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LE GRATTOIR
J'ai, dans la boîte à plumes qui est placée à droite de ma main, tous les instruments nécessaires à ma profession. Au nombre de ces instruments, il en est un à manche plat, adouci sur les angles, de couleur ébène, et se terminant en queue de poisson, dont la lame solidement fixée au manche imite pour la forme une lancette d'un grand modèle. C'est notre grattoir. - Je le possédais à l'époque où j'étais surnuméraire, et c'est avec lui que je réparais tous les désordres introduits dans la copie qui m'était confiée. Le grattoir ne manque pas de mérite, mais ce petit maître incisif, dont la lame a deux tranchants, ressemble à certaines gens qui réduisent les questions les plus solides au néant. Il va souvent plus loin que l'intelligence de la phrase ne lui permet d'aller, et, dépassant les bornes de la modération, il m'a obligé plus d'une fois à rétablir ce qu'il avait effacé maladroitement. - Telles sont les réformes trop promptes ou exécutées sans réflexion. On détruit d'abord et l'on reconstruit ensuite. Je suis d'avis qu'il faut user modérément du grattoir. C'est un ami qui peut nous être d'un grand secours en bien des circonstances, mais il faut craindre de l'avoir toujours à sa dévotion. Il est, je le sais, des plus empressés à se rendre à nos vœux, la première fois qu'on a recours à ses services. Néanmoins il est prudent de lui cacher, comme à certains amis, ou de ne pas lui faire comprendre, que l'on pourrait avoir besoin de lui une seconde fois au même endroit, et pour le même objet. Il est évident sans cela qu'il y a manque de tact et de prévoyance, et que l'on donne à réfléchir au grattoir mordant qui n'arrive la troisième fois que pour mettre honteusement notre misère au grand jour.
Jeunes gens, jeunes gens, croyez-moi, renoncez au grattoir ; ayez-en soin, mais n'y touchez pas. Il est toujours imprudent de demander aide et assistance à ceux qui sont d'une nature trop incisive. Ne pouvons-nous pas nous suffire à nous-mêmes ? Avec un peu d'ordre, de soin, de propreté et de mûre réflexion, en maintenant sous les doigts l'élan d'une plume fougueuse ou le trop d'abandon d'une plume désœuvrée, on arrive assez facilement à se passer du grattoir.
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