À Mathieu-Guillaume-Thérèse Villenave
rue Vignolle, n°2, cours de la Fédération, à Nantes.
Votre lettre, digne citoyen, m’a péniblement affecté. Ce qui se passe chez vous se passe sur presque tous les points de la République. Il est assez simple que vous soyez réputé terroriste dans Nantes, quand on s’efforce de me donner cette odieuse qualification à Paris. On a longtemps proscrit les républicains sous différents prétextes ; il y manquait celui-ci, le plus absurde de tous. Et c’est ainsi qu’ils feront jusqu’au triste jour où il leur sera donné de nous honorer, dans leur fureur, du seul titre qui nous convienne, celui de républicains. En attendant, il faut combattre, et combattre encore : une aussi belle cause ne devrait pas être abandonnée, même après qu’elle serait perdue.
Je voudrais bien vous trouver ici quelque occupation, mais d’abord vous savez qu’il y a foule. Si le mérite passait le premier, peu de gens passeraient avant vous. Malheureusement, c’est l’intrigue qui domine au sein de notre triste République.
Ensuite les denrées sont ici tellement rares et chères que les fonctionnaires publics ne peuvent vivre avec leurs appointements. Je chercherai néanmoins ; j’en ai parlé à Lanjuinais, Lanjuinais qui prend à vous un intérêt vif, et m’a promis de saisir la première occasion au Comité de législation.
Donnez-moi de vos nouvelles, je vous prie, et des nouvelles des vôtres. Pardonnez-moi la brièveté des réponses. J’aimerais bien à les faire longue avec vous, si j’étais moins occupé.
Salut et fraternité.
Quintidi prairial an III.
Nous venons d’échapper à quatre jours d’un danger perpétuel, et le plus grand que nous ayons jamais couru. Le 1er prairial, Féraud fut tué à la tribune, comme il allait y monter, à la place que j’y occupais cinq minutes auparavant. Nous sommes restés sous les baïonnettes des assassins depuis midi jusqu’à onze heures du soir. Ma digne femme avait trouvé moyen de se mêler avec les brigands, avec eux elle est entrée. Elle était venue s’asseoir auprès de moi, n’ayant pas l’air de me connaître, et ne pouvant combattre que par son silence les outrages, les imprécations, les menaces de toute espèce qu’on nous prodiguait. Nous sommes restés ainsi jusqu’à onze heures, que de dignes gens vinrent nous délivrer, après que Bergoeing et Kervélégan se furent ouvert un passage avec quelques braves, le sabre à la main. Nous sommes restés jusqu’à onze heures, et à minuit nous devions être massacrés.