« À qui rêves-tu »

PoussièresAlphonse Lemerre (p. 17-18).



À qui rêves-tu si tu rêve,
Front bombé que j’adore et voudrais entr’ouvrir,
Entr’ouvrir d’un baiser pénétrant comme un glaive,
Pour voir si c’est à moi, — que tu fais tant souffrir !
Ô front idolâtré, mais fermé, — noir mystère,
Plus noir que ces yeux noirs qui font la Nuit en moi,
Et dont le sombre feu nourrit et désespère
L’amour affreux que j’ai pour toi !

Je n’ai su jamais si tu pense,
Si tu sens, — si ton cœur bat comme un autre cœur,
Et s’il est quelque chose au fond de ton silence
Obstinément gardé, cruellement boudeur !

Non ! je n’ai jamais su s’il était dans ton âme
Une place où plus tard pût naître un sentiment,
Ou si tu dois rester une enfant, quoique femme,
Une enfant ! pas même ! — un néant !

Un néant qui semble la vie !
Mais qui fait tout oser aux cœurs comme le mien ;
Car l’être inanimé qu’on aime, nous défie !
On brûlerait le marbre en l’aimant ! — Mais le rien !!
Le rien vêtu d’un corps[1] · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·



  1. Vers inachevés, retrouvés, ainsi que les suivants, dans un très ancien cahier de jeunesse.