Voyage à mon bureau, aller et retour/Chapitre XXXI

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L'EPINGLE

Le lecteur pensera peut-être qu'il y a fort peu de chose à dire de l'épingle qui se trouve en ce moment sous mes doigts, à moins que je ne m'en serve pour piquer quelqu'un.

Mon intention, comme je l'ai annoncé dans ma préface, est de ne blesser personne, et je tiens trop à la haute considération du lecteur pour me servir d'une épingle contre lui.

Je n'ai d'autre but que celui de rattacher l'épingle à l'ordre et à la propreté dont elle est l'emblème, et qui doivent la mettre en évidence en lui donnant un air de distinction.

L'épingle lie une conversation et la rend parfois fort attrayante.

Un verre d'eau, chacun le sait, a bouleversé tout un empire. Une épingle, loin d'être une cause de trouble, apporte l'union en rassemblant des titres épars ou des papiers d'affaires que le vent pourrait enlever.

Je n'ai pas besoin de rappeler que c'est une épingle qui a mis en évidence le nom de M. Laffitte, et que cette épingle qu'il a ramassée avec soin devant un supérieur, alors qu'il n'était qu'un petit commis, a été plus tard la cause indirecte de sa fortune ; mais je dirai qu'il m'est toujours fort agréable de rencontrer non pas les imitateurs serviles de M. Laffitte, mais ceux qui tiennent à mettre dans leurs affaires autant d'ordre que de précision, et qui n'ignorent pas la manière de se conduire tout en sachant s'habiller convenablement.

Une cravate de soie bien noire, glissée dessous un col de chemine bien blanc, ne manque pas de parler en faveur de l'homme distingué dont les manières répondent à la mise. Et si vous ajoutez à cette cravate, dont les extrémités ne doivent pas flotter au vent, une épingle qui les retienne, vous indiquez l'ordre qui préside à votre toilette.

Vous vous préparez un regard favorable de la part du chef devant lequel vous vous présentez, ou bien le sourire gracieux de la dame qui vous reçoit dans un salon.

Si, contrairement aux principes du bon goût, de la politesse ordinaire et des manières distinguées des gens comme il faut, vous arrivez à votre bureau la chemise en désordre ou tachée, - la cravate mal nouée, - l'habit décousu, - le gilet déboutonné ou privé de l'un de ses points d'attache, - le pantalon bordé d'un ourlet de fange, et que, pour parler le style des romantiques, vous ayez à vos pieds des souliers impossibles, vous déplaisez non seulement à vos camarades de bureau, mais vous vous exposez à ce que votre chef vous faisant un accueil défavorable, alors que vous sollicitez près de lui de l'avancement, oublie complètement vos anciens services, en présence de votre désordre et de votre malpropreté.

Il vaudrait mieux, péchant d'un excès contraire, que l'employé se distinguât par sa bonne tenue, et qu'on pût dire en le voyant : « C'est un employé coquet ; il est tiré à quatre épingles. »


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