La Légende des siècles/« Je me penchai. »

« Je me penchai. »
La Légende des sièclesCalmann-Lévy (p. 37-38).

 
Je me penchai. J’étais dans le lieu ténébreux ;
Là gisent les fléaux avec la nuit sur eux ;
Et je criai : — Tibère ! — Eh bien ? me dit cet homme.
— Tiens-toi là. — Soit. — Néron ! — L’autre monstre de Rome
5Dit : — Qui donc m’ose ainsi parler ? — Bien. Tiens-toi là.
Je dis : — Sennachérib ! Tamerlan ! Attila !
— Qu’est-ce donc que tu veux ? répondirent trois gueules.
— Restez là. Plus un mot. Silence. Soyez seules.
Je me tournai : — Nemrod ! — Quoi ? — Tais-toi. — Je repris :
10— Cyrus ! Rhamsès ! Cambyse ! Amilcar ! Phalaris !

Que veut-on ? — Restez là. — Puis, passant aux modernes,
Je comparai les bruits de toutes les cavernes,
Les antres aux palais et les trônes aux bois,
Le grondement du tigre au cri d’Innocent trois,
15Nuit sinistre où pas un des coupables n’échappe,
Ni sous la pourpre Othon, ni Gerbert sous la chape.
Pensif, je m’assurai qu’ils étaient bien là tous,
Et je leur dis : — Quel est le pire d’entre vous ?

Alors, du fond du gouffre, ombre patibulaire
20Où le nid menacé par l’immense colère
Autrefois se blottit et se réfugia,
Satan cria : — C’est moi ! — Crois-tu ? dit Borgia.