Traduction par H. Ternaux-Compans.
Arthus Bertrand (p. 271-277).

CHAPITRE XXXV.


Comment nous fûmes reçus par l’alcade major le soir de notre arrivée.


Aussitôt que l’alcade major fut instruit que nous arrivions, il se mit en route et il vint où nous étions. Il pleura abondamment avec nous, et rendit grâces à Dieu notre Seigneur, de la grande miséricorde dont il avait usé à notre égard. Il nous parla, nous traita avec beaucoup de bonté, et nous offrit au nom de Nuño de Guzman et du sien tout ce qu’il possédait. Il parut très-sensible au mauvais accueil et aux mauvais traitements que nous avions reçus d’Alcaraz et de ses compagnons. Je suis certain que si ce dernier eût été présent, il aurait cherché à se disculper de sa manière d’agir envers nous et envers les Indiens. Nous partîmes le lendemain. L’alcade nous pria instamment de rester dans le pays, disant que nous pourrions être d’une grande utilité au service de Dieu et de votre majesté parce que le pays était abandonné, ravagé, sans culture, et que les Indiens s’étaient enfuis, et se cachaient dans les forêts sans oser retourner dans leurs villages. Il nous dit de les faire appeler, et de leur ordonner au nom de votre majesté de revenir habiter la plaine et cultiver la terre. Cela nous parut d’une exécution très-difficile, n’ayant plus avec nous aucun des Indiens qui nous accompagnaient, et qui nous comprenaient. Enfin nous essayâmes de réussir auprès de deux Indiens prisonniers qui étaient du même pays que les autres, et qui s’étaient trouvés entre les mains des chrétiens au moment de notre arrivée. Ils avaient vu tout le monde qui nous accompagnait, et ils avaient appris par ces gens, l’autorité et la puissance que exercions dans toutes les contrées que nous avions traversées, les merveilles que nous avions faites, les malades que nous avions guéris, et bien d’autres événements. Nous envoyâmes avec ces Indiens d’autres naturels du village pour aller rappeler ceux qui s’étaient enfuis dans les montagnes, et les habitants du Rio Petutan où nous avions trouvé les chrétiens. Nous leur ordonnâmes de leur dire de venir, que nous voulions leur parler, et, pour que nos envoyés fussent sans crainte et que les autres vinssent avec eux, nous leur donnâmes une des grandes calebasses que nous portions à la main, et qui étaient notre insigne le plus respecté. Ils l’emportèrent et partirent. Cinq jours après ils revinrent avec trois chefs qui s’étaient d’abord enfuis dans les montagnes, quinze hommes les suivaient. Ils apportèrent des coquillages, des turquoises et des plumes. Nos envoyés nous dirent qu’ils n’avaient pas trouvé les Indiens dans l’endroit où nous étions arrivés, parce que les chrétiens les ayant attaqués de nouveau, ces gens s’étaient enfuis dans les bois. Melchior Diaz chargea l’interprète de dire de notre part à ces Indiens que nous étions envoyés par le Dieu qui est dans le ciel, que nous avions parcouru le monde pendant de longues années, en disant à tous les hommes que nous rencontrions de croire en lui et de le servir, parce qu’il était le souverain maître de toutes choses, qu’il récompensait les bons et punissait les méchants de la peine du feu éternel, que, lorsque les bons mourraient, il les enlevait au ciel où l’on ne mourait jamais, où l’on n’avait ni faim, ni soif, ni froid, ni aucun besoin, et où l’on jouissait de la plus grande gloire imaginable. Que ceux qui refusaient de croire en lui et de lui obéir étaient précipités sous terre dans des feux immenses, en compagnie des démons ; que ce feu ne s’éteindrait jamais et ne cesserait de les faire souffrir. Que si au contraire ils voulaient être chrétiens et servir Dieu comme on le leur indiquerait, ils seraient regardés comme nos frères et fort bien traités ; que nous ordonnerions aux chrétiens de ne leur faire aucun tort, de ne pas les enlever de leurs pays, et d’avoir pour eux beaucoup d’amitié. S’ils n’acceptaient pas ces propositions, les chrétiens leur feraient le plus grand mal et les emmeneraient en esclavage dans un autre pays. Ils répondirent à l’interprète qu’ils seraient très-bons chrétiens et qu’ils serviraient Dieu. Nous leur demandâmes qui ils adoraient, à qui ils faisaient des sacrifices, et demandaient l’eau pour leur maïs et la santé pour eux. Ils répondirent que c’était à un homme qui habitait le ciel, qu’il se nommait Aguar ; qu’ils le croyaient le créateur du monde et de tout ce qu’il renferme. Les ayant interrogés pour savoir comment ils avaient appris ces choses, ils répondirent que leurs pères et leurs ancêtres le leur avaient dit, et qu’ils savaient depuis fort longtemps que l’eau et toutes les bonnes choses venaient de là. Nous leur dîmes que nous appelions cet être Dieu ; qu’ils devaient l’appeler ainsi, le servir, l’adorer comme nous l’adorons, et qu’ils s’en trouveraient bien. Ils promirent de s’y conformer. Nous leur ordonnâmes de quitter les forêts, de venir tranquillement habiter le pays, de reconstruire leurs maisons, d’en élever une pour Dieu, et de mettre à l’entrée une croix comme celle que nous avions ; et, lorsqu’ils verraient venir les chrétiens, d’aller à leur rencontre avec des croix à la main, sans porter ni flèches ni armes, de les conduire chez eux et de les nourrir ; que par ce moyen ceux-ci ne leur feraient pas de mal, et qu’au contraire ils seraient leurs amis. Ils dirent qu’ils le feraient comme nous l’avions prescrit. Le capitaine leur donna des manteaux, et ils s’en retournèrent en emmenant avec eux les deux prisonniers qui avaient servi de messagers. Cela se passa en présence du notaire du pays, et de beaucoup d’autres témoins.