’Hon. M. Sicotte, qui a laissé protéger O’Farrell par son confrère le Procureur-Général, qui a lui même protégé les députés de Québec, qui a lui même défendu et excusé le député Fellowes, doit s’applaudir des moyens nouveaux et inusités de moralisation des hommes publics qu’il a cru devoir adopter !

Et le député actuel d’Ottawa que l’on a récompensé pour avoir adroitement évité la signification de la contestation ! Et son infortuné adversaire que l’on a puni, pour n’avoir pas su découvrir où M. Scott s’était allé cacher, et auquel on a fait payer les frais de la contestation quoiqu’il eût prouvé qu’il avait la majorité légale des voix !

Quelle amère dérision l’Hon. M. Sicotte nous faisait-il donc subir quand il se donnait indirectement la mission de moraliser nos hommes publics ! Jamais l’immoralité politique n’a porté haut la tête comme pendant la dernière session, et cela sous la scrupuleuse égide des moralisateurs !!