Tableau du royaume de Caboul et de ses dépendances dans la Perse, la Tartarie et l’Inde/Tome 1/Situation politique du royaume de Caboul


SITUATION POLITIQUE
DU
ROYAUME DE CABOUL.

GUERRE CIVILE.

Le roi actuel de Caboul, Schah-Shujau-oul-Moulk, régnoit depuis six ans : il avait succédé à son frère Mahmoud, déposé par suite d’une insurrection populaire. Son propre visir s’étoit révolté contre lui une année auparavant. Ayant étouffé cette sédition, il paroissoit affermi sur son trône, lorsque son frère Mahmoud, peu de temps avant mon arrivée, parvint à soulever les provinces de l’ouest, et à s’emparer de Candahar. Cependant Akram-Khan, général envoyé contre les rebelles, obtint de grands succès. On s’attendoit journellement à la nouvelle de la reprise de Cachemire, et de la pacification de l’ouest. Toutes ces espérances furent détruites par un message qui fut reçu le 23 avril, et annonça l’entière destruction de l’armée royale.

On ne tarda pas à apprendre que Schah-Mahmoud venoit de prendre Caboul, et qu’il s’avançoit à grands pas vers la capitale. On disoit que les peuplades voisines, disposées pour l’ancien chef, avoient des armes toutes prêtes, et n’attendoient que le moment de se déclarer. On comptoit peu sur les troupes qui devoient défendre la capitale : le bruit couroit mêmê que le roi avoit envoyé au loin ses effets les plus précieux, et se disposoit à abandonner la ville. Il est certain que pendant long-temps il n’y eut pas une seule nuit où l’on pût affirmer avec certitude qu’une révolution n’éclateroit pas avant le lever du soleil.

Cependant la ville resta parfaitement tranquille : on parloit ouvertement de l’état fâcheux des affaires, mais personne n’agissoit comme si une révolution prochaine eut dû éclater.

Cette terreur panique se dissipa enfin, l’ennemi resta tranquillement à Caboul, et s’affoiblit par des factions intestines. Akram-Khan rassembla les débris de l’armée de Cachemire, et y joignit des renforts.

Toutefois la situation du roi n’étoit rien moins que rassurante ; il manquoit surtout d’argent ; les seigneurs qui auroient pu le tirer tout à coup d’embarras, montroient un vil égoïsme. Akram-Kan lui-même, cause de tout ce désordre, étoit tellement aveuglé par son avarice, qu’il n’auroit pas voulu se dessaisir de la moindre partie des trésors amassés par son père et par lui-même.

Quelque temps après que les alarmes causées par les mauvaises nouvelles se furent dissipées, on arrèta un Indou sur le chemin de Caboul. Le bruit courut aussitôt dans Peshawer que cet homme étoit un de mes domestiques, porteur de mes dépêches pour SchahMahmoud ; on ajouta que le roi, furieux de notre perfidie, alloit mettre nos effets au pillage. Il résulta de ces impostures un grand trouble : toute la ville fut en rumeur ; le peuple prit les armes, alluma les mèches des mousquets, et fit foule à notre porte. Heureusement Akram-Khan lui-même vint nous rendre visite, et cela suffit pour calmer les inquiétudes.

Le roi ne negligeoit rien pour créer une armée formidable. La plupart des prisonniers de Cachemire eurent la liberté de retourner dans leurs foyers, mais il fallut les armer et les équiper de nouveau. L’armée étoit généralement mécontente ; les chefs n’aimoient point Akram-Khan ; les soldats, honteux de leurs désastres, se plaignoient de n’être point payés.

Le conseil du roi resta long-temps dans l’indécision ; enfin on résolut de marcher contre Caboul. Un coup de canon fut tiré à une heure fixée par l’iman, et bientôt après l’on dressa le munzil nouman du roi : c’est un obélisque de toile, dressé autour d’une perche de trente pieds de hauteur, de couleur rouge et surmonté d’un globe argenté ; il sert à marquer le lieu destiné au campement. On fit partir les tentes du roi : la plus belle avoit trente pieds de largeur sur une longueur énorme ; elle étoit formée de châssis revêtus de toiles de diverses couleurs. Le sommet étoit couleur ponceau, et soutenu par quatre perches ayant chacune à leur extrémité supérieure un globe d’argent. Il y avoit par derrière plusieurs autres tentes plus petites, et le tout étoit entouré d’une clôture d’étoffe de coton montée sur des châssis. Deux équipages de tentes semblables accompagnent toujours le roi ; on transporte de plus une maison de bois, haute de deux étages, que cent ouvriers peuvent dresser en une heure.