Tao Te King (Stanislas Julien)/Chapitre 34

Traduction par Stanislas Julien.
Imprimerie nationale (p. 127-129).


CHAPITRE XXXIV.



大道汎兮,其可左右。萬物恃之而生而不辭,功成不名有。衣養萬物而不為主,常無欲,可名於小;萬物歸焉,而不為主,可名為大。以其終不自為大,故能成其大。


Le Tao (1) s’étend partout ; il peut aller à gauche comme à droite (2).

Tous les êtres comptent sur lui pour naître, et il ne les repousse point (3).

Quand ses mérites sont accomplis, il ne se les attribue point (4).

Il aime et nourrit tous les êtres, et ne se regarde pas comme leur maître (5).

Il est constamment sans désirs : on peut l’appeler petit (6).

Tous les êtres se soumettent à lui, et il ne se regarde pas comme leur maître : on peut l’appeler grand (7).

De là vient que, jusqu’à la fin de sa vie, le saint homme ne s’estime pas grand  (8).

C’est pourquoi il peut accomplir de grandes choses.


NOTES.


(1) E : Le mot fan (littéral. « flotter » ) veut dire ici que le Tao coule (s’étend) partout sans être arrêté par aucun obstacle.

Le commentateur C a pris de même le mot fan dans le sens de fan-lan 汎泛 « inundare. » Le Tao déborde partout, il n’y a pas de lieu où il n’arrive. B : Il coule partout, dans le ciel et la terre et dans le sein des dix mille êtres ; il est à droite, il est à gauche ; il n’a point de corps, point de nom déterminés.


(2) E : Cette expression veut dire que rien ne lui est impossible.


(3) E : Toutes les fois que les créatures commencent à naître, elles ont nécessairement besoin de l’assistance du Tao pour arriver à la vie. Le Tao leur fournit tout ce qu’elles lui demandent et ne les repousse jamais.


(4) E : Lorsque les créatures sont nées et formées, c’est au Tao qu’appartient le mérite de les avoir produites et nourries.

Lorsqu’enfin elles sont parvenues à leur entier développement, le Tao ne s’attache pas au mérite qui en découle, et ne les regarde pas comme son bien (littéral. « ne les nomme pas son avoir » ).


(5) E : Dans l’origine, il leur a donné la vie, et à la fin il les conduit à leur entier développement ; on peut dire qu’il aime et nourrit de la manière la plus parfaite tous les êtres de l’univers. Cependant, quoiqu’il comble les êtres de ses bienfaits, jamais il ne se regarde comme leur maître. En général, lorsqu’un homme s’est livré à un travail, il ne manque pas de se fatiguer. Qui pourrait, comme le Tao, suffire complètement au travail qu’exige la production des êtres, et ne refuser à aucun d’eux l’assistance dont il a besoin ?

Lorsqu’un homme a acquis du mérite, il ne manque pas de s’y attacher (et de s’en faire gloire). Qui pourrait, comme le Tao, parvenir au comble du mérite et le regarder comme s’il lui était étranger ?

Si quelqu’un nourrit lui-même un enfant, il devient nécessairement son maître. Qui pourrait, comme le Tao, porter au suprême degré la vertu qui fait aimer et nourrir les êtres, et ne pas les regarder comme son bien particulier ? C’est par là que le Tao est grand.


(6) A : Le Tao voile sa vertu et cache son nom. Il est constamment inerte ; il semble extrêmement petit et délié. E : Le Tao est calme et sans désirs ; il existe et il paraît comme n’existant pas ; il est plein et il paraît vide. On peut presque l’appeler petit.


(7) E : Quand tous les êtres se sont soumis au Tao, à la fin il se détache d’eux comme s’ils lui étaient étrangers. On peut l’appeler grand.


(8) E : Le cœur du saint homme ressemble au Tao. Quoique sa vertu soit extrêmement grande, jamais il ne se regarde comme grand. C’est par là qu’il est grand.