La Sirène (p. 80-84).


XVII



PUIS, ce fut un bruit lourd de pas qui la fit sursauter. Marcel Marcellin entrait, les mains tendues vers elle.

Il y eut d’abord un grand silence. Le matin monotone emplissait la maison. Tout semblait dormir, excepté un grand remous d’oiseaux qui montait et descendait et tournait, tournait encore dans l’éblouissement de la haute terrasse, et projetait de larges ombres sur les murs et le plancher de la chambre.

La petite main que tenait Marcel était tremblante. Elle essayait parfois de se dégager, mais il la tenait plus étroitement ; après quoi, elle était plus chaude et frémissante et semblait soumise.

Marthe rejeta en arrière ses cheveux dénoués qui lui brouillaient le visage. Il n’y avait qu’à regarder ses yeux limpides et tranquilles comme des mares d’eau pour se rendre compte qu’elle était résolue et qu’elle savait que l’heure décisive était venue. On apercevait dans ses prunelles une sorte de lueur claire qui paraissait venir du dedans et qui donnait à son calme visage un rayonnement intense.

Des bêlements de bêtes venaient de la forêt voisine avec un chant d’oiseau semblable aux sifflements répétés du merle ; des senteurs de terre chaude, de fruits mûrs et sucrés, entraient avec un parti de papillons gris et dorés, traversaient lentement la maison, laissant une trace odorante qui restait longtemps suspendue dans l’air apaisé. Marcel Marcellin, assis au bord de la table, le front penché, se leva lentement et, s’approchant de Marthe :

— Je suis venu, dit-il, je suis venu pour faire de vous ma femme.

Marthe baissa les yeux, détourna la tête et vint s’asseoir au pied du lit.

Un miroir à la main, elle rangeait ses cheveux.

Le soleil, jaillissant tout à coup sur la terrasse, pénétra horizontalement par la fenêtre. La chambre devint obscure. On ne voyait que la ligne éblouissante de lumière qui enveloppait les cheveux de Marthe comme un foulard.

Adossée à la moustiquaire, la jeune femme attendait.

Marcel distinguait maintenant à peine la tête blonde éclairée à contre-jour.

La projection lumineuse mettait à nu, des hanches aux épaules, le corps immobile.

Serrant les poings, il s’avança et dit à nouveau :

— Marthe, je suis venu pour faire de vous ma femme.

Une joie sauvage le penchait sur cette femme qu’il désirait comme jamais il n’avait jusqu’ici désiré l’amour. Et cependant, une force le retenait…

Il lui tenait les bras, mais le souffle lui manquait. Jamais, lorsqu’il s’était penché sur le supplice d’une autre femme, jamais il n’avait éprouvé une pareille crainte :

— Je suis venu, répétait-il, balbutiant, hagard, je suis venu…

Le désir qui s’était emparé de lui le secouait comme une voile au vent.

Le sang affluait à son visage. Il ne parlait pas de peur de trahir le tremblement qui vibrait dans sa gorge.

— Marthe…

Ce fut comme un sanglot.

Il lui avait pris le visage entre ses larges mains.

Marthe sentit la brûlure des lèvres sur son visage. Elle entendit, dans le bourdonnement de ruche qui remplissait la chambre, une voix rauque qui disait :

— Pour toujours… pour toujours.

Dans le cœur du bois, l’air était moite, chaud et froid tout ensemble.

.   .   .   .   .   .  

Le fantôme marchait lentement et par à-coups, comme s’il se défiait. Il avançait à la façon des somnambules, les yeux dardés, les oreilles attentives au moindre bruit.

Il écoutait… des bruits venaient jusqu’à lui qui résonnaient douloureusement jusqu’au fond de son être.

Parfois, il s’arrêtait. Alors, la voix de Marthe pénétrait en lui plus profondément. Sa figure pâlissait davantage à chaque phrase qui lui venait de la maison où Marthe luttait à la fois contre Marcel et contre elle-même. Il écoutait, tous les muscles du visage contractés… il attendait son appel pour la sauver.

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Marthe poussa un cri. Les bras du créole la meurtrissaient comme des étaux de fer. Il n’y avait plus rien autour d’elle que cette force qui dominait le monde.

Une joie profonde lui venait qui la grisait, un besoin de soumission, un voluptueux contentement de n’être plus qu’une chose vaincue et soumise.

Ses cheveux, à nouveau dénoués, lui couvraient les yeux et le cou, et la poitrine ouverte dans la lutte. Il lui semblait que ses cheveux qui embarrassaient ses mains et ses bras l’étouffaient.

C’était un matin magnifique. La jungle était comme une immense caverne mystérieuse aux murs transparents, filtrant la lumière du jour et illuminée çà et là par les flaques d’or du soleil.

L’homme au visage diaphane, adossé à un cèdre, les yeux clos, suivait chacun des mouvements de la lutte où Marthe succombait. Il entendait les sanglots de sa gorge et le souffle rauqua de Marcel. Il voyait, par delà les ténèbres qui noyaient ses yeux, l’étreinte des bras de l’ingénieur autour des reins de Marthe. Elle frappait en aveugle et s’accrochait à lui, tantôt comme une loutre blessée à la gorge du tapir, tantôt comme une tigresse amoureuse au flanc du tigre vainqueur.

L’appel qu’il attendait ne vint pas.