Souvenirs : Enfance
Traduction par Arvède Barine.
Librairie Hachette et Cie (p. 93-103).


XXIII

DERNIERS SOUVENIRS TRISTES


Maman n’était plus, et notre vie continuait à tourner dans le même cercle. Nous nous levions et nous nous couchions aux mêmes heures et dans les mêmes chambres. Le thé du matin, le thé du soir, le dîner, le souper, tout était comme par le passé. Les tables et les chaises étaient à leurs places habituelles. Rien n’était changé dans la maison et dans notre existence ; seulement elle n’y était plus…

Il me semblait qu’après un malheur pareil tout aurait dû changer, que notre train de vie accoutumé était une offense pour sa mémoire et faisait sentir trop vivement son absence.

La veille de l’enterrement, après le dîner, j’avais eu envie de dormir et j’étais allé dans la chambre de Nathalie Savichna avec l’intention de m’étendre sur son bon lit de plumes, sous le chaud couvre-pieds piqué. En entrant, je la trouvai couchée et ayant l’air de dormir. Au bruit de mes pas, elle se souleva, ôta un fichu de laine destiné à garantir sa tête des mouches, arrangea son bonnet et s’assit sur le bord du lit.

Il m’était déjà arrivé souvent d’aller après le dîner faire un somme dans sa chambre. Elle devina donc pourquoi j’étais venu et me dit en faisant un mouvement pour se lever : « Eh bien ! mon petit pigeon est venu se reposer ? Couchez-vous.

— Quelle idée, Nathalie Savichna, dis-je en l’arrêtant par le bras. Ce n’est pas du tout pour ça… J’étais venu… Vous êtes fatiguée ; couchez-vous plutôt.

— Non, mon petit père, j’ai bien assez dormi, me dit-elle (je savais qu’elle ne s’était pas couchée depuis trois jours). Et puis ce n’est pas le moment de dormir, » ajouta-t-elle avec un profond soupir.

J’avais envie de causer un peu de notre chagrin avec Nathalie Savichna. Je connaissais sa sincérité et son attachement et il m’aurait été doux de pleurer avec elle.

« Nathalie Savichna, dis-je après un instant de silence en m’asseyant sur le lit, est-ce que vous vous y attendiez ? »

Elle me regarda d’un air perplexe et curieux, ne comprenant pas pourquoi je lui demandais cela.

« Qui pouvait s’y attendre ? repris-je.

— Ah ! mon petit père, dit-elle en me jetant un regard singulièrement douloureux et tendre, on ne pouvait pas s’y attendre, et je ne peux pas encore y penser. Je suis vieille ; il y a longtemps que mes vieux os devraient se reposer ; et c’est moi qui les enterre tous : le vieux barine votre grand-père, d’éternelle mémoire, le prince Nicolas Mikhaïlovitch, ses deux frères, sa sœur Annouchka, je les ai tous enterrés, et ils étaient tous plus jeunes que moi, mon petit père, et voilà qu’il faut encore que je lui survive, pour mes péchés bien sûr. Que sa sainte volonté soit faite ! Il l’a prise parce qu’elle en était digne ; là-haut aussi, il a besoin des bons. »

Cette idée naïve me produisit une impression consolante, et je me rapprochai de Nathalie Savichna. Elle avait croisé ses mains sur sa poitrine et regardait en haut ; ses yeux humides et creusés exprimaient une douleur immense, mais tranquille. Elle espérait fermement que Dieu ne la séparerait pas longtemps de celle sur qui, depuis tant d’années, s’étaient concentrées toutes les forces de son cœur.

« Oui, mon petit père, voilà bien longtemps que j’étais sa bonne, et que je l’emmaillotais. Elle m’appelait Natacha. Elle accourait à moi, me prenait avec ses menottes et se mettait à m’embrasser en disant : « Ma Nacha, ma jolie, ma petite poule. » Et moi, pour la taquiner, je disais : « C’est pas vrai, petite mère, vous ne m’aimez pas ; attendez seulement que vous ayez grandi, vous vous marierez et vous oublierez votre Nacha. » — Alors elle réfléchissait. « Non, disait-elle, j’aime mieux ne pas me marier si je ne peux pas emmener Nacha ; je ne quitterai jamais Nacha. » Et voilà, elle m’a quittée, elle ne m’a pas attendue. Elle m’aimait pourtant ! À dire vrai, qui n’aimait-elle pas ? Oui, petit père, il est impossible que vous oubliiez votre maman ; ce n’était pas une créature humaine, c’était un ange du ciel. Quand son âme sera dans le paradis, elle continuera à vous aimer de là et à se réjouir cause de vous.

— Pourquoi est-ce que vous dites : « quand elle sera dans le paradis », Nathalie Savichna ? demandai-je. Je pense qu’elle y est déjà.

— Non, mon petit père, dit Nathalie Savichna en baissant la voix et en se rapprochant de moi sur le bord du lit ; à présent, son âme est ici. »

Elle montrait le plafond. Elle parlait presque bas, avec tant d’émotion et de foi, que je levai involontairement les yeux et regardai les corniches en cherchant quelque chose.

« Avant que l’âme du juste aille dans le paradis, elle subit encore quarante épreuves, mon petit père, pendant quarante jours, et elle peut rester dans sa maison…. »

Elle continua longtemps sur ce ton, s’exprimant avec autant de simplicité et de conviction que s’il s’était agi de choses toutes naturelles, qu’elle avait vues de ses yeux et sur lesquelles personne ne pouvait avoir l’ombre d’un doute. Je l’écoutais en retenant ma respiration. Je ne comprenais pas très bien ce qu’elle me disait, mais je la croyais de toute mon âme.

« Oui, mon petit père, dit-elle en terminant, en ce moment, elle est ici, elle nous regarde, elle écoute peut-être ce que nous disons. »

Elle baissa la tête et se tut. Elle eut besoin d’un mouchoir pour essuyer ses larmes ; elle se leva, me regarda bien en face et dit d’une voix tremblante d’émotion :

« Le Seigneur m’a fait avancer de bien des pas vers lui, par ce coup-là. Qu’est-ce qu’il me reste à faire ici ? pourquoi vivre ? qui aimer ?

— Est-ce que vous ne nous aimez pas ? demandai-je d’un ton de reproche et prêt à pleurer.

— Dieu sait si je vous aime, mes petits pigeons ; mais aimer quelqu’un comme je l’aimais, je n’ai jamais pu et je ne peux pas. »

Elle ne put en dire davantage. Elle se détourna et sanglota bruyamment.

Je ne pensais plus à dormir. Nous restions assis en silence l’un auprès de l’autre et nous pleurions.

Phoca entra. En voyant notre situation, il eut peur de nous déranger ; il s’arrêta près de la porte et nous regarda timidement sans rien dire.

« Qu’est-ce que tu veux, Phoca ? demanda Nathalie Savichna en s’essuyant les yeux avec son mouchoir.

— Une livre et demie de raisins secs, quatre livres de sucre et trois livres de riz, pour la koutia[1].

— Tout de suite, tout de suite, petit père. »

Nathalie Savichna prit à la hâte une prise de tabac et se dirigea à petits pas pressés vers un coffre. Les dernières traces de la tristesse causée par notre conversation s’effacèrent dès qu’elle fut occupée de son service, qu’elle jugeait de la plus haute importance.

« Pourquoi quatre livres ? dit-elle d’un ton grognon en prenant du sucre et en le mettant dans la balance. Trois livres et demie, c’est assez. »

Elle ôta plusieurs morceaux du plateau.

« Et qu’est-ce que ça signifie ? C’est hier soir que j’ai donné huit livres de riz, et ils en redemandent ! Tu diras ce que tu voudras, Phoca, mais je ne donne pas de riz. Vanka est content que la maison soit sens dessus dessous : il croit qu’on ne fera pas attention. Non, je ne laisserai pas gâcher le bien des maîtres. A-t-on jamais vu ça, huit livres ?

— Qu’y faire ? Il dit que tout est mangé.

— C’est bon, le voilà ! Qu’il le prenne ! »

À l’époque dont je parle, je fus très frappé de ce brusque passage d’un attendrissement touchant à des grogneries et à des tatillonnages. Depuis, j’ai compris en y réfléchissant, que ce qui se passait dans son âme lui laissait la présence d’esprit nécessaire pour vaquer à ses affaires, et que la force de l’habitude l’attirait vers ses occupations ordinaires. Son chagrin était si violent, qu’elle trouvait inutile de dissimuler qu’elle était capable de s’occuper de choses indifférentes ; elle n’aurait même pas compris qu’on pût avoir une idée semblable.

La vanité est le sentiment le plus incompatible avec une douleur vraie, et, en même temps, la vanité fait tellement partie intégrante de la nature humaine, qu’elle perd rarement ses droits devant un chagrin, même le plus violent. Elle se déguise alors en désir de paraître affligé, ou malheureux, ou courageux, et ces sentiments bas, que nous ne nous avouons pas à nous-mêmes, mais auxquels nous n’échappons guère, — fût-ce dans la peine la plus vive, — énervent notre douleur, l’avilissent et lui enlèvent sa sincérité. Mais Nathalie Savichna était trop profondément malheureuse pour qu’il y eût place dans son âme pour un désir quelconque ; elle ne vivait plus que par la force de l’habitude.

Elle remit à Phoca les provisions demandées et lui rappela le pâté destiné à la table du clergé. Quand il fut parti, elle prit son tricot et se rassit à côté de moi.

La conversation recommença sur le même sujet, nous repleurâmes et ressuyâmes nos yeux.

J’allais tous les jours causer ainsi avec Nathalie Savichna. Ses larmes douces, ses discours tranquilles et pieux me faisaient du bien et me consolaient.

Mais on nous sépara bientôt. Trois jours après l’enterrement, nous partîmes tous pour Moscou, et je ne devais plus revoir Nathalie Savichna.

Ma grand’mère n’apprit l’affreuse nouvelle qu’à notre arrivée, et son chagrin fut terrible. On ne nous la laissa pas voir, parce qu’elle n’avait pas sa tête. Cela dura toute une semaine, et les médecins craignirent pour sa vie, d’autant qu’elle ne voulait prendre aucun remède, qu’elle refusait de parler ou de manger et qu’elle ne dormait pas. Parfois, assise dans son fauteuil, seule dans sa chambre, il lui prenait tout à coup un accès de rire, suivi de sanglots sans larmes qui aboutissaient à des convulsions, puis à des cris forcenés, à des mots dépourvus de sens ou effroyables. C’était son premier grand chagrin, et il la terrassait. Elle avait besoin d’accuser quelqu’un et elle prononçait des paroles horribles, des menaces furibondes. Elle se levait brusquement de son fauteuil, arpentait rapidement la chambre à grandes enjambées et tombait évanouie.

J’entrai une fois chez elle. Elle était assise dans son fauteuil, à l’ordinaire, et paraissait calme ; mais son regard me frappa. Ses yeux, très ouverts, étaient vagues et comme hébétés. Elle les fixait sur moi et elle avait l’air de ne pas me voir. Ses lèvres s’entrouvrirent lentement, elle sourit et dit d’une voix tendre qui vous remuait : « Viens ici, mon ange ; approche-toi ». Je crus que c’était à moi qu’elle parlait et je m’approchai : ce n’était pas moi qu’elle voyait.

« Ah ! si tu savais, ma bien-aimée, combien j’ai eu de chagrin et comme je suis contente que tu sois arrivée… » Je compris qu’elle se figurait voir maman, et je m’arrêtai.

« Ils m’ont dit que tu n’étais plus là, continua-t-elle en fronçant les sourcils ; quelle bêtise ! Est-ce que tu peux mourir avant moi ? » Et elle partit d’un éclat de rire nerveux, horrible à entendre.

Les personnes capables d’affections vigoureuses sont seules capables de chagrins vigoureux ; mais ce même besoin d’aimer les sauve, en réagissant contre la douleur. C’est pourquoi la nature morale de l’homme est encore plus vivace que sa nature physique. Le chagrin ne tue jamais.

Au bout d’une semaine, grand’mère put pleurer et alla mieux. Sa première pensée, quand elle reprit ses esprits, fut pour nous, et son affection s’accrut. Nous ne quittions plus son fauteuil. Elle pleurait doucement, parlait de maman et nous caressait tendrement.

Il ne pouvait venir à l’esprit de personne, en regardant grand’mère, qu’elle exagérait son chagrin. Les marques qu’elle en donnait étaient grandes et touchantes. Néanmoins, je ne saurais dire pourquoi, je sympathisais davantage avec Nathalie Savichna. Aujourd’hui encore je suis convaincu que personne n’a aimé maman d’un amour aussi pur et ne l’a pleurée aussi sincèrement que cette excellente et simple créature.

Avec la mort de ma mère se termine pour moi l’heureuse saison de l’enfance et s’ouvre une nouvelle époque : l’adolescence. Mais c’est à mon enfance que se rattachent mes souvenirs de Nathalie Savichna, que je n’ai plus revue et qui a exercé une si grande influence, si bienfaisante, sur le développement et la direction de ma sensibilité. J’ajouterai donc ici quelques mots sur elle et sur sa mort.

Les domestiques que nous avions laissés à la campagne m’ont raconté qu’après notre départ elle s’ennuya beaucoup de n’avoir rien à faire. Elle était toujours chargée des provisions et elle ne cessait pas de fouiller dans ses coffres, de ranger, de compter, de peser ; mais il lui manquait le bruit et le mouvement d’une maison seigneuriale habitée par les maîtres, tout ce va-et-vient auquel elle était accoutumée depuis son enfance. Le chagrin, le changement de vie et le désœuvrement développèrent rapidement chez elle une maladie sénile à laquelle elle était disposée. Juste un an après la mort de maman, l’hydropisie se déclara et elle prit le lit.

Je m’imagine que Nathalie Savichna trouva dur de vivre, et encore plus de mourir seule, dans la grande maison vide de Petrovskoë, sans parents, sans amis. Tous nos gens l’aimaient et l’estimaient, mais elle n’était liée avec personne et elle en était fière. Elle pensait que dans sa situation de femme de charge, en possession de la confiance des maîtres et ayant entre les mains tant de coffres pleins de toutes sortes de choses, une amitié quelconque la conduirait à la partialité et à des condescendances coupables. C’est pourquoi, à moins pourtant que ce ne fût parce qu’elle n’avait rien de commun avec les autres domestiques, elle se tenait à part de tous. Elle disait qu’elle n’avait dans la maison ni compères ni parents et qu’elle ne laisserait gaspiller le bien des maîtres par personne.

Elle cherchait et trouvait des consolations dans des prières ferventes, où elle s’épanchait devant Dieu. Dans les instants de faiblesse auxquels nous sommes tous sujets, et pendant lesquels il n’y a pas de meilleure consolation que les larmes et la sympathie d’une créature vivante, elle faisait monter son petit carlin sur son lit, à côté d’elle, lui parlait et pleurait sans bruit en le caressant. Le carlin lui léchait les mains, fixait sur elle ses yeux jaunes et finissait par se mettre à gémir. Elle s’efforçait alors de le calmer et lui disait : « Tais-toi, je n’ai pas besoin de toi pour savoir que je vais mourir. »

Un mois avant sa mort, elle tira de son coffre particulier du calicot, de la mousseline blanche et des rubans roses. Avec l’aide d’une servante elle se fit un vêtement blanc, un bonnet et prépara dans les moindres détails tout ce qu’il faudrait pour son enterrement. Elle remit ensuite à l’intendant les coffres appartenant à la maison, accompagnés d’un inventaire minutieux. Enfin, elle sortit deux robes de soie et un vieux châle, anciens cadeaux de ma grand’mère, et l’uniforme de mon grand-père, tout brodé d’or, qui lui avait aussi été donné en toute propriété. Elle était si soigneuse, que les broderies et les galons de l’uniforme étaient encore tout frais et que le drap n’était pas mangé par les mites.

Elle demanda avant de mourir qu’une des robes de soie — la rose — fût remise à Volodia, l’autre — la puce à carreaux — à moi, pour nous en faire des robes de chambre ou des bechmètes[2]. Elle légua le châle à Lioubotchka, l’uniforme au premier d’entre nous qui deviendrait officier. À l’exception de quarante roubles, destinés aux frais de son enterrement, elle laissa le reste de son argent et tout ce qu’elle possédait à son frère. Ce frère, affranchi depuis longtemps, habitait un gouvernement éloigné et menait la vie la moins régulière ; aussi Nathalie Savichna, de son vivant, n’avait aucune relation avec lui.

Quand il vint recueillir son héritage et qu’il trouva en tout et pour tout vingt-cinq roubles de papier, il ne voulut pas le croire. Il déclara qu’il était impossible qu’une femme qui avait vécu soixante ans dans une maison riche, où elle avait tout entre les mains, qui avait toujours été plus qu’économe et qui lésinait sur tout, ne laissât rien après sa mort. C’était pourtant la vérité.

Nathalie Savichna fut malade deux mois et supporta la souffrance avec une patience véritablement chrétienne. Elle ne grognait plus, ne se plaignait pas et parlait constamment de Dieu, suivant son habitude. Une heure avant sa mort, elle se confessa avec une joie tranquille, communia et reçut l’extrême-onction.

Elle demanda pardon à tous les gens de la maison pour les offenses qu’elle avait pu leur faire et chargea son confesseur, le père Vassili, de nous dire à tous qu’elle ne savait comment nous remercier de nos bontés et qu’elle nous priait de lui pardonner si, par bêtise, elle avait fait de la peine à quelqu’un. « Mais je peux dire, ajouta-t-elle, que je ne suis pas une voleuse ; je n’ai jamais fait tort d’un brin de fil aux maîtres. » C’était la seule qualité qu’elle se reconnût.

Elle mit le vêtement blanc et le bonnet qu’elle avait apprêtés, s’accouda sur son oreiller et ne cessa pas, jusqu’à la fin, de causer avec le prêtre. S’étant souvenue tout à coup qu’elle ne laissait rien aux pauvres, elle prit dix roubles et chargea le père Vassili de les donner à la paroisse. Elle fit ensuite le signe de la croix, se coucha et expira en prononçant avec un sourire joyeux le nom de Dieu.

Elle quitta la vie sans regret, ne craignit pas la mort et l’accueillit comme un bienfait. C’est une chose qu’on dit souvent, mais comme elle est rarement vraie ! Nathalie Savichna pouvait ne pas craindre la mort, car elle mourait dans une foi inébranlable et elle avait accompli la loi de l’Évangile : toute sa vie n’avait été qu’amour pur et désintéressé et que sacrifice de soi-même.

Quoi ! parce que sa religion aurait pu être plus haute, parce que sa vie aurait pu avoir un but plus élevé, cette âme d’élite en est-elle moins digne de tendresse et d’admiration ?

Elle a accompli la plus grande œuvre, et la meilleure, de cette vie : elle est morte sans regret et sans peur.

On l’enterra, selon son désir, non loin de la chapelle élevée sur la tombe de maman. L’ortie et la bardane ont envahi l’endroit où elle repose. Je ne manque jamais, lorsque je vais à la chapelle, de m’approcher de la grille noire qui entoure la tombe de Nathalie Savichna et de saluer jusqu’à terre.

Parfois je m’arrête à moitié chemin, entre la chapelle et la grille noire. Des souvenirs pénibles remontent soudain à ma mémoire. Je me dis : Est-ce que la Providence ne m’a réuni à ces deux êtres que pour me condamner à des regrets éternels ?…



  1. La koutia se mange après les enterrements. (N. du T.)
  2. Habit de dessous des Tartares. (N. du T.)