Tableau du royaume de Caboul et de ses dépendances dans la Perse, la Tartarie et l’Inde/Tome 1/Situation géographique du royaume de Caboul


SITUATION GÉOGRAPHIQUE
DU
ROYAUME DE CABOUL.

NATIONS DIVERSES
QUI EN COMPOSENT LA POPULATION.

Il seroit difficile d’assigner avec certitude les limites de ce royaume. Il s’étendoit autrefois jusqu’au seizième degré de longitude, à partir de Sirhind, à environ cinquante lieues de Delhy jusqu’à Mesched, qu’une égale distance sépare de la mer Caspienne. Sa largeur s’étendoit de l’Oxus au golfe Persique, et cet espace comprenoit treize degrés de latitude, plus de trois cents lieues.

Ce grand empire a récemment souffert d’énormes diminutions, et ses dissensions intestines ne permettent point au roi d’exercer son autorité sur plusieurs des contrées qui lui appartiennent. Dans cette incertitude j’adopterai la méthode des Asiatiques eux-mêmes. Je considérerai la souveraineté du roi de Caboul comme assise sur toutes les contrées où se lit la formule de prière mahométane en son honneur, dite le Koutba, et dans lesquelles on frappe monnoie en son nom.

D’après cette base, le royaume actuel de Caboul s’étend de l’ouest de Héraut, par soixante-deux degrés delongitude, jusqu’à la frontière orientale de Cachemire par soixante dix-sept degrés de longitude. Sa latitude septentrionale depuis l’embouchure de l’Indus jusqu’à l’Oxus, est du vingt-quatrième au trente-septième degré.

Il est vrai que tout l’espace compris dans ces limites n’appartient pas au roi de Caboul. Il est des contrées qui ne lui rendent qu’une obéissance purement nominale.

Suivant les cartes les plus récentes, ce royaume comprend l’Afghanistan et le Ségistan, une partie du Korasan et du Makran ; Balk, en Tartarie, avec Tokarestan et Kilan ; Kultore, Caboul, Candahar, Sindy et le pays de Cachemire ; une portion du pays de Lahore et la plus grande partie du pays de Moultau.

La population entière ne peut être inférieure à 14,000,000 d’âmes. Les nations suivantes contribuent à cette masse dans la proportion que voici :


Âmes.
Afghans 
 4,300,000
Beloches 
 1,000,000
Tartares de toutes les trib. 
 1,200,000
Persans, y compris les Tanjiks 
 1,500,000
Cachemiriens, Jutes et autres Indiens 
 5,700,000
Tribus diverses 
 300,000
___________
Total 
 14,000,000


Si nous traversons l’Indoustan et le pays de Caboul de l’est du Bengale à Héraut, nous trouvons ce pays presque partout borné au nord par une chaîne de montagnes couvertes de neiges éternelles. Cette chaîne commence près du fleuve Burrampouter, et se dirige au nord-ouest jusqu’au pays de Cachemire. Quelques ramifications de ces hauteurs s’étendent jusqu’en Perse, ce qui justifie l’opinion des anciens, qui regardoient cette chaîne comme liée au Caucase.

Le désert qui a environ cent trente lieues de l’est à l’ouest, entièrement inhabité dans quelques endroits, offre ailleurs une misérable population disséminée dans plusieurs villages, et cette partie ne laisse pas d’être cultivée. La plus grande portion se compose de collines sablonneuses ou de plaines d’argile durcie.

Afghanistan.

Les Afghans n’ont point de nom général pour leur contrée, mais on emploie communément dans les livres celui d’Afghanistan, qui sans doute a été d’abord imaginé en Perse, et qui n’est pas inconnu des habitans du pays.

Toute cette contrée est montagneuse. La principale chaîne consiste dans le Caucase indien qui est toujours couvert de neige ; on l’aperçoit de la Bactriane, des froutières de l’Inde, et de plusieurs lieux de la Tartarie.

La hauteur effrayante de ces montagnes, la magnificence et la variété de leurs pics, l’idée des nations diverses qui les contemplent à la fois, et semblent faire un point central de réunion, la majestueuse et paisible solitude qui règne au milieu de ces neiges éternelles, tout remplit l’esprit d’une admiration et d’un étonnement inexprimable. L’élévation d’un des pics, calculée par le lieutenant Macartney, est de vingt mille quatre cent quatre-vingt-treize pieds anglais ; ce qui excéderoit la hauteur des Andes du Pérou.

De tous les fleuves qui arrosent cette contrée, l’Indus est sans contredit le plus célèbre. La longueur de son cours, le volume des eaux qu’il charrie dans l’Océan, le placent au premier rang parmi les fleuves de l’univers. Son cours a quatre à cinq cents lieues de développement, et plusieurs de ses rivières tributaires n’ont guère moins d’étendue que les fleuves les plus considérables d’Europe.

L’Oxus est presque aussi fameux dans l’histoire. Réuni à d’autres rivières, il forme le fleuve de Caboul qui est fort inférieur à l’Indus, puisqu’on le traverse à gué en plusieurs endroits dans le temps sec.

Climat.

Les averses subites que nous éprouvons en Europe sont inconnues dans ces contrées ; les pluies y sont périodiques ; leur retour régulier y détermine les travaux de l’agriculture.

La saison pluvieuse la plus remarquable est celle qu’on appelle la mousson du sud-ouest. Au sud de l’Inde, cette mousson commence au mois de juin ; mais elle est retardée de plus en plus dans le nord.

Son approche est annoncée par de grandes masses de nuages qui semblentsortir de l’Océan indien, et se dirigent au nord-est. Après quelques jours d’un temps menaçant, le ciel se couvre tous les soirs, et c’est d’ordinaire pendant la nuit que l’orage éclate. On ne sauroit se faire idée, à moins d’en avoir été témoin, des tempêtes furieuses qui règnent dans cette saison.

Enfin le tonnerre cesse, et à son fracas épouvantable succède le bruit des torrens de pluies, et des eaux qui s’écoulent avec rapidité sur les flancs des montagnes. Les rivières se gonflent, elles entraînent dans leur cours les haies, les chaumières et les restes des récoltes qu’on n’a pas eu le temps d’enlever.

Le choc des élémens dure quelques jours ; ensuite le ciel s’éclaircit, et la face de la nature est changée comme par enchantement. Avant les orages les campagnes étoient desséchées ; on n’y auroit pas découvert un brin d’herbe, excepté dans les lits des rivières. Aucun nuage ne se montroit sur l’horizon ; mais la pureté de l’air étoit troublée par des tourbillons de poussière qui interceptoient les rayons même du soleil ; un vent dévorant souffloit comme s’il fût sorti d’une fournaise ; il échauffoit le bois, les pierres et les métaux, même à l’ombre ; immédiatement avant la mousson, ces vents avoient fait place à un calme encore moins supportable. Mais lorsque la première violence de la tempête est calmée, toute la terre se couvre d’une verdure charmante : les rivières coulent paisiblement dans leurs lits ; l’air est pur et délicieux ; le ciel se couvre çà et là de légers nuages. L’effet de ce changement est visible sur les animaux eux-mêmes, qui semblent reprendre un nouvel être.

À partir de cette époque, il tombe encore de la pluie de temps en temps, durant un mois. Elle recommence ensuite avec violence, et la saison pluvieuse est dans toute sa force au mois de juillet. Les pluies cessent par degrés en septembre ; mais leur départ comme leur arrivée s’annonce par des tempêtes et par les éclats de la foudre.

Telle est la marche ordinaire de la mousson dans l’Inde. Les montagnes du Caboul et de l’Afghanistan y causent quelque dérangement.

La seconde saison pluvieuse est celle d’hiver : elle se manifeste par la chute des pluies ou des neiges, suivant la température du lieu. Ces pluies sont très-abondantes depuis l’Indus jusqu’aux Dardanelles ; mais dans l’Indostan même elles durent à peine deux ou trois jours vers Noël, et ont une influencera peine sensible sur la culture.

Les pluies du printemps tombent pendant quinze jours, ou pendant un mois, suivant les contrées.

Lorsque l’ambassade arriva à Peshawer, sur la fin de février 1809, l’air étoit froid pendant la nuit, mais agréable pendant le jour, et la chaleur même du soleil n’étoit pas excessive. La terre se couvroit souvent d’une gelée blanche le matin. Au mois de mars, la température s’échauffa par degrés. Le printemps se manifesta avec promptitude. Dans la première semaine de mars, les pêchers et les pruniers commencèrent à fleurir ; les pommiers, les coignassiers, les mûriers les suivirent de près, et à la fin du même mois les arbres étoient entièrement garnis de feuilles. Dans les premiers jours d’avril, l’orge monta en épis, et on le coupa au mois de mai. Depuis ce temps la chaleur ne cessa d’augmenter, et fut insupportable même la nuit jusqu’au mois de juin. Alors un vent chaud de nord-ouest qui avoit soufflé toute une semaine, fit place à une fraîcheur désagréable le matin, mais qui plaisoit le reste du jour.

Le froid n’est pas très-dur en hiver, quoiqu’il gèle fréquemment la nuit et le matin ; mais le dégel suit immédiatement le soleil levé. Il n’y avoit que les vieillards qui se souvinssent d’avoir vu de la neige.

Animaux, Végétaux et Minéraux.

Le lion, quoique fort commun en Perse, est très-rare dans l’Afghanistan ; on ne trouve de ces animaux que dans les montagnes près de Caboul ; ils sont petits et foibles, comparés à ceux d’Afrique. Comme je n’en parle que par ouï-dire, je doute même que ce soient des lions.

Les tigres et les léopards infestent la plupart des forêts ; les loups, les hyènes, les jackalls, les renards et les lièvres fourmillent dans tout le pays. Les loups sont la terreur des contrées froides en hiver. Rassemblés en troupes ils détruisent le bétail, et quelquefois ils attaquent les hommes eux-mêmes. Les hyènes ne se réunissent pas, elles vont seules chercher leur proie, et font beaucoup de dégâts parmi les moutons. On apporte beaucoup de lièvres au marché de Caboul ; on en vend deux pour une roupie (vingt-cinq sous la pièce).

Les ours infestent les montagnes boisées, mais ils sortent rarement de leurs tanières, si ce n’est à l’époque de la plantation des cannes à sucre, dont ils sont très friands. Il y en a de deux espèces, l’une noire, l’autre d’un blanc sale ou plutôt jaunâtre.

Les sangliers fourmillent dans la Perse et dans l’Inde, ils sont rares dans le pays de Caboul. L’âne sauvage se plaît dans le pays des Douraunées, dans le Gumsihr et dans la contrée sablonneuse, au sud de Candahar. On voit dans toutes les montagnes des daims, des cerfs et des élans ; les gazelles sont rares, et ne fréquentent que la plaine. Les moutons et les chèvres sauvages abondent dans les montagnes orientales.

L’espèce de daim la plus remarquable est le pauzers de Perse. Cet animal a un bois d’une hauteur singulière ; il exhale une odeur très-forte, mais qui n’est pas sans agrément. Le vulgaire s’imagine qu’il se nourrit de serpens ; on regarde comme un remède infaillible contre la morsure de ces reptiles, le bezoar, espèce de concrétion verte qui se trouve dans ses entrailles.

Je ne parlerai pas des porc-épics, des hérissons, des singes, des chiens sauvages et des taupes. Le roi possède un petit nombre d’éléphans, mais ils viennent de l’Inde ; ni cet animal, ni le rhinocéros, ne se trouvent naturellement dans ce pays.

On élève une quantité considérable de chevaux ; les plus beaux sont ceux de la province de Héraut. J’en ai vu un ou deux qui auroient pu passer pour des chevaux arabes d’une race supérieure.

On fait peu d’usage des mulets dans l’Inde, et l’espace en est la plus misérable qui existe ; mais en s’avançant vers l’ouest, leur race et celle de l’âne s’améliorent, parce qu’on s’en sert plus fréquemment pour les transports.

Les chameaux sont les bêtes de somme les plus usitées. Le dromadaire (à une seule bosse) se trouve dans tout le plat pays ; le chameau de la Bactriane (à deux bosses) est plus rare.

Les bufles, qui aiment les pays chauds et humides, sont naturellement peu communs. Les bœufs servent la culture des terres ; ils ont une bosse comme ceux de l’Inde, mais sont d’une qualité inférieure.

Les troupeaux se composent principalement de moutons et de ceux de l’espèce appelée doumba en Perse. Ils ont une queue d’un pied de longueur, composée presqu’entièrement de graisse.

Les chiens méritent d’être mentionnés. Les lévriers sont excellens, et les bergers qui aiment beaucoup la chasse en élèvent un grand nombre. Les chiens braques ressemblent à ceux d’Europe, et sont assez communs.

Les chats de l’espèce à longs poils sont exportés en grand nombre.

Quant aux oiseaux, ils consistent en deux ou trois sortes d’aigles, et plusieurs variétés de faucons. Une de ces espèces, nommée chirk, est employée à la chasse de l’antilope ; elle s’attache à la tête de ce léger quadrupède, et le retient jusqu’à l’arrivée de la meute.

Le gibier volatile ne manque pas ; les hérons, les grues, les cigognes, les oies, les canards, les perdrix, les cailles, etc. fourmillent de tous côtés, ainsi que les pigeons, les tourterelles, les corbeaux et les passereaux. Les coucous, très-rares dans l’Inde, et les pies qui y sont inconnues, abondent dans les contrées froides de l’Afghanistan ; les paons n’y sont élevés que comme oiseaux domestiques. Les perroquets et les coracias ne se trouvent que dans les districts orientaux.

Les reptiles méritent peu de détails. La plupart des serpens ne sont pas venimeux ; en revanche les scorpions sont énormes, et ont un venin subtil ; mais ils piquent rarement, et l’effet n’en est guère dangereux. Je n’ai presque point entendu parler des poissons du pays ; il y a beaucoup de tortues d’eau douce ; les crocodiles sont inconnus.

Les sauterelles arrivent rarement en masses formidables ; cependant ce sont elles qui causent quelquefois par leurs ravages des famines dans le Khorasan. Les abeilles sauvages sont communes dans tout le pays, mais c’est seulement à Cachemire qu’on les élève dans des ruches.

Ce pays n’ayant pas encore été fréquenté par des botanistes, il me seroit difficile d’offrir une notice exacte sur le règne végétal. On y trouve très-peu de ces grands arbres, communs dans l’Inde et inconnus en Europe, tandis que la plupart de nos arbres abondent dans l’Afghanistan. Nos meilleurs arbres fruitiers y croissent dans l’état sauvage.

Les arbres les plus communs dans les montagnes sont les pins ; une des espèces produit des cônes plus gros que nos artichauts, et dont les amandes ressemblent à celles des pistaches. On y compte deux espèces de chênes, des cèdres, une sorte de cyprès gigantesque, le noyer et l’olivier sauvage. Je crois qu’on y trouveroit aussi le bouleau, le houx et le coudrier, et trois espèces d’arbres à mastic. Le pistachier croît spontanément dans la chaine du Hindou-Cousch. Dans les plaines, les arbres sauvages les plus ordinaires sont le mûrier, le tamarin, le saule vulgaire, le saule pleureur, le palmier, le plane et le peuplier.

Le plus célèbre des arbustes est l’arghawan, qui porte dans le pays le même nom que l’anémone, et parvient souvent à la hauteur d’un arbre.

On trouve dans les jardins nos fleurs d’Europe, telles que les roses, le jasmin, le pavot, le narcisse, la jacinthe, la tubéreuse, etc. Quelques-unes viennent sans culture.

Ce que j’ai à dire du règne minéral se borne à peu de choses.

Il n’y a point de mines d’or dans l’Afghanistan, mais le sable de quelques rivières recèle des particules de ce précieux métal. Suivant une tradition fabuleuse, il croît de l’or végétal dans le pays des Eusofzyes : cette fable a sans doute pour origine les parcelles que la retraite des rivières laisse quelquefois sur l’herbe des champs.

On trouve un peu de minerai d’argent dans le pays de Caufirs. Il existe çà et là quelques mines de rubis et de lapis-lazuli.

Les mines de plomb, d’antimoine et de fer, s’exploitent avec avantage. Il y a du soufre natif dans deux provinces, des mines de sel gemme dans la province de Bulk. On obtient aussi du sel en faisant évaporer l’eau des salines de Khorasan.

La surface du sol présente presque partout des efflorescences de salpêtre. On extrait de l’alun du sol argilleux de Calla-Baugh, et l’orpiment se trouve en abondance dans les pays de Bulkh et de Hazaureh.