« Gui d’Ussel, j’ai bien de la peine à votre sujet »

I. — Gui d’Ussel, j’ai bien de la peine à votre sujet, parce que vous avez cessé de chanter ; et, comme je voudrais vous y ramener, puisque vous êtes très savant en de tels sujets, je veux que vous me disiez si la dame doit agir envers l’amant, quand il le demande avec douceur, de la même façon que lui envers elle, en tout ce qui touche à l’amour, selon les lois qu’observent les amoureux.

II. — Dame Marie, je croyais abandonner tensons et tout le reste ; mais je ne peux maintenant manquer de répondre à votre invitation ; et je vous réponds brièvement, en ce qui concerne la dame, que, pour son amant, elle doit faire autant que lui pour elle, sans tenir compte du rang : car, entre deux amis, il ne doit pas y avoir de supérieur.

III. — Gui, l’amant doit demander avec des prières tout ce qu’il désire, et la dame peut l’accorder, et doit aussi prier parfois ; et l’amant doit faire ses prières et donner ses ordres comme s’il s’adressait à une amie et à une dame également ; et la dame doit faire honneur à son amant comme à un ami et non pas comme à un maître.

IV. — Dame, on dit ici, parmi nous, que, du moment que dame veut aimer, elle doit faire à son amant autant d’honneur [qu’il lui en fait], puisqu’ils sont également amoureux ; et s’il arrive qu’elle l’aime davantage, elle doit le montrer en ses actes et en ses paroles, et si son cœur est faux et trompeur, elle doit, sous une belle mine, dissimuler sa folie.

V. — Gui d’Ussel, les amants ne sont pas du tout ainsi au commencement; mais au contraire chacun dit, quand il veut courtiser, mains jointes et à genoux : « Dame, accordez-moi de vous servir sans réserve comme votre homme-lige. » Et elle le prend à ce titre ; pour moi je le considère à bon droit comme un traître s’il se fait l’égal de sa dame après s’être donné à elle comme serviteur.

VI. — Dame, c’est une opinion qu’il est honteux pour une dame de défendre, que de ne point considérer comme son égal celui avec lequel, de deux cœurs, elle en a fait un seul ; ou bien vous direz, et cela ne vous fera point honneur, que l’amant doit l’aimer plus sincèrement, ou bien vous direz qu’ils sont égaux ; car l’amant ne doit rien à la dame, si ce n’est par amour.