Traité populaire d’agriculture/Récolte

SECTION TROISIÈME.

Récolte.

On donne le nom général de récolte à toutes les opérations qui ont pour objet de séparer les plantes du sol et de mettre leurs produits en état d’être déposés en grenier ou en cave et d’y rester plus ou moins longtemps.

Toutes les plantes ne se récoltent pas à la même époque de leur végétation. Les unes, comme les céréales, se récoltent lorsque la maturité du grain est achevée ou du moins sur le point d’être complète. D’autres, telles que les fourrages, doivent être coupées au moment de leur floraison. Pour plusieurs, comme les récoltes-racines, la récolte a lieu lorsque leurs produits souterrains ont atteint leur plus grand développement.

Chaque catégorie de plantes semble donc exiger, pour sa récolte, un traitement particulier ; nous en ferons rentrer l’exposé dans les détails de la culture spéciale. Il y a toutefois des notions générales qu’il importe de connaître, parce qu’elles trouvent leur application dans le plus grand nombre de cas.

Nous allons les passer en revue.

I
MOISSON.

Nous désignons spécialement sous ce nom les différentes opérations qui ont pour objet de séparer uniquement les plantes du sol.

Enlever la plante du sol peut s’exécuter de deux manières, suivant qu’on la coupe ou qu’on l’arrache.

Il y a donc la coupe et l’arrachage.

1oCoupe.

On coupe, en général, les plantes alimentaires que l’on cultive pour leurs fruits ou pour leurs feuilles.

L’opération varie dans ses détails suivant l’espèce d’instrument employé.

Les instruments dont on fait usage sont : la faucille, le javelier, la faux et la moissonneuse.

a]À la faucille. — Il y a deux espèces de faucilles ; dans l’une, le fer de l’instrument est armé de dents, dans l’autre, il est simplement tranchant.

L’une et l’autre sont également bonnes.

Voici la manière de s’en servir.

On avance, la tête tournée vers le grain que l’on veut abattre ; en même temps qu’on saisit les chaumes de la main gauche, la paume tournée en dedans, on engage le croissant de la faucille dans les tiges, on l’appuie contre le grain saisi par la main gauche, et, tirant vers soi le tranchant de l’instrument, on coupe la poignée.

On dépose ces poignées à sa gauche et par petits tas qu’on appelle javelles.

Voici les avantages que présente l’emploi de la faucille : les javelles, que l’on dépose sur le sol, à mesure que l’on coupe le grain, donnent un travail plus régulier. Le grain se trouve étendu et soulevé du sol puisqu’il est supporté par un chaume de six à huit pouces de long ; sa dessiccation est plus rapide, et, comme le grain n’est pas en contact avec le sol, sa germination est moins à craindre dans les années pluvieuses.

Enfin, l’usage de cet instrument n’exigeant pas une très grande force, on peut y employer indistinctement tous les bras, utiliser les forces disponibles, les multiplier quand on veut se hâter de faire ses moissons.

Voici maintenant les inconvénients.

Le travail s’effectue lentement ; il faut un bon moissonneur pour couper un arpent par jour, et pour peu que la main-d’œuvre soit rare, le salaire des travailleurs élevé, il est facile de comprendre que ce moyen de couper le grain, malgré tous ses avantages, offre le défaut d’être peu économique, par le prix même de son exécution et par les retards qu’il occasionne dans la moisson.

Un autre désavantage, c’est que son emploi oblige à couper le chaume à une certaine hauteur, ce qui occasionne une perte assez notable dans le rendement de la paille.

b]Au javelier. — C’est la faux ordinaire munie d’un châssis dont la destination est de recevoir les parties coupées ; il évite ainsi l’égrenage et permet de mettre le grain en javelles.

Ce châssis se compose essentiellement de crochets ou doigts, généralement au nombre de quatre, placés parallèlement à la faux, et soutenus par une traverse qui les réunit entre elles vers le milieu de leur longueur.

Ce châssis porte le nom d’engeray.

L’engeray doit présenter la même courbure que celle de la faux, être implanté assez solidement dans le manche pour passer avec la faux partout où celle-ci doit couper.

On fauche en dehors, c’est-à-dire, de manière à laisser à sa droite la récolte encore debout. Après chaque coup de faux, on dépose sur le sol, couchées à sa gauche, les tiges que l’on vient de couper et qu’a retenues le javelier.

Comparé à la faucille, le javelier offre sur elle les avantages suivants : il permet un travail plus rapide, puisqu’un javeleur peut couper de deux à trois arpents par jour ; le chaume est coupé plus bas, par conséquent augmentation dans le produit de la récolte ; enfin, les javelles sont mieux étendues, moins épaisses, leur dessiccation est plus rapide.

Mais d’un autre côté, comme le javelier exige un certain savoir-faire et quelque force, il ne peut, comme la faucille, être mis entre les mains de tout le monde. Son usage est donc plus restreint.

c]À la faux. — C’est bien la coupe la plus rapide : c’est son principal avantage. Un autre, c’est qu’un plus grand nombre d’ouvriers peuvent manier la faux nue.

Cet instrument s’emploie comme le javelier, c’est-à-dire, qu’on fauche en dehors ; les tiges se trouvent déposées en andains ; elles n’ont pas la régularité d’arrangement que leur donne la coupe soit à la faucille, soit au javelier. C’est là un premier désavantage qui a pour conséquence une dessiccation plus lente.

Si le grain est bien mûr, l’égrenage est plus considérable. La récolte elle-même occupant un volume plus considérable, nécessite un logement plus spacieux.

Mais, comme celui du javelier, le travail de la faux donne une augmentation notable dans le rendement de la paille ; il est, d’ailleurs, employé avec succès dans les récoltes versées ou entremêlées, là où le javelier fonctionnerait mal, et où le travail de la faucille serait peu sensible.

d]À la moissonneuse. — Nous ne donnerons pas ici une description de cet instrument ; disons seulement qu’avant longtemps, grâce aux perfectionnements qu’il acquiert de jour en jour, il deviendra le complément nécessaire de la faucheuse. Tout cultivateur tiendra à avoir sa moissonneuse. Et d’ailleurs, avant longtemps, si la main-d’œuvre continue à se faire rare, si les bras dont on a besoin pour la culture du sol sont employés dans l’industrie, la moissonneuse s’imposera comme une nécessité contre laquelle il sera impossible de regimber.

L’emploi de cet instrument demande au sol une préparation convenable, soit ; mais, comme nous l’avons dit en parlant du semoir, cette exigence, loin d’être un mal, est un bien et en nous forçant à cultiver mieux elle contribuera largement à augmenter la quantité et la qualité des produits que nous fournit le sol.

Avec la moissonneuse, on peut couper un arpent de grain par heure. Deux chevaux conduisent la machine, un homme la dirige ; le grain coupé tombe sur une table d’où il est enlevé par un râteau de forme particulière que manœuvre un autre homme ou qui est mis en mouvement par la machine elle-même. Le grain se trouve jeté en arrière de l’instrument : les javelles sont formées ; il n’y a plus qu’à mettre en gerbes.

2oArrachage.

C’est le second moyen de séparer la plante du sol.

Il est généralement employé dans la récolte des racines, dans celle de certaines plantes industrielles, telles que le lin, le chanvre.

L’arrachage s’effectue de deux manières : soit à la main, soit à l’aide d’instruments à la main ou attelés.

a]À la main. — Rien de plus simple : on saisit la tige de la plante, à sa partie inférieure, près du sol ; on tire de bas en haut. L’adhérence de la racine au sol est vaincue et la plante vient tout d’un morceau.

On emploie cette méthode pour le lin, le chanvre, et généralement pour l’extraction des racines pivotantes, telles que la carotte, la betterave, etc.

Mais elle ne peut convenir à toutes les récoltes-racines ; des circonstances particulières même exigent quelquefois qu’on lui substitue l’emploi des instruments.

b]Aux instruments. — L’arrachage au moyen des instruments à main est moins expéditif, mais en général plus parfait que celui exécuté à l’aide d’instruments tirés par des chevaux.

Les instruments dont on se sert sont la bêche et la houe pour les sols légers, la fourche et le crochet pour les terrains plus compacts.

Le meilleur de ces instruments est le crochet ; il donne un résultat plus prompt que les autres. La longueur des dents est proportionnée à la profondeur à laquelle la plante est enterrée ou enfouie. On enfonce ce crochet dans le sol et d’un seul coup on renverse la plante que l’on veut extraire.

L’arrachage au moyen d’instruments attelés est plus prompt, mais, comme nous l’avons dit, moins parfait ; on y a néanmoins recours dans les exploitations quelque peu considérables.

Bien plus, dans la culture en grand des plantes sarclées, chaque espèce de plante a son instrument spécial dont on se sert pour l’arracher.

C’est ainsi qu’on a une machine pour arracher les pommes de terre, une charrue spéciale pour la carotte, la betterave, etc.

À défaut de ces instruments on emploie le buttoir ; c’est l’instrument le plus convenable.

Voici comment on le manœuvre.

On pique la charrue à deux oreilles dans la rangée qui contient les plantes et que l’on veut ouvrir pour que les racines soient mises à nu et on la pique de manière que dans sa marche elle passe en dessous des plantes qu’elle soulève, pour les faire tomber à droite et à gauche, dans les deux raies latérales.

Quand la première ligne est terminée, on passe, non pas à la seconde, mais à la troisième, puis à la cinquième, et ainsi de suite en laissant toujours alternativement une ligne non arrachée.

À mesure que la charrue chemine, on fait ramasser les plantes, afin qu’elles ne soient pas enterrées par la charrue lorsque le laboureur, revenant sur ses pas, ouvre les lignes qu’il avait abandonnées au premier tour.

Si l’on applique cette méthode à l’arrachage des pommes de terre, on la complète par un hersage en travers, suffisamment énergique, qui ramène alors à la surface une grande partie des tubercules qui auraient pu échapper à l’action du buttoir.

II
DESSICCATION.

Les plantes, après avoir été coupées ou arrachées, exigent un temps plus ou moins long pour que l’humidité dont elles sont chargées s’évapore ; cette humidité, tant qu’elle existe, du moins à un certain degré, ne permet pas d’engranger la récolte ; elle compromettrait sa conservation.

Les procédés de dessiccation varient suivant les différentes espèces de plantes qu’on a récoltées : l’air et la chaleur sont les deux grands moyens employés à cet effet.

Nous ne nous occuperons pas ici de la dessiccation des récoltes-racines, cette opération se réduisant en général à laisser les racines se ressuyer pendant quelques heures avant de les rentrer.

Pour les céréales, la dessiccation se fait en javelles ou en gerbes.

1oEn javelles.

Lorsque le grain est coupé on le laisse en javelles pendant quelques jours ; il y prend de la qualité.

Le but du javelage, pour toutes les céréales, est de compléter la maturité, qui s’accomplit alors sans que les grains éprouvent ce qu’on appelle le retrait qui diminue leur poids et leur volume, lorsqu’ils restent trop longtemps sur pied.

Les rosées de la nuit et les chaleurs du jour opèrent ces bons résultats.

Lorsqu’on récolte de bonne heure, et que le temps est au beau, c’est presqu’une nécessité de laisser mûrir le grain sur la javelle. Les avoines qui n’ont pas été javelées ne se battent pas bien et leur grain est moins lourd que celui des avoines javelées.

Il ne faut pas cependant pousser le javelage à l’extrême et attendre, comme le font beaucoup de cultivateurs, pour rentrer le grain, qu’il ait reçu une ondée. À la suite d’un javelage prolongé, le grain est trop souvent germé, avarié, et la paille noircie et rancie est rebutée par les animaux.

On retourne les javelles trois ou quatre jours après la coupe, afin de présenter leur surface inférieure à l’action de la rosée. On omet cette opération si les javelles ne sont pas trop épaisses.

Après huit à dix jours de javelage pour l’avoine, trois ou quatre jours pour les autres grains, on met le grain en gerbes, pourvu qu’il soit suffisamment sec, et on l’entre.

Quelle que soit la diligence d’un cultivateur qui a une forte récolte, il y a toujours une partie de sa moisson qui n’est récoltée qu’en pleine maturité, et quelquefois passé ce terme.

Dans ces circonstances, on lie immédiatement les grains, dès le lendemain de leur coupe, on les charge dans les voitures et on les rentre de suite.

Le javelage est également nécessaire pour que les plantes nuisibles mêlées aux tiges des céréales aient le temps de se dessécher, sans quoi il y aurait fermentation dans les gerbes.

Dans les temps pluvieux, on est souvent obligé de retourner fréquemment les javelles. Cette opération s’exécute ordinairement aussitôt que le dessus des javelles est desséché.

Chaque fois aussi que, par un mauvais temps, les javelles sont restées pendant deux jours dans une même position, après chaque forte averse qui les foule et les tasse, il faut de toute nécessité les retourner.

Les épis, en effet, sont alors pressés contre le sol, quelquefois même recouverts de terre que la pluie fait jaillir ; ils se trouvent donc dans les circonstances qui favorisent le plus puissamment la germination de leurs grains.

Dans de telles circonstances, on n’est plus qu’autorisé à retourner les javelles, sans attendre que leur partie supérieure soit desséchée.

On retourne les javelles avec une fourche spéciale, très large, ayant une courbe suffisante.

2oEn veillottes.

Si le temps est incertain, si la saison est pluvieuse, si l’on a enfin à redouter pour la récolte la funeste influence des pluies, il est bon, après deux ou trois jours de javelage, de mettre le grain en veillottes.

Quelquefois même on lie le grain aussitôt qu’il a été coupé, mais il faut pour cela que la récolte contienne peu d’herbe, que sa maturité soit avancée, qu’on opère par un temps sec.

On fait de petites gerbes qu’on attache avec des liens confectionnés par deux poignées de tiges qu’on réunit bout à bout.

Ces gerbes sèchent d’autant plus vite qu’elles sont moins volumineuses et qu’elles ont été liées par un temps plus sec.

La disposition des gerbes que l’on veut faire sécher est loin d’être partout la même.

Dans certaines localités, on les place en croix, les unes sur les autres ; ailleurs, on les dresse en cônes, présentant l’aspect d’une toiture à deux pans ; dans certains endroits, on prend une première gerbe qu’on place debout et autour de ce point central on dispose un certain nombre d’autres gerbes, inclinées légèrement à leur partie supérieure ; on recouvre le tout d’un chapeau formé par une gerbe fortement liée et placée de manière à ce que les épis regardent le sol ; enfin, et c’est le système le plus généralement employé par nos cultivateurs, on plante deux gerbes, l’épi en haut, on les appuie l’une sur l’autre, en écartant les deux bases et en aplatissant les épis de façon qu’ils forment une arête aiguë. À côté de ces deux premières, on en place deux autres, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on ait formé une réunion de trois, quatre et même cinq paires de gerbes.

Deux fortes gerbes, que l’on ouvre, enveloppent comme d’un manteau la partie supérieure de la veillotte ; ces gerbes ont l’épi tourné vers la terre.

On oriente les veillottes parallèlement au vent régnant, afin qu’elles opposent une plus grande résistance à son action.

Grâce à l’emploi des veillottes, on peut couper le grain avant sa complète maturité, puisque la direction presque verticale des tiges laisse à la sève dont elles peuvent être encore imprégnées la facilité de terminer, par sa marche ascendante, la maturation du grain.

La récolte est également mise à l’abri du mauvais temps, puisque la pluie, suivant la paille de la surface, descend jusqu’au pied sans pénétrer la gerbe, et que les épis, serrés vers le haut, forment un faîte impénétrable. La récolte, d’ailleurs, étant immédiatement liée, est prête à être portée dans la grange aussitôt qu’elle aura acquis le degré suffisant de sécheresse.

En revanche, ce procédé exige que la récolte séjourne plus longtemps sur le champ. En effet, les tiges réunies en gerbes sèchent moins rapidement que si elles étaient libres et espacées vers leur base ; aussi l’on doit laisser subsister les veillottes dix, quinze et même vingt jours, suivant l’état du grain lors de sa coupe, la plus ou moins grande quantité d’herbe qu’il contient et l’humidité plus ou moins forte de l’atmosphère.

Si une petite pluie survient pendant que l’on coupe le grain, les javelles coupées avant l’averse peuvent être liées et mises en veillottes sans inconvénient ; mais les tiges coupées pendant la pluie ou peu de temps après qu’elle a cessé de tomber, ne peuvent être liées que quand le soleil a fait disparaître cette eau adventice pour ne leur laisser que leur humidité de végétation. Il faut donc arrêter les moissonneurs, car la dessiccation s’opère beaucoup plus vite sur le grain encore debout que sur la javelle.

Quand on travaille le matin avant que la rosée n’ait disparu, il est prudent de laisser javeler jusqu’au midi avant de procéder au liage.

Quand on doit définitivement rentrer le grain, le matin de ce jour, toutes les veillottes sont renversées, afin que les gerbes éparses sur le champ puissent recevoir plus amplement une dernière fois l’influence des rayons solaires.

3oEn andains.

Le grain fauché est généralement mis en rangs au moyen de la fourche à foin et du râteau ; on l’amasse ainsi sur le milieu des planches, mettant généralement le produit de deux ou trois planches sur une seule, afin de faciliter plus tard le chargement du grain.

Placé ainsi sur le milieu de la planche, le grain souffre moins de l’humidité.

On lui donne d’ailleurs les mêmes soins que ceux exigés par les javelles, ayant la précaution de le retourner pour faciliter sa dessiccation, et de le retourner aussi souvent qu’il sera nécessaire pour empêcher la germination, pendant les années pluvieuses.

La récolte enlevée, on fait passer le râteau à cheval, ou, à son défaut, on se sert du petit râteau pour ramasser sur les champs les épis épars qui n’ont pas été mis en gerbes ou qui en sont tombés, ainsi que ceux que le grain fauché laisse toujours sur le sol.

III
CONSERVATION.

Les récoltes, particulièrement celles des céréales, sont rarement utilisées aussitôt après leur dessiccation.

Il faut néanmoins les placer à l’abri.

On a deux espèces d’abri : la grange et la cave. Les produits agricoles prennent donc l’une ou l’autre de ces deux routes, suivant que ce sont des grains ou des récoltes-racines.

1oEn grange.

La conservation des récoltes granifères a lieu dans des granges exemptes d’humidité.

Il faut donc, avant la saison pluvieuse, veiller aux réparations des toitures qui abritent les granges, avec autant de soin qu’à celle des habitations.

Les meilleures toitures pour la conservation des grains en grange aussi bien que celle des fourrages, sont celles qui sont couvertes en paille.

Ces couvertures sont plus économiques et bien autrement durables que le bardeau, qui ne protège qu’imparfaitement les récoltes contre l’ardeur du soleil, la pluie et surtout la neige. Sous le chaume, les récoltes sont abritées de la manière la plus absolue.

Malheureusement les chances d’accident par le feu sont tellement grandes, avec les couvertures en chaume, que cet inconvénient efface la plupart de leurs avantages.

Il est essentiel que dans la grange, les récoltes reposent sur un sol sec et élevé ou mieux encore sur un plancher qui les tienne à quelques pieds au-dessus du sol.

Si le grain que l’on rentre est en gerbes, on place ordinairement la première rangée de ces gerbes debout sur le plancher de la tasserie, l’épi en haut. Grâce à cette disposition, l’épi est éloigné du sol de toute la hauteur de la gerbe. Les autres gerbes sont couchées sur cette première rangée.

Les gerbes extérieures, celles qui touchent immédiatement au garde-grain et autres cloisons de la grange, sont disposées de manière à ce que leurs épis se dirigent vers l’intérieur de la tasserie. Ici encore les épis sont éloignés des différentes cloisons de séparation de toute la longueur de la gerbe.

Par ce double arrangement, les épis sont entièrement cachés et beaucoup plus difficilement accessibles aux souris qui cherchent à vivre aux dépens de la récolte.

Inutile d’ajouter que les différents grains doivent être séparés les uns des autres autant que possible.

Lorsque le plancher de la grange n’est pas parfaitement assemblé, qu’il présente des fissures, on recommande, surtout si le grain n’est pas en gerbes, de mettre d’abord un lit de paille ou de foin, sur lequel on verse ensuite le grain fauché.

2oEn cave.

Les récoltes-racines se conservent généralement en cave, à l’abri de la gelée.

Les pommes de terre se rentrent quelques heures après leur arrachage ; les betteraves, les navets, les carottes ne sont mis en cave que le plus tard possible. On en fait des meules qu’on recouvre des tiges de ces plantes, obtenues par le décolletage.

Lorsqu’on arrache les racines, on enlève la terre qu’elles peuvent garder en excès ; on coupe ensuite la tige, on la sépare de la racine à cet endroit de la plante qu’on appelle le collet ; c’est cette dernière opération qu’on appelle le décolletage.

Le moment arrivé, on rentre les racines, on les met en cave.

On ne saurait apporter trop de soin dans ce transport des racines ; il faut éviter de meurtrir les plantes, soit en chargeant, soit en déchargeant les voitures ; rien ne nuit davantage à la conservation des racines que ces contusions qu’elles reçoivent au moment où on les entasse.

Il y a toujours avantage, au moment de la récolte, à séparer les racines qui présentent quelques traces d’altération ; on les réserve pour l’alimentation immédiate du bétail. On place les racines saines, en couches peu épaisses, dans des caves aussi sèches que possible et bien aérées.

Les racines ainsi entassées dans les caves ont presque toujours à se débarrasser de cette humidité qui adhère à leur surface et qui occasionne souvent une fermentation accompagnée de chaleur, fermentation d’autant plus forte que l’humidité est plus abondante. Il est donc nécessaire de ménager des issues aux vapeurs qui se dégagent d’une masse aussi enfermée.

On conseille de saupoudrer les racines, surtout les pommes de terre, de chaux fusée bien sèche, au moment de les entrer en cave ; le plâtre cuit agit très bien, on l’emploie dans la proportion de deux à cinq minots par cent minots. Les racines non arrivées à maturité complète, qui contiennent par conséquent beaucoup d’eau de végétation, les racines malades même, enroulées dans le plâtre cuit, se conservent très bien, par la raison bien simple que cette substance absorbe l’excès d’eau, dessèche les parties malades, condense le tissu cellulaire, et prévient ainsi la pourriture.

Les différentes espèces de racines sont séparées les unes des autres et généralement on les enlève du contact toujours plus ou moins humide du sol en étendant sur ce dernier un lit de paille.

Si la cave n’a pas une surface bien étendue et qu’il faille alors amonceler les racines pour pouvoir les y loger toutes, on construit des tablettes munies d’un rebord qui leur donne la forme d’une boîte ouverte.

Ces tablettes, superposées les unes aux autres, permettent de donner en hauteur un logement qu’on ne peut obtenir par l’étendue.

De temps à autre, dans le cours de l’automne et de l’hiver, on visite les racines, ayant soin de séparer de la masse celles qui commencent à pourrir.

Ce triage est absolument nécessaire, car pour beaucoup de racines, les pommes de terre entre autres, la putréfaction a pour effet de réduire la plante affectée en un liquide fétide qui humecte les racines avoisinantes, en sorte que la pourriture gagne bientôt toute la masse.

IV
BATTAGE.

Toutes les plantes que l’on cultive pour leurs graines doivent être soumises, après la récolte, à une opération qui a pour but de séparer les graines de la tige.

Cette opération constitue le battage.

Elle s’applique aux céréales, aux différentes plantes légumineuses alimentaires, aux plantes, en général, dont on désire la graine, soit pour en faire des ensemencements, soit pour la livrer à des transformations industrielles.

Le battage s’effectue à bras d’hommes ou à l’aide de divers appareils mus par des moteurs animés ou inanimés.

On peut considérer dans tout battage, quel que soit l’instrument employé, deux opérations bien distinctes :

1oce que l’on peut appeler l’égrenage, qui est véritablement la séparation du grain de la paille ;

2ole vannage qui sépare le bon grain de la menue paille et des graines étrangères.

1oÉgrenage.

Nous considérerons dans tout battage son mode d’exécution : c’est à ce point de vue que nous avons le battage au fléau, exécuté à bras d’hommes, et le battage à la machine, effectué au moyen d’appareils particuliers.

a]Au fléau. — Le battage au fléau a lieu dans la grange, sur une surface unie, suffisamment dure et à laquelle on donne le nom d’aire.

C’est ce que nos cultivateurs appellent la batterie.

Le fléau se compose de deux bâtons attachés l’un au bout de l’autre au moyen de courroies.

Le grain est détaché de l’épi par les coups répétés de l’instrument frappant sur la tige et par le contrecoup et le soubresaut qu’elle en reçoit.

Chaque gerbe est battue tour à tour et pour que le battage soit complet elle doit passer huit fois sous le fléau : deux fois avant d’être déliée, quatre fois après l’avoir été, deux fois lorsque la paille est mêlée. On se dispense des deux dernières fois lorsque le grain est bien sec.

Le battage au fléau s’effectue avec lenteur ; il demande une surveillance journalière et très active, il use aussi la santé et la vie des batteurs qui s’y livrent continuellement, en faisant pénétrer dans leurs poumons une poussière malfaisante.

Ce sont ces inconvénients qui déterminent les cultivateurs, dans toute exploitation de quelque étendue, à substituer au battage au fléau le battage à la machine.

b]À la machine. — Les machines à battre sont des appareils dans lesquels on introduit les gerbes déliées ou le grain fauché pour que la paille et le grain en sortent tout séparés.

Elles sont presque toutes composées essentiellement d’un cylindre batteur se mouvant avec une plus ou moins grande vitesse tout près de la surface intérieure et immobile d’une portion de cylindre appelé contre-batteur.

Les machines à battre les céréales peuvent se partager en deux classes : celles qui ménagent la paille ou machines dans lesquelles la gerbe est introduite à peu près parallèlement à l’axe du cylindre batteur, et celles qui brisent la paille, ou machines dans lesquelles la gerbe est introduite perpendiculairement à ce même axe.

Les premières s’appellent machines en travers ; les dernières, machines en long.

Les machines à battre appartiennent en outre à des genres différents selon qu’elles sont fixes ou locomobiles ; qu’elles sont mues à bras d’hommes, par les chevaux, par le vent ou par la vapeur.

Ce sont les circonstances dans lesquelles se trouve l’exploitation agricole qui déterminent quelle est, parmi les machines à battre, celle que l’on doit choisir. Toutefois, lorsque l’on a arrêté la classe des machines que l’on devra choisir pour tirer le meilleur parti possible des conditions locales au milieu desquelles on est placé, la meilleure machine sera toujours celle qui demande le moins de force, produit le plus au meilleur marché pour donner tout ce qu’on a droit de lui demander.

Ainsi, dans le cas où l’on a peu de grain à battre, et où le temps ne presse pas, une machine à bras, si d’ailleurs on ne peut utiliser le vent, peut être excellente, pourvu qu’elle donne plus de grains, qu’elle fasse mieux, qu’elle produise à meilleur marché que le fléau.

Si l’on est près d’une ville où il y ait avantage à vendre une partie des pailles récoltées, il faut avoir recours aux machines en travers, afin de conserver les pailles intactes et plus vendables.

Si, au contraire, on veut faire consommer les pailles par le bétail, les machines en long sont de beaucoup préférables, parce que les pailles broyées forment un meilleur fourrage que les pailles entières.

Dans tous les cas, toutes choses égales d’ailleurs, c’est la machine à battre qui offre le plus d’économie dans l’exécution du travail ; à cet avantage elle en ajoute d’autres qui en augmentent beaucoup le prix. Elle donne en grain un excédent de produit très remarquable et qu’on peut évaluer à un vingtième de celui obtenu par le fléau. Cet excédent suffit donc à lui seul pour couvrir tous les frais du battage.

Quant au moteur, ce sont les circonstances locales qui déterminent celui que l’on doit adopter.

2oVannage.

Le grain battu doit subir une préparation préliminaire avant d’être livré à la consommation.

C’est celle du nettoyage. Cette opération porte le nom spécial de vannage.

Le procédé le plus ancien et le plus simple consiste à jeter le grain contre le vent au moyen d’une pelle. Le grain, plus pesant, tombe presque verticalement, et les corps légers sont emportés à une certaine distance.

Ce moyen fort usité anciennement l’est encore dans les pays où l’on bat en plein air.

Ailleurs, l’opération s’exécute dans l’intérieur des bâtiments, à l’aide d’un instrument particulier, appelé van.

On place dans ce van une certaine quantité de grain battu ; puis, secouant le van qu’on tient des deux mains, et qu’on appuie contre les cuisses, on fait sautiller le grain. Les corps les plus légers sont emportés par l’air, les autres se rassemblent à la surface du grain[sic] où il est facile de les réunir et de les enlever.

Mais ce mode de nettoiement ne suffit pas toujours pour débarrasser le grain de tout corps étranger : le calme de l’air est d’ailleurs un obstacle qui se prolonge parfois pendant plusieurs jours.

Aussi a-t-on remplacé, presque partout, le van par un instrument plus effectif, connu de nos cultivateurs sous le nom de crible, mais dont le nom véritable est celui de tarare.

Le tarare est un instrument indispensable dans toute culture soigneuse ; et quoiqu’il existe entre les divers modèles quelques différences de forme, ils se composent tous à peu près des mêmes parties combinées entre elles. Une trémie pour recevoir le grain ; une grille sur laquelle le grain tombe et passe ; un système de ventilation qui chasse au loin le sable, les graviers légers, la poussière, la menue paille, la balle ; des conduits qui séparent et font tomber distinctement le bon grain et les vannures (revannes) : telles sont les diverses pièces qui doivent entrer dans le système d’un tarare.

Nous n’avons pas besoin de répéter ici ce que nous avons dit des trieurs ; nous renvoyons le lecteur à l’article de la préparation du grain de semence.