Suite des Réflexions critiques sur l’usage présent de la langue française/Addition

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ADDITIONS DE QUELQUES
Remarques.

Abregement.


Exemple. Le plus grand abregement que l’on puisse trouver dans l’étenduë des Sciences, est de ne s’appliquer jamais à la recherche de tout ce qui est au dessus de nous. Le terme, avec ce qu’il est déja fort commode, est tout-à-fait bon : & n’en déplaise à l’Auteur des Remarques nouvelles, Monsieur Richelet a raison de dire que l’Auteur des Doutes sur la Langue, a jugé de travers en condamnant ce mot.



Attache,
Attachement.


Ce sont deux choses differentes d’assûrer quelqu’un de nôtre attache, & de l’assûrer de nôtre attachement : L’attache va aux sentimens tendres du cœur, & l’attachement marque un devouëment respectueux pour le service de la personne. On assûre de son attache un inferieur ou un égal, & de son attachement une personne superieure.



Bourgeois.


L’Homme à Remarques dont nous avons déja rapporté de si beaux exemples, se trompe un peu, quand il pretend que l’Avocat dont il parle dans sa grotesque Observation sur maison de Campagne, n’étoit qu’un simple Bourgeois, je ne croyois pas qu’on pût penser que ce fut déroger à la Noblesse, que d’être Avocat au Parlement de Paris. C’est assez pour un Grammairien de pecher dans les mots, sans encore pecher ainsi dans les choses.



En comparaison, à comparaison.


L’Auteur des Remarques nouvelles trouve étrange que j’aye condamné à comparaison, & que j’aye avancé qu’il falloit dire, en comparaison. Il ajoûte que je fais en cela tout d’un coup le procés aux plus celebres Academiciens & à l’Academie toute entiere ; mais il a beau faire, à comparaison n’en deviendra pas meilleur. Je me suis proposé dans mes Réflexions de faire voir l’usage present de nôtre Langue, & non celuy qui est passé ; & quand je dis que l’usage qui est le maître, n’a point autorisé à comparaison, j’entends parler de l’usage d’aujourd’huy, & non d’un autre, comme le fait voir le titre même de mon Livre : mais M. d’Ablancourt s’est servi d’à comparaison, & M. de Vaugelas aussi. Belle raison pour un homme qui sçait la Langue ! comme si c’étoit une consequence que tous les termes dont M. d’Ablancourt & M. de Vaugelas se sont servis, dûssent être en usage aujourd’huy. Nôtre Auteur devroit approuver tout d’un tems déconfire & n’agueres, parce que M. d’Ablancourt s’est servi de l’un, & M. de Vaugelas de l’autre.

Il n’y a rien qu’on ne dût recevoir, s’il suffisoit pour justifier une expression, que d’habiles Ecrivains l’eussent employée ; il faut déferer à l’autorité des grands hommes, mais il n’y faut pas déferer par tout & sans discernement. Je fais, me dit-on, le procés à l’Academie toute entiere en condamnant à comparaison, point du tout, & celuy qui le dit n’est pas sincere, puisque de son aveu même, le Secretaire de l’Academie lequel parle si bien, & auquel il a dedié ses Remarques, dit en comparaison, & non, à comparaison. Vous vous attachez à des choses qui ne sont rien en comparaison de celles-ci[1]. Mais nôtre Auteur ne sçait peut-être pas qu’il n’y a aucun Academicien aujourd’huy qui ne condamne à comparaison, & qui ne se serve d’en comparaison. Voilà comme je fais le procés à l’Academie.

Mais voyons si ce Grammairien qui paroît prendre si fort en main les interests de l’Academie, est effectivement si zelé pour ce Corps illustre. Je ne veux, pour le donner à connoître, que ces paroles si modestes qu’il a écrites quelque part : Que la France luy a bien plus d’obligation qu’à Messieurs de l’Academie Françoise[2] : Que ceux-ci ne redressent que les paroles, mais que pour luy il redresse le sens ; franchement il auroit eu besoin qu’on le luy redressât un peu à lui-même, quand il a parlé de la sorte.



Pour, par.


Faut-il dire, cette Ville est fameuse pour son Antiquité, ou par son antiquité ; je crois que pour est meilleur, & c’est aussi comme parle M. de Vaugelas, Alexandre vint à Sidon Cité fameuse pour son Antiquité[3], & pour la renommée de ses Fondateurs. Cét Exemple en peut faire entendre plusieurs autres, où l’on est souvent en doute.



Estre ravi de joye.


Dans la Remarque sur être ravi de joye, j’ay rapporté ces paroles de l’Evangile[4] : Vous serez bien-heureux lorsque les hommes vous chargeront d’injures, qu’ils vous persecuteront, & qu’à cause de moy ils diront faussement toute sorte de mal contre vous, réjoüissez-vous alors & soyez ravi de joye. Et j’ay dit que cette proposition : Soyez ravi de joye étoit conditionnelle ; mais j’ay oublié de faire remarquer qu’elle l’étoit plus dans le sens que dans les termes ; car aprés ces mots : Réjoüissez-vous alors & soyez ravi de joye, il faut sous-entendre : Si vous voulez agir conformément à vôtre bonheur ; ou quelque autre chose de semblable : Ce qui s’accorde avec ce que l’Evangile ajoûte incontinant aprés ; Car une grande recompense vous est reservée dans le Ciel. Or il suffit, comme je l’ay observé, que la proposition soit conditionnelle, pour que l’on puisse dire : Soyez ravi de joye, sans que la Critique de l’Auteur des Remarques nouvelles ait le moindre lieu. La crainte de ne m’être pas assez bien expliqué là-dessus, m’a obligé à ce petit éclaircissement.



Exemple encore sur le mauvais arrangement des mots.


Entre les Exemples que j’ay rapporté sur le mauvais arrangement des mots, j’ay oublié de mettre celuy-ci. J’avouë qu’il est difficile d’éviter quelquefois ces inconveniens ; mais j’ose dire qu’on en vient à bout quand on veut s’en donner la peine[5]. Il y a là un mot de dérangé, c’est le mot de quelquefois, qui devoit être devant éviter ; car il falloit : j’avouë qu’il est difficile quelquefois d’éviter ces inconveniens, autrement on n’exprime pas sa pensée ; ceux qui sçavent un peu ce que c’est que la délicatesse de nôtre Langue, sentiront bien ce que je veux dire.

S’il y avoit, j’avouë qu’il est difficile de ne pas tomber quelquefois, ou de s’empêcher de tomber quelquefois dans ces inconveniens, alors le mot de quelquefois seroit bien placé. Il est important de bien prendre garde à ces sortes d’Exemples, car rien ne sert plus à se perfectionner, que de remarquer les fautes d’autruy.



Loup Ravisseur, Loup Ravissant.


Il faut dire Loup ravisseur. Défiez-vous de ces faux Prophetes qui viennent à vous couverts de peaux de brebis, & qui au dedans sont des Loups ravisseurs. Je sçay bien que d’excellens Traducteurs ont mis Loups ravissans ; mais c’est une faute qui leur est échappée. Ravissant ne se dit gueres qu’au figuré & encore en bonne part.



Equivoques.


Si l’on trouve que je n’aye pas rapporté assez d’exemples dans la Remarque sur les Equivoques, on peut ajoûter celui-cy, qui en vaut bien plusieurs autres. Il est de l’Auteur des Remarques nouvelles dans sa sçavante Remarque de l’ablatif absolu[6] ; Comme nôtre Langue vient de la Langue Latine, nous avons imité les Latins dans quelques-unes de ces Locutions, mais il ne nous est pas permis d’en faire comme eux autant qu’il nous plaît.

Quand l’Auteur voudroit dire qu’il étoit permis aux Latins de faire de ces Locutions autant qu’ils vouloient, au lieu qu’à nous la même chose n’est pas permise ; il ne s’exprimeroit pas autrement, il a voulu mettre sans doute : Mais il ne nous est pas permis d’en faire de semblables aux leurs autant qu’il nous plaît. Du moins c’est le seul sens raisonnable qu’on puisse donner à ces paroles ; car l’autre ne seroit pas d’un homme qui sçauroit un peu la Langue Latine : Et si nôtre Grammairien s’avisoit de le défendre, il ne seroit pas mal-aisé de lui faire voir son erreur.



Hors la Ville,
Hors de la Ville.


C’est quelque chose de curieux que l’Observation qu’a faite là-dessus, l’Auteur des Remarques nouvelles : Il ne veut pas qu’on dise hors la Ville, parce que, selon luy, hors la Ville, semble vouloir dire : excepté la Ville ; cela est judicieux & digne d’un habile homme ! Mais à parler serieusement, comment ce Grammairien n’a t-il pas pris garde qu’on peut dire : hors la Ville, pour, hors de la Ville, comme on dit, prés le Palais, prés l’Eglise, pour dire : prés du Palais, prés de l’Eglise. Il y a même des occasions où hors la Ville est meilleur que, hors de la Ville. Par exemple, les ennemis qui sont aux portes d’une Ville sont hors la Ville, & ce seroit mal dit, hors de la Ville ; mais si les ennemis y étant entrez, on les en avoit chassez, alors ce seroit bien parler que de dire, qu’ils sont hors de la Ville. On dit encore s’aller promener hors la ville, demeurer hors la ville, avoir un petit Jardin hors la ville, & Mr de Vaugelas, que nôtre Grammairien s’avise de reprendre ici fort mal à propos, dit hors la ville dans une occasion semblable. Quoi-que descendu de la tige Royale, il étoit contraint pour vivre de travailler à la journée en un Jardin hors la ville.[7] L’Auteur des Remarques nouvelles decide avec trop de précipitation, il ne consulte que les idées qu’il se forme dans son cabinet, au lieu d’examiner l’usage qui est l’unique regle qu’on doit suivre dans la Langue.



President au Mortier, à Mortier.


L’auteur des Remarques nouvelles pour prouver que President au Mortier est meilleur que à Mortier, dit que nous n’appellons pas ces femmes qui portent sur leur teste des pots de lait, la femme à lait, mais la femme au lait ; & qu’ainsi il faut dire President au Mortier & non à Mortier : la comparaison est heureuse, & tout-à-fait juste : Il me semble cependant qu’en en faisant une aussi noble, on pourroit objecter à nôtre Auteur, qu’on dit vache à lait, & non vache au lait ; c’est dommage qu’il n’ait pas examiné cette belle difficulté, il ne manquoit que cela pour épuiser sa Remarque ; car enfin, si femme au lait prouve qu’il faut dire President au Mortier, pourquoy vache à lait ne prouvera-t-il pas qu’il faut dire President à Mortier. L’exemple est également noble & également juste. Mais pour laisser ces pauvretez & venir à la question, je dis que President au Mortier est meilleur que à Mortier, indépendamment de la femme au lait de nôtre Grammairien ; J’ay fait une Remarque là-dessus dans mon premier Volume, on y peut recourir, je ne la repeteray point.



Occasionner.


Je ne devrois point parler de ce terme dont se servent quelques personnes : il est si mauvais qu’il ne merite pas une Remarque. Ceux qui l’employent le plus sont d’une profession, où un mauvais coup est bien plus à craindre qu’un mauvais mot, Mr Furetiere a mis occasionner dans son Dictionnaire : le mauvais traitement qu’on luy a fait, est ce qui l’a occasionné de s’en vanger quand il a trouvé son avantage. Mais autre chose est de rapporter un mot dans un Dictionnaire, où l’on se propose de tout mettre, & autre chose de l’approuver.



Rien.


L’Auteur des Remarques nouvelles pretend que c’est une regle juste, qu’il faut mettre l’article de quand un verbe précede Rien, mais il se trompe. Je conviens qu’il faut dire, je n’ay rien de si cher que vôtre amitié, & non je n’ay rien si cher, qui seroit un langage barbare ; mais il ne s’ensuit pas qu’on doive dire, je n’ay rien de tant à cœur que cela, pour dire : je n’ay rien tant à cœur. Le de aprés rien seroit une faute en cét endroit. Nôtre Auteur est sujet à donner pour bonnes, de tres-mauvaises regles.



Retranchement vitieux de ne


En parlant des retranchemens vitieux, j’ay rapporté cét Exemple d’un Traducteur de l’Imitation : Vous craignez qu’on vous méprise, & j’ay dit qu’il falloit avoir mis qu’on ne vous méprise : mais j’ay oublié d’y joindre encore celui-ci, qui est tiré de l’Auteur des Remarques nouvelles. Je crains que cette repetition ne déplaise aux personnes de bon goût & que l’Auteur seul en soit content. Il falloit : & que l’Auteur n’en soit content tout seul, ou bien : & qu’il n’y ait que l’Auteur seul qui en soit content : car on ne dit point craindre que quelqu’un soit, que quelque chose soit ; pour, que quelqu’un ne soit, que quelque chose ne soit ; craindre veut toûjours ne aprés soy, pourvû que la proposition soit affirmative ; car lors qu’elle est negative, on sçait bien qu’on ne met point la particule. Ainsi on dit je crains que cela ne soit, je ne crains pas que cela soit, je crains qu’il ne soit content, je ne crains pas qu’il soit content, &c.

Au reste, je me suis apperçû que les fautes de l’Auteur des Remarques nouvelles, & celles du Traducteur de l’Imitation, se rapportoient assez souvent.

  1. Pratique de la perfection Chrétienne.
  2. Lettre à une Dame de Province.
  3. Quinte-curse.
  4. P. 292.
  5. Suite des Remarques sur la Langue Franç. P. 245.
  6. Suite des Remarques nouvelles. P. 259.
  7. Quinte-curse.