Librairie Hachette (p. 77-86).


Lison va consulter la matelote.


VII

Chez la sorcière.


Le lendemain matin, Jacques a un gros rhume de cerveau, mais il est si robuste qu’il n’en souffre guère et cela ne l’empêche pas de partir, à l’heure habituelle, pour le presbytère.

Quant à Gina, elle est egalement fort enrhumée et elle se plaint, de plus, d’une douleur au côté qui l’empêche de respirer. Sa peau est brûlante, sans cesse elle demande à boire, rien ne peut apaiser sa soif. Aussi Lison, qui sait à quel point la petite est délicate, la laisse-t-elle au lit.

À mesure que la matinée s’avance, l’enfant souffre davantage. Lison commence à s’inquiéter au moment où Jacques revient à la maison. Celui-ci entre dans la chambre de sa sœur et s’arrête, frappé de la rougeur de ses joues et de l’éclat inusité de son regard.

Jacques, à Lison.

Mais, Lison, il faudrait tout de suite appeler le docteur Esculape.

Lison, secouant la tête.

Mais non ! mais non ! c’est bien inutile : ça ne sera rien.


La bonne, il faut le dire, ne se soucie pas d’envoyer chercher le médecin qui ne manquera pas de poser des questions, et il apprendra ainsi que les enfants, abandonnés à eux-mêmes, sans aucune surveillance, ont passé, la veille, la plus grande partie de l’après-midi, les pieds dans l’eau glacée de la rivière. C’est de sa faute, à elle, si la pauvre petite Gina est malade, mais, quoique sa conscience le lui reproche hautement, elle ne veut pas se l’avouer.

En vain, essaye-t-elle de calmer Gina avec quelques gouttes de fleur d’oranger dans de l’eau sucrée, l’enfant, de plus eu plus agitée et fiévreuse, se met à gémir : « Oh ! là là, que je souffre ! Oh ! mon Dieu ! que j’ai mal au côté ! »

Jacques se désole et cherche à encourager sa sœur par de douces et tendres paroles, pendant que Lison, talonnée, par la peur, court à Bois-fleuri de toute la vitesse de ses jambes.

Où va-t-elle ainsi ? Chez le docteur Esculape, sans doute, pour le supplier de venir tout de suite auprès de la petite malade. Point. Lison, qui redoute plus que tout au monde la perspicacité du vieux médecin de la famille, va consulter « la Matelote ».

La Matelote est une très vieille femme, que l’on nomme ainsi parce qu’elle est la veuve d’un marin. Elle n’est guère estimée, on la croit peu honnête, mais elle passe, dans le pays, pour connaître des secrets merveilleux, ainsi que des paroles mystérieuses pour guérir tous les maux et même, si on est généreux, elle dévoile l’avenir à ceux qui lui laissent étudier les lignes de leurs mains.

Il va sans dire que, malgré sa réputation, tout cela c’est de la tromperie : la vieille sorcière n’y entend goutte et sa prétendue science ne lui sert qu’à soutirer les écus de ceux qui sont assez naïfs et assez sots pour aller la consulter.

Elle avait un gros chat noir dont les yeux, d’un rouge foncé, brillaient comme des escarboucles : il se nommait Bel. « Belzébuth, disaient les paysans qui en avaient un peu peur, y s’nomme comme l’diable, p’tête ben aussi que c’est l’diable en personne. » La Matelote l’appelait, dans les cas embarrassants, pour se donner le temps de réfléchir et s’adressait à lui en ces termes :

Petit matou,
Sors de ton trou,
Dis-moi bien tout.
Hou ! Hou !
Hou ! Hou !

Elle joua donc sa comédie habituelle, devant Lison.

La Matelote.

Ah ! des petites coliques de rien du tout, c’est ça qui vous effraye, dites-vous ? Ça passera. Prenez des colimaçons, écrasez-les avec leurs coquilles, arrosez-les de vin rouge, ajoutez-y une gousse d’ail ; puis faites bouillir le tout. Vous en Ferez un cataplasme, que vous appliquerez brûlant sur le côté de la malade. Il n’y a rien de meilleur : cela s’appelle l’emplâtre du vieux Benoît’. C’est ainsi que j’ai soigné le petit César, le fils à Mathurine, et la petite Cloclo, la fille du porcher. Deux heures après, ils couraient comme des lapins.

Lison, enchantée, donna à la vieille fée quinze sous, prix ordinaire de la consultation. Elle allait sortir, lorsque la vieille la rappela.

La Matelote.

Ah ! j’oubliais… Avant de mettre le cataplasme, ayez bien soin de tracer, sur l’endroit malade, un cercle avec votre pouce gauche, en disant :

Vieux Benoît.
Guéris-moi :
Froc et Fric
Fric et Froc.
Ou gare à toi.
Vieux Benoît :
Croc et Cric
Cric et Croc.
Lison.

Oui, oui, c’est bien.

La vieille, mise en goût par l’argent reçu, la retint encore par le coin de son tablier et lui glissa à l’oreille :

« Venez me trouver un de ces jours, et pour un franc vingt-cinq, vingt-cinq sous seulement, vous entendez bien, je vous dirai si vous épouserez un joli blond ou un beau brun.

— Ah ! Ah ! vraiment, » dit Lison très intéressée.

La Matelote.

Et puis, je vous dirai mieux encore ; si vous avez des économies… Avez-vous des économies ?

Lison, troublée.

Mais… oui, j’ai bien un peu d’argent que je mets de côté pour mes vieux jours.


Les veux de la vieille brillèrent de convoitise.

La Matelote.

Ne dites rien à personne. Apportez-moi votre petit magot, je vous ferai connaître un secret pour doubler, pour tripler la somme. Enfin, si vous m’écoutez, vous deviendrez riche, très riche (mettant un doigt sur ses lèvres), mais, chut ! silence et mystère !…

Lison, de plus en plus troublée, fit un signe d’assentiment. Cette fois, la vieille la lâcha et Lison s’enfuit en courant.

La Matelote, alors, se frotta les mains et s’adressant à son chat :

« Ils vont danser les écus de Lison, mon petit Bel, et qui est-ce qui les croquera les écus de Lison ? Ce sera mon gros Bel et sa Matelote ! croc, croc, croc, n’est-ce pas, monsieur Bel ? »

Pendant ce temps-là, Lison courait au potager faire une ample provision d’escargots qu’elle arrangea, suivant les recommandations de la vilaine sorcière.

Lorsqu’elle rentra dans la chambre de la malade, elle trouva la pauvre Gina en proie à de telles douleurs que celles-ci lui arrachaient des cris, tandis que Jacques, à son chevet, affolé, essayait de la calmer sans y parvenir.

Jacques.

Mais arrive donc, Lison, il y a si longtemps que Gina souffre !

Lison.

Voilà, voilà, petite Gina… J’avais été vous chercher un remède qui guérira tout de suite votre bobo.

Laissez-moi faire, seulement.


Et elle lui appliqua, toute chaude, l’horrible chose gluante.

Gina.

Oh ! oh ! là, là, ça me brûle horriblement.

Lison.

Il faut le supporter ainsi, cela va vous enlever le mal comme avec la main.


Jacques insista de nouveau pour faire venir le médecin, Lison lui répondit : « Attendons encore. »

La lièvre augmentait, la nuit fut terrible. Jacques ne se coucha pas, pour ne pas quitter sa chère Gina, il la regardait d’un air navré, se désespérant d’avoir été la cause des souffrances de sa sœur par son imprudence, car il ne cherchait pas à s’illusionner, lui : si Gina ne l’avait pas écouté, hier, et n’était pas entrée dans l’eau comme il le lui avait proposé, elle ne serait pas malade, à présent. « Quel malheur ! disait-il tout bas, désolé, quel malheur !… » Et, de tout son cœur, il supplia le Bon Dieu de ne pas laisser mourir Gina.