Socrate chrestien/Discours 4

Augustin Courbé (p. 43-50).

SUITE
DU MESME
SUIET.



IAy leu l’Original des Inscriptions, dont ie vous parle. Elles se conservent en une ville d’Espagne, & sont gravées en gros caracteres, sur une Colonne parfaitement belle. L’allemand Gruterus ne les a pas oubliées dans son gros Volume. Mais sans vous donner la peine de visiter les Bibliotheques d’Angolesme, & d’aller lire les Inscriptions à une lieuë & demie d’icy, puisque vous en voudriez sçavoir les paroles, & qu’il m’en souvient, il ne faut pas vous faire languir davantage : Tout presentement vostre curiosité sera satisfaite.

diocletianus. iovius, et. maximianus. herculeus. cæsares. augusti. amplificato. per. orientem. et. occidentem. imperio. romano. et. nomine. christianorum. deleto. qui. rempublicam. evertebant. &c.

diocletianus. cæsar. augustus. galerio. in. oriente. adoptato. superstitione. christianorum. ubique. deleta. et. cultu. deorum. propagato. &c.

Vous voyez par là le mécompte des Persecuteurs : vous voyez l’imposture de Rome Payenne, & la fausseté de ses victoires. Cette superstition abolie est maintenant la Religion dominante. Non seulement elle a survescu à ses Bourreaux, mais elle regne sur le throsne de ses Ennemis, et la ville eternelle obeït aux Successeurs de Sainct Pierre, et non pas à ceux de Iules Cesar. Diocletien & Maximien ne sont plus de grands et de redoutables Princes : Ce sont de Fabuleux & de ridicules Historiens ; ce sont des Fanfarons sur du marbre : Nos Peres ont mesprisé leurs Edits & leurs Arrests ; Moquons-nous de leurs Bravades & de leurs Romans. Ainsi pouvons-nous appeller ces Inscriptions menteuses, consacrées à leur memoire par leur propre vanité.

Mais il n’y aura point de mal d’adjouster encore un mot à l’Histoire du Christianisme, sous l’Empire de Diocletien. Cet ennemi du Peuple de Dieu, ce Pharaon de son Siecle n’employa pas tousiours le fer & le feu, contre les Fideles, non plus que le premier pharaon. Il s' advisa de faire perir d' une autre façon, les chrestiens de Rome : il les traita comme des bestes de charge, qu' on tuë à force de les faire travailler ; il voulut qu' ils mourussent, mais de telle sorte qu' ils se sentissent mourir, et qu' il pust tirer du service de leur mort. Pour cét effet, vous sçavez qu' il en consuma une multitude infinie à la structure de certaines estuves, dont la place se nomme encore aujourd' huy les thermes diocletiennes, et dont les ruines sont si grandes, qu' elles estonnent la veuë, et font peur à l' imagination de ceux qui les considerent. Diocletien se fust-il jamais imaginé que ces ruines deussent estre un jour sanctifiées, par la religion qu' il persecutoit ; qu' elles deussent estre dediées au culte du dieu qu' il avoit proscrit ; de ce dieu, dont il haïssoit si fort le nom, la doctrine et les partisans ? Eust-il creû que dans les thermes diocletiennes on eust chanté jour et nuit des hymnes à Jesus Christ ; qu' on luy eust rendu des vœux ; qu' on luy eust presenté des sacrifices, jusques à la fin du monde ? Il ne l' eust pas creû, non pas mesme sur la parole de tous ses devins. Quand il faisoit travailler les pauvres chrestiens à ses estuves, ce n' estoit pas son dessein de bastir des eglises à leurs successeurs. Il ne pensoit pas estre fondateur, comme il a esté, d' un monastere de peres chartreux, et d' un autre de peres feuïllens. Car à prendre la chose dans son principe, c' est luy qui a jetté les fondemens de ces deux maisons religieuses, et qui a fourni les materiaux dont on s' est servi pour leur fabrique ; c' est aux despens de Diocletien, de ses pierres et de son ciment qu' on a fait des autels, et des chapelles à Jesus Christ, des dortoirs et des refectoirs à ses serviteurs. La providence de Dieu se jouë de cette sorte des pensées des hommes, et les evenemens sont bien esloignez des intentions, quand la terre a un dessein et le ciel un autre.