Thomas Gray, Le Cimetière de campagne 1751

Traduction Marie-Joseph Chénier 1805


LE CIMETIÈRE

DE CAMPAGNE,

ÉLÉGIE ANGLAISE,

DE GRAY,

TRADUCTION NOUVELLE,

EN VERS FRANÇAIS.



À PARIS,
CHEZ DABIN, PALAIS DU TRIBUNAT.
AN XIII. — 1805.


PRÉFACE.


Il existe déjà dans la langue française plusieurs traductions en vers de cette élégie célèbre ; mais celles qui ont été publiées semblent plutôt des paraphrases que des traductions. Nous avons de plus quelques morceaux de poésie dont elle a évidemment donné l’idée : il en est même qui, sans égaler l’ouvrage du poète anglais pour la plénitude des pensées et l’énergique précision du style, sont du moins fort remarquables par l’élégance et l’harmonie.

En donnant au public cette version nouvelle, composée il y a plusieurs années, je fais imprimer les vers anglais à côté des vers français. On pourra voir d’un coup-d’œil ce que j’ai cru devoir supprimer, changer, ajouter ; on jugera si j’ai su garder un juste milieu entre une imitation infidèle et une traduction servile. J’ai craint pour l’élégie entière la monotonie des stances ; j’ai conservé seulement dans l’épitaphe ces formes de poésie qui m’ont paru lui convenir. J’ai travaillé cette pièce avec soin ; mais, en quelque genre que ce soit, je n’ai jamais donné mes écrits que comme des essais susceptibles d’un perfectionnement graduel. Je serai disposé dans tous les temps à mettre à profit l’opinion des connaisseurs, et même ce que pourront offrir de judicieux les critiques amères des censeurs de profession.

Voltaire, à son retour de Londres, où l’avaient contraint à se réfugier les premières persécutions qu’il eut essuyées en France, fit connaître à sa patrie la philosophie et la littérature des Anglais. Il puisa dans leurs poètes des beautés fortes qu’il sut encore embellir. Durant les dernières années de ce grand-homme, aujourd’hui si ridiculement harcelé, M. Ducis a mérité des succès mémorables, en transportant sur la scène française les créations vigoureuses du poète tragique de l’Angleterre. Plus récemment, dans la traduction du Paradis perdu, ouvrage tantôt sublime et tantôt bizarre d’un génie non moins étonnant que Shakespeare, on a souvent retrouvé tout le talent de M. Delille : on le cherchait dans l’Homme des champs et dans le poëme de la Pitié.

Le même M. Delille a traduit autrefois, avec beaucoup de bonheur, la belle Epître de Pope au docteur Arbuthnot. Un autre chef-d’œuvre de Pope, l’Héroide d’Héloïse, avait déjà fondé la réputation de M. Colardeau. M. Boisjolin mérite d’être cité après ces talents célèbres ; et sa traduction de la Forêt de Windsor est un des morceaux les plus purs qui aient paru depuis long-temps.

Quand il devient difficile d’oser penser soi-même, on peut encore traduire.