Réflexions sur l’usage présent de la langue française/R

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R

Rancune.


Rancune n’est presque plus en usage que parmy le petit peuple, il ne faut point avoir de rancune contre ses ennemis, dit-on quelquefois pour, il ne faut point avoir d’aversion pour ses ennemis.


Rapports vicieux.

On tombe dans ce défaut quand on fait rapporter un mot à un autre, auquel il ne doit point se rapporter. Exemple : « Quelques efforts que ces Orateurs[1] fassent pour animer leurs discours ; on les écoute avec froideur, laquelle est d’autant plus sensible que l’on n’est agité d’aucune émotion. »

Le mot de froideur en cét exemple estant pris indéfiniment, le rélatif laquelle ne peut s’y rapporter. Il falloit dire : « Quelques efforts que ces Orateurs fassent pour animer leurs discours, on les écoute avec froideur ; & cette froideur est d’autant plus sensible que &c. » ou bien : « on les écoute avec une froideur qui est d’autant plus sensible que, &c. »

« Pour ce qui est des malheureux, dit le mesme Auteur de cet exemple : nous les secourons avec un plaisir secret ; il est comme le prix qui nous paye en quelque façon du soulagement que nous leur donnons. »

Plaisir secret est pris là trop indéterminément pour que le pronom, il, s’y puisse rapporter. Il n’y avoit que le pronom rélatif, qui, avec lequel ce rapport pust estre bon. Il falloit donc dire : nous les secourons avec un plaisir secret qui est comme le prix, &c. & non, nous les secourons avec un plaisir secret, il est, &c.

M. d’Ablancourt dans la traduction de César, fait une faute à peu prés semblable, lors qu’il dit : « Si ma mort n’entraînoit point avec elle la captivité de ma nation, je choisirois de mourir avec honneur, puisqu’il m’a toûjours esté plus cher que ma vie. »

Selon toutes les régles, ce puis qu’il, ne doit point se rapporter à honneur. Il dit encore ailleurs : « C’est un présent du Ciel dont il honore les grands hommes[2]. » Qui ne voit que cét, il, ne sçauroit se rapporter réguliérement à Ciel ? & qu’il devoit dire : c’est un présent dont le ciel honore les grands hommes.

M. de Voiture fait quelquefois de ces faux rapports, voyez donc, dit-il, à me mettre en repos là-dessus, car sans mentir cela a troublé le mien[3]. Ce rapport de le mien à repos n’est pas régulier. Presque tous nos Auteurs François sont remplis de ces sortes de fautes ; & j’ay remarqué que les plus exacts mesme s’y laissent quelquefois tromper. M. le Maistre, par exemple, dont la diction est si claire & si châtiée, dit dans un de ses Plaidoyez : « Il veut estre maistre du cœur qui n’en reconnoît point sur la terre », il falloit : Il veut estre maistre du cœur qui ne reconnoît point de maistre sur la terre.

Si des Ecrivains de cette conséquence, & qui sont les modéles de tous ceux qui veulent apprendre à bien parler, ne peuvent s’empescher de faire de ces rapports irréguliers, nous estonnerons-nous que tant d’autres y soient tombez ; & qu’un Auteur d’ailleurs assez poly ait dit : « si la Cour de Rome me laissoit en repos, je ne troublerois celuy de personne[4] » ; au lieu de mettre : Si la Cour de Rome ne troubloit pas mon repos, je ne troublerois celuy de personne.

Nous devons encore moins nous estonner que le dernier Traducteur de l’Imitation ait mis : « Il faut que vous ayiez soin de travailler avec la grace, & que vous remettiez à Dieu celuy de vous visiter », au lieu de mettre : il faut que vous ayiez un grand soin de travailler avec la grace, & que vous remettiez à Dieu celuy de vous visiter.

On doit éviter de faire rapporter un mot à ce qui est dit de la chose, au lieu de le faire rapporter à la chose mesme, dont on parle principalement, par exemple : « Il faut que la conversation soit le plus agréable bien[5] de la vie, mais il faut qu’il ait ses bornes » : au lieu de, il, qui se rapporte là à plus agréable bien de la vie, qui est dit de la conversation, il falloit mettre, elle, le faisant rapporter à conversation, & dire : Il faut que la conversation soit le plus agréable bien de la vie, mais il faut qu’elle ait ses bornes.

Je remarque encore une autre sorte de mauvais rapport que l’exemple va faire entendre : « On ne doute point que les Livres de pieté ne soient utiles à un grand nombre de personnes ; & que trouvant dans cette lecture des gousts spirituels qui les portent à s’en nourrir, elles n’en retirent un tres-grand avantage » ; ce mot trouvant ne sçauroit se rapporter correctement à personnes, parce que personnes n’est pas au nominatif, il falloit dire : on ne doute point qu’un grand nombre de personnes ne retirent beaucoup de profit des Livres de pieté, & que trouvant dans cette lecture, &c.


Recitateur.

Recitateur paroist estre un terme nécessaire, car nous n’en avons point d’autre pour exprimer ce qu’il signifie : & il me semble que M. de Balzac ne s’en sert point mal à propos quand il dit : « Vous diriez qu’ils ont appris par cœur des sentences, & qu’ils les alleguent de quelqu’autre ; on les nomme Acteurs improprement, ce sont de véritables récitateurs ; ce sont des enfans qu’on a sifflez pour un jour de cérémonie, & non des hommes qui traitent ensemble dans la conversation ordinaire. »


Recouvrer.

On demande s’il faut dire : il recouvrit la santé, où, il recouvra, il a recouvert la santé, où, il a recouvré, il est visible qu’il faut dire : il recouvra, il a recouvré, puis que ce verbe fait recouvrer à l’infinitif, & non, recouvrir, qui signifie toute autre chose, & c’est ainsi que parlent la plûpart de nos bons Auteurs.

Mon frere estant à Rome a recouvré ses huit derniers Livres[6].

Il fut gueri enfin par un célebre Medecin, & il recouvra la veuë[7].

Cela n’empesche pas néanmoins que quelques-uns ne disent recouvert. Et le Pere Bouhours, par exemple, le dit toûjours, ayant recouvert la santé & terminé ses affaires[8].

Et un peu plus bas, il continua son voyage quand il eut recouvert ses forces[9]. Mais je ne crois pas qu’il soit à imiter.


Réfectoir, Réfectoire.

L’un & l’autre sont bons, mais Réfectoir est meilleur : on luy donna le soin du Réfectoir[10].


Référer.

Exemple : La nature aime à recevoir les honneurs, mais la grace est fidelle à les référer tous à Dieu[11]. Il me semble que rapporter seroit meilleur que référer, qui paroist plus Latin que François.


Régime.

Fautes contre le Régime.

J’appelle faute contre le régime, faire gouverner à un verbe un cas qu’il ne sçauroit gouverner réguliérement : L’exemple le fera entendre. M. de Voiture dit dans une Lettre qu’il écrit à Mademoiselle de Ramboüillet, au sujét du mot de car, qu’on vouloit bannir de la Langue Françoise : « En un temps où la fortune jouë des Tragédies par tous les endroits de l’Europe, je ne voids rien si digne de pitié, que quand je voids qu’on est prest de chasser, & de faire le procés à un mot qui a si utilement servi cette Monarchie. » Il y a une faute contre le régime en cette phrase : on est prest de chasser & de faire le procez à un mot. Afin que cela fust bien, il faudroit que le verbe chasser gouvernast le datif, & qu’on pust dire chasser à un mot ; ce qui n’estant point, il s’ensuit qu’on ne peut dire chasser & faire le procez à un mot, parce que c’est donner à un verbe un régime qu’il n’a pas.

Cette régle peut servir à juger de plusieurs autres fautes qu’on a coûtume de faire là-dessus ; & on peut connoistre par là si ce titre qu’un Auteur a donné à son Livre est régulier : La Rhétorique Françoise nécessaire à tous ceux qui veulent parler ou écrire comme il faut, & faire ou juger des discours[12].

Il est facile de voir que le régime n’est point observé dans ces mots, ceux qui veulent faire & juger des discours ; car juger gouverne là un autre cas que faire, puis qu’on ne dit point juger un discours, comme on dit faire un discours. On dira bien faire & examiner des discours, parce qu’on dit également faire un discours, & examiner un discours ; mais ce ne seroit pas parler correctement que de dire, faire & juger des discours : Et afin qu’il n’y eust point là de faute contre le régime, il faudroit que le verbe juger pust y gouverner l’accusatif ; comme lors qu’on dit, juger un criminel, juger des criminels. Ce qui ne se pouvant pas, la phrase est vicieuse.

Nous pouvons encore connoistre sur ce principe si cette maniére de parler est bonne : Couvrons d’un rideau & mettons un voile au devant d’un spectacle si horrible[13]. Il n’est pas bien difficile d’en juger ; & il est visible qu’il y a là une faute grossiére contre le régime. Il faut donc tenir pour régle générale qu’on doit toûjours observer le régime des verbes.

Nous avons encore deux réflexions importantes à faire sur ce sujét. La premiére, qu’il est mieux qu’un verbe qui gouverne un substantif dans le premier membre d’une phrase, ne gouverne pas un, que, dans le second, c’est à quoy on ne prend pas assez garde quand on compose : En voicy un exemple. César apprit la vérité par ses coureurs, & que la frayeur avoit troublé la veuë à Considius[14]. Ce qui paroist presque aussi irregulier que si je disois : aprés le festin & que tout le monde fust sorty de la salle. Il falloit donc ajoûter un autre verbe pour le gouverner, & dire par exemple, César apprit la vérité par ses coureurs, & connut que la frayeur avoit troublé la veuë à Considius.

On estoit autrefois fort peu exact là-dessus ; & M. de Vaugelas est assez sujét à ces sortes de négligences, je n’en apporteray qu’un exemple. « Si vous avez tous ce mesme cœur, & cette mesme résolution, je réponds de vostre liberté ; & que vous n’aurez point à souffrir le faste & les fiers regards des Macédoniens[15]. » Il falloit : Je vous assure de vostre liberté, & vous réponds que vous n’aurez point à soûtenir, &c.

La seconde réflexion est qu’un verbe qui régit un infinitif dans un membre de la phrase, ne doit point régir un substantif dans l’autre.

Exemple. Il ne nous est point nécessaire d’apprendre à tirer de l’arc ni le maniment du javelot. Cette expression est tout-à-fait défectueuse ; que coutoit-il de dire, il ne nous est point nécessaire d’apprendre à tirer de l’arc ni à manier le javelot.


Relique.

On se sert élégamment de ce mot, en parlant des tristes restes de quelque incendie, de quelque naufrage, ou de quelque autre accident de la sorte.

Les miserables reliques de cette guerre, dit un habile Ecrivain ; ce qui est mieux que s’il eust dit, les miserables restes de cette guerre.


Rencontre.

Ce mot est toûjours féminin, il est vray que l’Auteur du Panégyrique de Saint Charles Borromée a dit : dans un pareil rencontre, & celuy des Mémoires sur les guerres de Paris. Il fit en ce rencontre violence sur son naturel. M. de Voiture le fait aussi quelquefois masculin, mais l’usage d’à présent y est contraire. On dit néanmoins en parlant d’une chose achetée à bon marché, c’est un rencontre, & non, c’est une rencontre.


Répétitions nécessaires.

C’est peut-estre icy une des choses où l’on manque le plus, & l’on y peut faire des fautes en tant de maniéres, qu’il est bien difficile de s’en empescher. C’est pourquoy je vais en apporter des exemples de toutes les sortes, afin que l’on connoisse les différentes occasions où ces répétitions sont nécessaires.

Quand il y a un que au commencement de la phrase, il faut le répéter dans les autres membres.

Exemple. « Les Gaulois adorent Apollon, Mars, Jupiter, Minerve. Ils croyent qu’Apollon chasse les maladies, Minerve préside aux ouvrages, Jupiter est le Souverain des Cieux, & Mars l’arbitre de la guerre[16]. »

Il eust esté mieux de répéter le que, dans tous les articles de cette période, hormis au dernier, en disant : « Ils croyent qu’Apollon chasse les maladies, que Minerve preside aux ouvrages, que Jupiter est le Souverain des Cieux, & Mars l’arbitre de la guerre. » La répétition de, que, bien loin d’estre vicieuse en cet endroit est élégante, & mesme nécessaire pour soûtenir le discours.

Souvent il faut répéter l’adjectif. Exemple. César tourne toutes ses forces & ses pensées contre Ambiorix[17]. Il falloit, toutes ses forces & toutes ses pensées. Ces omissions sont des négligences, qu’on doit éviter, & on ne peut excuser celle-cy d’un faiseur d’entretiens, qui dit en loüant une communauté, qui est fort au dessus des loüanges qu’il luy donne : Ils vivent dans un grand éloignement du monde, & mépris de ce qu’on y appelle grand & agreable[18], cette phrase est estropiée : il falloit répeter dans & grand, en disant ; ils vivent dans un grand éloignement du monde, & dans un grand mépris de ce qu’on y appelle grand & agréable.

La répétition des verbes est quelquefois aussi fort nécessaire.

Exemple : « Un Prince qui apprenoit à joüer des Instrumens, ayant touché une corde pour une autre ; & se formalisant de ce que son maistre l’en reprenoit ; si c’est comme Roy, répondit le maistre, vous avez droit de le faire ; si comme Musicien, vous faites mal[19]. »

Il falloit répéter, c’est aprés le second si, & dire : si c’est comme Musicien. Car c’est une régle générale que dans ces sortes de phrases, il faut toûjours répéter le premier verbe aprés les si qui suivent. Quand M. le Maistre, par exemple, a dit dans un de ses Plaidoyez[20] : « N’est-il pas raisonnable qu’un François puisse avoir des enfans François par tout, que non pas qu’il en ait un Espagnol, si sa femme accouche en Espagne ; un Savoyard si en Savoye, un Anglois si en Angleterre » ; il eust mieux fait de répeter accouche aprés chaque si en ajoûtant le pronom elle, de cette sorte : « Que non pas qu’il en ait un Espagnol si sa femme accouche en Espagne, un Savoyard si elle accouche en Savoye, un Anglois si elle accouche en Angleterre » ; le Latin n’aime pas ces sortes de répétitions, mais le François les demande.

Exemple. Il ne faut point que cela vous gesne, car on ne doit point l’estre en ces occasions, il faut dire car on ne doit point estre gesné en ces occasions. La raison en est que le verbe qui précede estant à l’actif, ne sçauroit se sous-entendre aprés pour un infinitif passif. C’est pourquoy on dira fort bien, il ne faut pas que vous soyiez gesné, car on ne doit point l’estre en ces occasions ; mais non, il ne faut pas que cela vous gesne, car on ne doit point l’estre, &c.

Un certain Auteur qui a voulu faire une Rhétorique Françoise, dit dans un endroit de son Livre : On ne doit ni suivre les autres aveuglément ni croire les autres ou soy mesme immanquable[21]. Il devoit dire : ni croire les autres, ni se croire soy-mesme immanquable ; car quoy qu’on dise, croire quelqu’un, on ne dit point, croire soy-mesme, mais se croire soy-mesme.

Le Pere Bouhours dans ses Remarques fait une réflexion semblable à celle-cy ; il cite ce passage de M. d’Ablancourt dans le songe de Lucien : Une pauvre inconnuë qui est contrainte de travailler de ses mains, & de songer plûtost à polir un marbre que soy-mesme, surquoy il dit qu’il falloit répéter polir en y ajoûtant se, & dire, qui est contrainte de travailler, & de songer plûtost à polir un marbre qu’à se polir soy-mesme. Par ce, dit-il, qu’on ne dit pas, polir soy-mesme, mais se polir soy-mesme. Ce principe est vray, mais il me semble que le Pere Bouhours ne l’a pas assez approfondy ; car quoy qu’on ne dise pas aimer soy-mesme, mais s’aimer soy-mesme ; on ne laisse pas de dire, aimer son prochain plus que soy-mesme ; on dit tous les jours en cent occasions, je l’aime plus que moy-mesme : nous devons aimer Dieu plus que nous mesme : Il faut donc expliquer d’où vient cette différence, & voicy ce me semble ce qu’on en peut penser : La raison que j’ay apportée pour faire voir qu’il ne faut pas dire, on ne doit pas croire les autres ni soy mesme immanquable, n’a point de lieu lors qu’il y a un terme de comparaison comme dans l’exemple cité, aimer le prochain plus que soy mesme, pourveu toutefois que ce terme de comparaison soit immediatement devant le, que, qui est gouverné par la comparaison, comme il est dans le mesme exemple : ainsi (quoy qu’on ne puisse pas dire, polir un marbre plutost que soy-mesme ; parce que plutost faisant là l’office d’au lieu de, n’est pas un véritable comparatif.) On peut dire sans crainte de faillir, aimer son prochain plus que soy-mesme, autant que soy mesme. Mais si je déplace ces termes de comparaison plus, autant, & que je ne les mette pas immediatement devant le que, alors je dois répéter le verbe, & dire par exemple, il y a des Chrestiens qui aiment plus leur prochain, qu’ils ne s’aiment eux-mesme. Un pere songe plus à enrichir ses enfans, qu’à s’enrichir luy-mesme : Il y a des gens qui travaillent plus à sanctifier les autres qu’à se sanctifier eux mesmes.

Et je ne parlerois pas tout-à-fait bien, si je disois, il y a des Chrestiens qui aiment plus leur prochain qu’eux-mesmes. Un pere songe plus à enrichir ses enfans que luy-mesme. Il y a des gens qui travaillent plus à sanctifier les autres qu’eux-mesmes.

Mais au contraire, si je r’approche la particule plus, & que je la mette immediatement devant le que, la répetition ne sera plus nécessaire, & ces phrases cy seront bonnes : Il y a des Chrêtiens qui aiment leur prochain plus qu’eux-mêmes. Un pere songe à enrichir ses enfans plus que soy-mesme.

Ainsi c’est une faute de dire : j’instruis mieux les autres que moy-mesme, pour, que je ne m’instruis moy mesme ; & ce n’en est pas une de dire : j’instruis les autres mieux que moy-mesme.

C’est mal dit : Il est quelquefois plus à propos de croire les autres que nous-mesmes.

Et c’est bien dit : Il est quelquefois à propos de croire les autres plus que nous-mesmes.

Voilà ce que fait un mot placé dans un endroit plûtost que dans un autre, & mesme si l’on y prend garde, ce dérangement met quelquefois de la différence dans le sens, quoy qu’elle ne soit pas notable.


Autres exemples.

M. de Voiture dit en écrivant à Monseigneur d’Avaux : Mon Térence n’est pas si correct que le vôtre, ni moy si correct que vous. Quelques personnes critiquent cette maniere de parler, & prétendent qu’il falloit répéter le verbe estre à la premiére personne, & dire : Mon Térence n’est pas si correct que le vostre, ni je ne suis pas si correct que vous, parce que est, qui est en haut, ne peut se sous-entendre en bas pour, je suis.

Le dernier Traducteur de l’Imitation, dit dans un endroit : Il y a beaucoup de choses qu’il importe peu, ou point du tout de sçavoir[22]. Et dans un autre : Il faut attendre tout de Dieu, & rien de soy-mesme[23]. Ces deux exemples sont également deffectueux. Dans le premier il falloit répéter le verbe importe, en ajoûtant une négation & dire : il y a beaucoup de choses qu’il importe peu, ou qu’il n’importe point du tout de sçavoir. Car on ne dit pas : il importe point. Et dans le second il falloit de mesme répéter le verbe attendre & ajoûter la négation, en disant : Il faut attendre tout de Dieu, & ne rien attendre de soy-mesme, parce qu’on ne dit point attendre rien, mais n’attendre rien.

Mais lors que la négation est exprimée au commencement de la période, il n’est pas nécessaire de rien de répéter, comme on le voit en cét exemple du mesme Auteur : La plûpart des hommes s’égarent souvent, & ne r’emportent que peu ou point de fruit de leurs estudes.

Quand la période est un peu longue, il est de la clarté & mesme de la grace du discours de répéter le verbe. En voicy un excellent exemple de M. Racine en son remerciment à Mrs de Bergeret & de Corneille.

« Qui l’eust dit au commencement, de l’année derniére, & dans cette mesme saison où nous sommes ; lors qu’on voyoit tant de haines éclatter, tant de ligues se former ; & cét esprit de discorde & de défiance qui souffloit la guerre aux quatre coins de l’Europe, qui l’eust dit qu’avant la fin du printemps tout seroit calmé. »

Il est bon quelquefois en répétant le verbe d’ajoûter, dis je, lors que la phrase est de trop longue haleine : comme en cét exemple du mesme Auteur.

« L’Académie a regardé la mort de M. de Corneille, comme un des plus rudes coups qui la pust frapper : car bien que depuis un an une longue maladie nous eust privez de sa présence, & que nous eussions perdu en quelque sorte l’espérance de le revoir jamais dans nos assemblées ; toutefois il vivoit, & l’Académie dont il estoit le Doyen, avoit au moins la consolation de voir dans la liste, où sont les noms de tous ceux qui la composent ; de voir, dis-je, immediatement au dessous du nom sacré de son auguste protecteur, le fameux nom de Corneille. »

Il faut néanmoins éviter de se servir trop souvent de ces, dis-je, & ne pas faire comme le Pere Bouhours qui en met presque à toutes ses phrases.

Outre les répétitions, dont je viens de parler, il y en a encore de pronoms & de particules, je vais en apporter des exemples.

« Il est écrit, vous aimerez vôtre prochain & haïrez vostre ennemy ; & moy je vous dis : vous aimerez vostre ennemy, benirez ceux qui vous maudissent, ferez du bien à ceux qui vous persecutent, prierez pour ceux qui vous calomnient[24]. »

Il falloit répéter le pronom vous, & dire : « vous aimerez vos ennemis, vous benirez ceux qui vous maudissent, vous ferez du bien à ceux qui vous persecutent, vous prierez pour ceux qui vous calomnient. »

Le même Auteur aprés avoir dit, en expliquant la parabole du Laboureur, que les premiers, les seconds, & les troisiémes qui y sont figurez, sont ceux qui ne font pas fructifier la parole de Dieu, ajoûte : les derniers sont ceux qui l’écoutent, la méditent, souffrent avec joye les tribulations où elle les expose. Il falloit répéter qui, & dire, les derniers sont ceux qui l’écoutent, qui la méditent, qui souffrent avec joye les tribulations. Mais quand les cas se trouvent tous devant ou aprés les verbes, il ne faut pas repeter le pronom, ainsi qu’on le peut voir en cét exemple du même Livre : « Ils prescherent par tout la Pénitence, guérirent un grand nombre de malades, & chasserent beaucoup de démons ». Le premier, ils, peut se répandre sur tous les autres verbes, parce que leurs cas sont tous placez selon le mesme ordre.

La répétition des particules n’est pas moins nécessaire quelquefois, que celle des pronoms. Exemple. Nostre loy ne juge personne sans l’avoir entendu & examiné ses actions[25]. Il falloit répéter la particule sans & le verbe avoir, & dire : Nostre loy ne juge personne sans l’avoir entendu & sans avoir examiné ses actions. Cette répétition est absolument nécessaire à cause que l’avoir entendu, ne se rapporte pas au mesme cas que examiné, car s’il n’y avoit pas plusieurs cas pour ces deux verbes, ou qu’au moins ils fussent tous deux devant le verbe, ou tous deux aprés ; il ne seroit point nécessaire d’aucune répétion ; par exemple, on dira fort bien : nostre loy ne juge personne sans l’avoir entendu & examiné ; parce que c’est le mesme cas. Je puis dire aussi : nostre loy ne condamne personne sans avoir entendu son procez & examiné ses actions ; parce que ces deux cas sont tous deux aprés leur verbe.

Quand les mots sont synonimes, on ne répéte point les particules, par exemple, je diray : Le Fils de Dieu est venu pour racheter les hommes & les delivrer de la servitude, & non, & pour les delivrer ; parce que racheter & delivrer sont la mesme chose, nos bons Auteurs sont fort exacts là-dessus.

M. le Prince de Conty, par exemple, dit dans un excellent traité en parlant des spectacles : « la creature y chasse Dieu du cœur de l’homme, pour y dominer à sa place ; y recevoir des sacrifices & des adorations ; y régler ses mouvemens, & y faire toutes les fonctions de Souverain qui n’appartiennent qu’à Dieu[26]. »

La particule, pour, n’est point répétée en cét exemple, parce que les diverses parties de cette phrase ne font point de sens différens, & ne sont à proprement parler que des synonimes. M. Fléchier dit dans l’Oraison Funébre de Monsieur de Turenne, il ne perdit point ses jeunes années dans la mollesse & la volupté, il ne dit pas, dans la mollesse & dans la volupté, parce que ce sont deux termes semblables ; mais quand les mots ne sont pas synonimes, il est à propos de répéter les particules : ainsi je diray, Le Fils de Dieu est venu pour racheter les hommes, & pour détruire l’empire du démon, & non, & détruire, parce que ces deux termes racheter les hommes & détruire l’empire du démon ne sont pas la mesme chose quoy que l’une soit une conséquence de l’autre.

Il y a pourtant des mots où cette régle n’a pas lieu, par exemple la particule avec ne laisse pas de se répéter souvent quoyque les termes soient synonimes ; comme : il a agy dans cette affaire avec prudence & avec sagesse, & non, avec prudence & sagesse. Mais il est à remarquer que si l’article le, la ou les, ou mesme quelqu’autre terme se rencontre entre avec & le mot qu’il regit, il ne faut point répéter : avec, comme : il a agy avec la prudence & la sagesse qu’il devoit. Il luy a parlé avec beaucoup de discrétion & de retenuë. Pour estre obligé de répéter avec dans ces exemples, il n’y a qu’à oster la, dans le premier, & beaucoup de, dans le second. Il a agy avec prudence & avec sagesse.

Il luy a parlé avec discretion & avec retenuë.


Répétitions de netteté.

Exemple. De sorte que le courage avoit plus besoin d’estre réprimé, que la lâcheté n’avoit besoin d’estre excitée[27].

Il semble que ce seroit assez de dire, que la lâcheté d’estre excitée, mais il semble aussi que la netteté demande cette répétition.

M. Fléchier dit de Dieu dans l’Oraison de M. de Turenne, pour accomplir vos volontez & faire craindre vos jugemens, vostre puissance renverse ceux que vostre puissance avoit élevé. Il pouvoit dire, vôtre puissance renverse ceux qu’elle avoit élevez, mais cela ne seroit pas si net, ny mesme si soûtenu. Et dans l’Oraison Funebre de M. de la Moignon, en parlant de la simplicité où vivoient les hommes des premiers siécles : les bornes de leurs heritages, dit-il, estoient les bornes de leurs desirs, il pouvoit dire : les bornes de leurs héritages estoient celles de leurs desirs. Mais un Ecrivain exact se croit estre obligé à ces sortes de répétitions.

Un autre Auteur qui écrit avec beaucoup de politesse des choses mesmes les plus abstruses dit : « Il ne faut pas que l’esprit s’arreste avec les yeux, car la veuë de l’esprit a plus d’étenduë que la veuë du corps[28]. » Il ne mét pas, car la veuë de l’esprit a plus d’étenduë que celle du corps.

Et un autre dont le stile est fort chastié & fort exact : « l’Eloquence n’eust de succés à Rome que par les glorieuses récompenses qu’on luy proposoit. Son crédit y cessa aussitost que ses récompenses y cesserent[29]. » Un Auteur moins exact auroit dit : son credit y cessa, aussitost que ses récompenses. Mais il est visible que la netteté demandoit cette répetition. D’ailleurs cessa estant un singulier ne peut se sous-entendre clairement pour un plurier.

Il y a d’autres répétitions qui servent beaucoup plus à la netteté, & sans lesquelles le discours n’auroit presque aucune clarté comme on peut voir en cét exemple d’un Auteur d’ailleurs fort poli : C’est sur la matiére des devises : « J’ay exprimé autrefois qu’il faut que le Prince suive les régles de la religion & de la prudence pour bien gouverner, par une boussole tournée vers l’étoile Polaire non rego ni regar, que les principes de sa conduite doivent estre cachez, quoyque ses actions soient publiques, par une montre d’horloge motibus arcanis. Qu’avant que d’entreprendre une guerre, il doit bien considerer ce qu’il fait par une licorne, non impetu cæco. »

Cette période est pleine d’équivoques grossiéres, parce qu’il n’y a que le seul verbe j’ay exprimé qui gouverne tout le reste de la phrase. Pour remedier à cela il n’y avoit qu’à prendre un autre tour, & répéter en chaque membre de la phrase le mot j’ay.

Par exemple il falloit dire : « Afin d’exprimer qu’il faut que le Prince suive les régles de la religion, & de la prudence pour bien gouverner, j’ay proposé une boussole tournée vers l’étoile polaire, non rego ni regar, pour marquer que les principes de sa conduite doivent estre cachez, quoyque ses actions soient publiques, j’ay réprésenté une montre d’horloge, motibus arcanis, & pour montrer qu’avant que d’entreprendre une guerre il doit considerer ce qu’il fait, j’ay peint une licorne, non impetu cæco. » Ce tour eust esté clair, ce me semble, & sans galimatias.


Répétitions élégantes.

J’appelle répétitions élégantes celles qu’on peut se passer de faire, & qui ne sont que pour la grace du discours.

Exemple : « L’observation des Loix ne passe plus pour honteuse, lors que les grands en font une publique profession, & l’on fait gloire de suivre ceux que la gloire suit toûjours[30]. »

« Nous ne devons point trouver estrange que Dieu ait traité comme les Saints celuy qu’il avoit remply de l’esprit & de la science des Saints ; & qu’une vertu extraordinaire ait esté persecutée d’une maniére extraordinaire[31]. »

Ces sortes de répétitions ont beaucoup de grace, mais il faut une grande delicatesse pour les bien employer. Il y en a d’une infinité de façons que je ne sçaurois rapporter. Il suffira de proposer les principales.

Exemple : « La charité pastorale que je dois avoir pour vous, m’oblige de vous dire que c’est une grande chose à un homme d’estre juge d’un homme, & encore plus à un Chrêtien d’être juge d’un Chrêtien[32]. »

« Si nous sommes vrais disciples de Jesus-Christ, nous n’aurons point besoin des armes du monde pour vaincre le monde. »

M. Fléchier est heureux en ces sortes de répétitions élégantes. « Ce qui sert à la vanité, dit-il, n’est que vanité ; tout ce qui n’a que le monde pour fondement se dissipe & s’évanoüit avec le monde[33]. »

Et dans l’Oraison Funébre de M. de Turenne : « C’est le privilege de M. de Turenne d’avoir pû vaincre l’envie, le mérite l’avoit fait naistre, le mérite la fit mourir. »

L’Abbé de saint Réal dit dans la vie de Jesus-Christ, « vous avez choisi une heure convenable à l’action que vous vouliez faire, & c’estoit dans les ténébres qu’il falloit accomplir un ouvrage de ténébres ». Ces répétitions sont encore plus belles en Poësie.

Elle sceut mépriser les caprices du sort
Regarder sans horreur les horreurs de la mort[34].

L’excellent Traducteur du Poëme de saint Prosper contre les ennemis de la grace, dit avec beaucoup d’élégance.

Nous naissons tous pecheurs, tous dignes du supplice,
Et quiconque la connu ce crime capital,
Voit que sa playe horrible a causé tant de mal
Et qu’un joug si pesant accable de misere,
Les enfans malheureux de ce malheureux pere[35].

Il y a des répétitions d’une autre nature, dont le propre caractere est de donner de la force & du feu à l’expression. M. Racine dit par exemple, en parlant de feu M. Corneille. « Enfin Corneille inspiré d’un génie extraordinaire & aidé de la lecture des anciens, fit voir sur la scene la raison ; mais la raison accompagnée de toute la pompe, & de tous les ornemens dont nôtre Langue est capable. » Cette répétition, mais la raison, n’a-t’elle pas quelque chose de fort & d’animé ? Voicy un autre exemple où la répétition de vous n’a pas moins de force.

C’est donc vous seul, c’est vous de qui l’orgueil extrême
Attaque en se plaignant la majesté supréme ;
Vous dont l’esprit ingrat ne peut voir sans douleur
Que la grace d’un Dieu régne dans nostre cœur ;
Vous qui voulez qu’à tous par Jesus présentée
Estant prise des uns, des autres rejettée
Nostre seul libre arbitre agissant par son choix,
Soit cause que l’un fuit, l’autre écoute sa voix[36].

Ces répétitions dont nous venons de donner des exemples, ne sont que de substantifs ou d’adjectifs ; mais il y en a qui se font par les verbes, & qui n’ont pas moins de grace, comme : « Il faut faire remonter ces maximes jusqu’à cét esprit divin qui anime les Poëtes, & qui les éclaire, pour nous éclairer par leur ministere[37]. » Et M. Fléchier. La Reine, Messieurs, sanctifia sa Cour en se sanctifiant elle-mesme[38]. M. Bertaut nous en fournit un bel exemple en ces Vers où le verbe perdre est répété avec une grace charmante.

Félicité passée qui ne peut revenir,
Tourment de ma pensée,
Que n’ay-je en te perdant perdu le souvenir.

L’élégant & fidele Traducteur du sçavant Poëme de S. Prosper, dont nous avons cité déja quelques Vers, dit avec autant de grace que de verité.

Dieu ne prend pas les siens parce qu’ils le benissent
Mais choisit ses Eleus, afin qu’ils le choisissent.

Cette répétition choisit, choisissent, est d’un grand agrément & paroist d’autant plus belle qu’elle naist du sujét mesme.

Il y a des répétitions qui se font par le substantif & par le verbe, & celles-là ne sont pas moins belles que les autres.

Exemple : « L’admiration de l’esprit est plus merveilleuse que tout ce qu’il admire, & les desirs de l’homme sont quelque chose de plus noble que tout ce qu’il desire. »

Je finis cette remarque en observant encore deux répétitions d’une autre espece, l’une se fait en répétant à diverses reprises le mesme adjectif devant des substantifs différens, comme en cét exemple de M. Fléchier, dans l’Oraison Funébre de la feuë Reine. « Ce qui couronne la vie de cette Princesse, c’est qu’elle fut toûjours égale : mêmes vertus, mesmes retraites, mesmes prieres, mesme usage des Sacremens, mesmes principes, mesmes régles » : l’autre se fait en répétant dans une phrase, qui est composée de plusieurs noms, le mesme adjectif aprés chaque nom, lors qu’on pourroit ne le dire qu’une fois, en le renvoyant au bout de la phrase, comme en cét exemple : « Il y a une infinité de choses qui ne dépendent que d’une lumiére humaine, d’une expérience humaine, d’une pénétration humaine[39] », ce qui a plus de grace que si l’on disoit : Il y a des choses qui ne dépendent que d’une lumiére, d’une expérience, & d’une pénétration humaine. Il se fait une autre répétition qui n’est guéres différente de celles-là, c’est de mettre le mesme substantif au commencement de chaque membre de la phrase, comme : Il y a voix pour instruire, voix pour flatter, voix pour reprendre[40].

J’ajoûte encore que la répétition de la conjonction, &, est fort agréable, pourveu que ce soit dans une occasion semblable à celle-cy.

« Que les pécheurs se souviennent que Dieu voit le fond de leur conscience, qu’il est, & un témoin qu’ils ne sçauroient tromper, & un Juge dont ils ne sçauroient éviter le tribunal[41]. »


Répétitions élégantes
dans les discours prononcez.

Comme les discours prononcez demandent beaucoup plus de feu que les autres ; ils veulent aussi des répétitions plus hardies. En voicy quelques exemples : Je ne puis taire, Messieurs, sans trahir ma cause ; je ne puis taire des véritez qui ne sont que trop publiques[42].

« L’Espagne sur tout, l’Espagne son orgüeilleuse ennemie, se vantoit de n’avoir jamais signé que des Traitez avantageux[43]. »

Le mesme dit encore avec beaucoup de grace, « lors que dans les âges suivans on parlera avec estonnement des victoires prodigieuses & de toutes les grandes choses qui rendront nostre siécle l’admiration de tous les siécles à venir ; Corneille n’en doutons point, Corneille tiendra sa place parmy toutes ces merveilles ». On pourroit dire : Corneille n’en doutons point tiendra sa place parmy toutes ces merveilles, mais ce tour uny n’auroit pas tant de feu, & ne seroit pas si propre à un discours déclamé.

Nostre Langue est heureuse en répétitions, je ne crois pas néanmoins qu’elle le soit plus que la Latine, quoy que M. de Vaugelas le prétende dans ses Remarques ; & s’il se trouve dans les Auteurs Latins quelques répétitions vicieuses, il ne s’en trouve pas moins dans nos Auteurs François ; il me seroit facile de faire voir icy par plusieurs exemples combien M. de Vaugelas se trompe, & j’espere le montrer bien-tost dans des Remarques sur la Langue Latine. Mais voyons en passant sur quels exemples il se fonde pour avancer ce qu’il dit : il cite parmy plusieurs autres celuy-cy, qui est tiré des Commentaires de César de bell. Gall : Convocato consilio, & ad id consilium. « Voyez, dit-il. César met deux fois le mot de consilium, ainsi proche l’un de l’autre : nous avons nostre particule en François, qui nous sauve ces sortes de répétitions, en quoy nostre Langue a de l’avantage sur la Latine, car nous dirions : le Conseil estant assemblé, & un tel y ayant esté appellé. »

Il ne se peut rien de plus foible que cette raison ; car il n’y a peut-estre point de répétitions que les Latins recherchent tant que celles-là ; Cicéron, César, & un grand nombre d’autres en sont remplis. Or il n’y a pas d’apparence que des Ecrivains de cette conséquence eussent voulu tout exprés & de gayeté de cœur, gaster leurs discours, par des répétitions dont ils pouvoient si facilement se passer, par exemple, lors que César a dit dans le 4. Liv. de bell. Gall. iter in ea loca fecit quibus in locis Germanos esse audiebat. Qu’est-ce qui l’empeschoit de dire, iter in ea loca fecit in quibus Germanos esse audiebat, sans répéter locis : Quand Cicéron a dit. Nullus est dies quo die non dicam pro reo. Qu’est ce qui l’empeschoit de dire, nullus est dies quo non dicam pro reo, sans répéter, die, le sens fust toûjours demeuré le mesme, & ne fust point devenu moins clair. Il faut donc que ces répétitions passassent pour élégantes, puis qu’on voit que ceux qui parloient le mieux, affectoient en quelque sorte de s’en servir : On pardonne aisément cette petite erreur à M. de Vaugelas, qui sçavoit beaucoup mieux le François que le Latin ; mais on doit s’estonner que le Pere Bouhours, qui possede si bien toutes les Langues, ait cependant écrit la mesme chose : « La Langue Françoise, dit-il, est, si je l’ose dire, plus exacte que la Latine, qui répéte souvent les mesmes mots sans nécessité & sans grace, comme le prouve M. de Vaugelas par des exemples tirez de César, de Cicéron, & de Quinte-curse » ; sans doute que l’autorité de M. de Vaugelas l’a empesché de faire sur cela les réflexions nécessaires ; car il n’est pas probable qu’un homme aussi versé que luy dans les belles Lettres, eust parlé de la sorte, si une trop grande considération pour les sentimens de cét Auteur, ne l’eust empesché d’examiner ce qu’il avance.


Répétitions vicieuses.

Répétitions de Genitifs.

Exemple : la délicatesse des pensées de l’Auteur du discours que je m’en vais prononcer[44]. Voilà trop de genitifs, ces sortes de répétitions sont des plus désagréables.

Un Auteur célébre a fait la mesme faute quand il a dit : le discours est imparfait, lors qu’on n’y lit pas tous les trais de la forme des pensées de celuy qui parle[45].

Les Juifs estoient jaloux de la gloire de la loy de Moïse.

Ces de & ces des sont insupportables pour peu qu’on ait de bon goust ; on le peut voir encore en cét exemple d’un autre Ecrivain, d’ailleurs fort exact & fort poli.

C’est un des talens des plus essentiels des grands genies de se faire de grands sujéts dans toutes les matiéres qu’ils traitent[46].


Répétitions de celles.

Exemple : « Il est vray que ce n’estoit pas de ces pierres de Turnus ou d’Ajax, ou dont Diomede frappa Enée à la cuisse ; mais de celles que des mains bien différentes de celles de ces Héros, & telles que nous en avons aujourd’huy peuvent jetter[47]. »

Qui ne voit que ces deux : de celles, blessent l’oreille & font là un mauvais effet ; je ne dis rien de la longueur excessive de cette phrase, ce n’est pas icy le lieu d’en parler.


Répétition d’avec.

Exemple : Ne traitez point avec moy avec ces soumissions & ces prieres ; ces deux avec sont vicieux, & ont quelque chose qui choque l’oreille.


Répetition de, que.

Exemple : « Que feriez-vous, Messieurs, dans une occasion semblable ? Quelles mesures prendriez vous autres que celles que celuy que je défends a prises[48] ? » Voilà trop de que, il falloit les éloigner un peu plus, afin qu’on les apperçeust moins, & prendre à peu prés ce tour-cy. Quelles mesures prendriez-vous autres, que celles qu’a prises celuy que je défends.


Répétition de, comme.

Exemple : « Le Pharisien parloit ainsi à Dieu en luy-mesme, Seigneur, je vous remercie de ce que je ne suis ni adultere, ni yvrogne comme les autres hommes, comme ce Publicain que voicy[49] » : ces deux, comme, sont vicieux, il falloit changer l’un des deux en, ainsi que, & dire : de ce que je ne suis ni adultere ni yvrogne, ainsi que les autres hommes, comme ce Publicain que voicy.


Répétition de, mais.

Exemple : M. Racine dans le remerciment que nous avons déja cité plusieurs fois dit en parlant de la sagesse du Roy. « Les uns ne veulent rien céder de ce qu’on leur demande, les autres redemandent ce qu’on leur a pris ; mais tous ont résolu de ne point poser les armes, mais luy qui sçait bien ce qui en doit arriver, ne semble pas mesme prester d’attention à leurs assemblées. »

Il y a des gens qui croyent que ces deux mais, ainsi répétez sont vicieux ; mais cependant ils se trompent, & c’est un vain scrupule qu’ils ont. Ces deux mais, ayant deux rapports différens, il est permis de les répéter ; & nos meilleurs Auteurs n’en font point de difficulté.

M. Fléchier, par exemple, dit en parlant d’un Juge méchant & d’un Juge ignorant : « l’un péche avec connoissance, & il est plus inexcusable ; mais l’autre péche sans remords, & il est plus incorrigible : mais ils sont également criminels à l’égard de ceux qu’ils condamnent, ou par erreur ou par malice[50]. »

Et M. Dépreaux : « mais quand le sublime vient à paroistre où il faut, il renverse tout comme un foudre, & présente d’abord toutes les forces de l’Orateur ramassées ensemble. Mais ce que je dis icy est fort inutile pour vous, qui sçavez ces choses par expérience[51]. »


Répétition de, par, & de pour.

Exemple : Cela a esté approuvé par des hommes considérables par leur mérite. Plusieurs personnes tres-entenduës dans la Langue, condamnent ces deux, par[52].

Le mesme Auteur dit : Je n’ay pas besoin d’autre chose pour passer pour homme de bien ; Il est certain que ces deux, pour ont quelque chose de rude, & sont mesme plus désagréables que la répétition de par, du premier exemple.


Répétition d’avoit.

Exemple : « Une Dame de grande qualité n’estoit jamais venuë à Paris, parce qu’ayant perdu son pere & sa mere au berceau, on l’avoit confiée à une tante qu’elle avoit, qui avoit un fort grand mérite[53] », il y a trop de fois avoit dans cette phrase ; & on lit presque dans une mesme ligne, on l’avoit, qu’elle avoit, qui avoit.


Répétition de car.

Exemple : « Il est de grande importance que les Rois & les Magistrats ne donnent que de bons exemples[54] ; car l’imitation est le ressort le plus puissant dont l’usage se sert pour establir sa tyrannie ; car ceux qui ne se conduisent pas par raison, se laissent conduire par l’imitation. » Cette répétion de car ne fait pas là, ce me semble, un fort bel effet ; & je ne crois pas que ce soit estre trop critique que de condamner ces sortes de répétitions, comme de petites négligences qui ne laissent pas de gaster un discours.

Dans les Dialogues il est fort facile de répéter les mesmes mots, en faisant parler les personnages. Pour l’éviter, il n’y a qu’à entremêler différens verbes qui signifient la mesme chose ; & c’est un avantage de nostre Langue sur la Latine, qui n’a tout au plus que deux verbes pour diversifier ses repliques dans les entretiens ; ce que Cicéron luy-mesme réconnoist pour un défaut[55]. Au lieu qu’en nostre Langue nous avons cinq ou six verbes différens, comme : dire, répliquer, interrompre, reprendre, répondre, repartir : En voicy un exemple tiré des entretiens d’Ariste & d’Eugene.

« Tout cela est fort bien remarqué, dit Eugene, & je demeure d’accord, &c. à vous dire le vray, répondit Ariste, je n’ay encore rien décidé là-dessus, mais, &c. je ne suis pas tout-à-fait de vostre goust, reprit Eugene ; il me semble que, &c. mais dans le calme il n’y a rien qui ne plaise, dit Ariste, tout y est doux, tout y est beau ; c’est une douceur bien fade, repliqua Eugene, que ce calme qui vous plaist tant. Je ne comprends pas, dit Ariste en soûriant, qu’un emportement de colere puisse donner du plaisir. Je pourrois vous répondre, repartit Eugene, qu’il y a des personnes à qui un peu de colere ne sied pas mal ; Eh quoy, interrompit Ariste, n’est-ce pas un beau spectacle que cét élement quand une profonde paix y régne ? &c. »

Il nous reste à remarquer au sujét des répétitions, ce que dit M. Paschal : « Que lors que dans un discours on trouve des mots répétez, & qu’essayant de les corriger, on les trouve si propres qu’on gasteroit le discours, il les faut laisser ; c’en est la marque. » La répétition n’est pas faute alors ; car il n’y a point de régle qui ne souffre quelque exception.


Répétitions, redites.

Les redites sont différentes des répétitions, en ce qu’elles regardent les choses, & que les répétitions ne regardent que les paroles : comme il y a des répétitions vicieuses, il y a aussi des redites vicieuses ; & celles-cy sont d’autant plus désagréables que les choses l’emportent sur les mots. Il faut donc regarder les mauvaises redites, comme un défaut qui peut encore plus gaster un discours que les mauvaises répétitions ; c’est ce qu’il sera facile de voir par ces exemples, quoyque tirez d’un Livre ou l’Auteur prétend nous enseigner à plaire. Ce sont des reparties toutes semblables qu’il fait faire dans des entretiens, & où tout consiste en, il fit fort bien, il fit fort sagement, il avoit raison & autres termes de la sorte. Exemples :

« Vous me faites souvenir, interrompit Euthyme, de ce que fit un jour un galant homme, il estoit allé chez un de ses amis, &c. »

Je trouve qu’il avoit raison, reprit Théagene, d’en user de la sorte.

« Deux Cavaliers estant prests de se battre, l’un demanda à son adversaire, &c. »

Voilà un fort bon détour, reprit Euthyme, je trouve qu’il fit fort sagement.

« J’approuve fort la politique de cette République, laquelle, &c. »

On avoit raison de faire tout cela, reprit Euthyme.

« Théodose fut si effrayé, qu’il ordonna, &c. »

Il fit fort sagement, répondit Euthyme.

« J’en vois tous les jours qui passent toute une visite à, &c. »

Ils font fort bien, reprit Euthyme.

« Pourquoy ne voulez-vous pas, repartit-elle, que j’imite la colombe, &c. »

Je trouve qu’elle fit fort bien de repartir de la sorte, dit Théagene.

« Un de ceux qui l’entendoit luy dit froidement, &c. »

Il fit fort bien, dit Théagene.

« Je ne le ménageray plus tant à l’avenir, &c. »

Vous ferez fort sagement, repartit Théagene.

« Ceux qui ont l’esprit assez mince, prennent quelquefois un air precieux pour faire croire, &c. »

Ils font fort bien de prendre le party de se taire, ajoûta Euthyme.

« Elles prient les Dieux de donner à leurs amans des richesses, des honneurs, hormis le sens commun. »

Elles ont raison, reprit Euthyme, d’en user ainsi.

Tous ces entretiens sont pleins de semblables reparties, Euthyme & Théagene ne sçavent répondre que la mesme chose ; mais en voilà je crois plus qu’il n’en faut, pour faire voir combien les redites sont à éviter.


Repit.

Ce mot n’est que du discours familier. Je vous donne repit de six mois, pour ce que vous me devez[56].


Résider.

Résider dit plus que demeurer, il marque une habitation plus fixe & plus permanente, la paix réside dans l’ame de ceux qui desirent la procurer aux autres[57].


Résoudre.

On demande s’il faut dire : nous résoudons, ou, nous résolvons. On dit : nous résolvons, quand ce verbe signifie, nous prenons résolution. Je m’estonne que celuy qui a voulu faire les véritables principes de la Langue Françoise, ait osé conjuguer ce verbe de cette sorte ; nous résoudons, ou, résolvons, vous résoudez, ou, résolvez, ils résoudent, ou, résolvent. Car qui a jamais oüy dire : résoudez-vous à quelque chose, pour, résolvez-vous ? Il est estonnant qu’ayant écrit, à ce qu’il dit, pour les Estrangers, il n’ait pas éclaircy les deux sens de ce verbe : car quand résoudre, signifie prendre un dessein, une résolution ; on ne doit jamais dire résoudez-vous, mais, résolvez-vous.


Rester.

M. de Vaugelas n’approuve pas qu’on dise je resteray icy tout l’Esté, selon luy il faut dire : je demeureray icy tout l’Esté. En effét, il n’y a que les Provinciaux qui parlent ainsi. Rester n’est bon que quand il signifie estre de reste, on dira fort bien en parlant d’un grand carnage, il n’en resta pas même un seul pour en porter la nouvelle, c’est à dire, il n’y en eut pas mesme un seul de reste qui pust en porter la nouvelle ; & c’est en ce sens que M. Flechier se sert fort à propos de ce verbe, lors qu’il dit dans l’Histoire de Théodose : ils chargerent si bien ces barbares, qu’il n’en resta qu’un petit nombre : hors ces occasions, rester ne vaut rien ; c’est à quoy peu de gens prennent garde, mesme parmy ceux qui parlent le mieux.

Le nouveau Traducteur d’Horace, dit dans l’onziéme Epistre, aimez-vous mieux rester à Lébede, que de vous exposer tout de nouveau à la fatigue des voyages de terre, & de mer, ne diroit-on pas que tout le monde va sortir de Lébede, & qu’il conseille à celuy-cy de n’y pas demeurer seul & abandonné ? car afin que le verbe rester pust estre bon en cét endroit, il faudroit que le sens de cette phrase fut celuy-cy, tandis que tout le monde sort de Lébede, aimez-vous mieux y estre tout seul, que de vous exposer à la fatigue des voyages. Le mesme Auteur fait la mesme faute un peu plus bas. Croyez-moy, restez à Rome & faites y tant qu’il vous plaira, le Panégyrique de Chio, de Rhodes, & de Samos, c’est à dire, en bon François, « croyez-moy, laissez sortir tout le monde de Rome, soyez-y seul de reste, & aprés cela faites-y tant qu’il vous plaira le Panégyrique, &c. » Plusieurs personnes font ces fautes, c’est pourquoy j’ay crû cette remarque nécessaire.


Restaurateur.

Ce mot est du bel usage : Pompée vouloit passer pour le Restaurateur du Tribunal[58].


Restitué, rendu.

Restitué se dit en plusieurs occasions, on proposa dans les articles que les terres que le Roy leur avoit ostées, leur seroient restituées[59].


Retranchemens vicieux.

Il faut prendre garde que le desir d’estre court ne nous fasse rien retrancher de nécessaire. C’est à quoy l’on ne s’applique pas avec assez de soin : & j’ay remarqué que plusieurs bons Ecrivains s’y laissent surprendre : l’Auteur par exemple des nouvelles réflexions sur l’Art Poëtique ne dit-il pas : « Ce desir ardent avec lequel les hommes cherchent un objet qu’ils puissent aimer & en estre aimez, naist de la corruption de leur cœur. » Il n’y a ni Syntaxe, ni construction dans cette phrase. Il falloit répéter le verbe puisse, & ajoûter le pronom dont, & dire, cherchent un objet qu’ils puissent aimer, & dont ils puissent estre aimez. C’est ainsi que pour vouloir trop retrancher, on oste jusqu’au nécessaire.

Autre exemple : Nous sçavons que les hommes avant d’entrer dans cette vie, n’en ont point eu d’autre où ils ayent fait ni bien ni mal[60]. Il y a deux fautes dans cét exemple ; la premiére est le retranchement de que, car il faut dire : avant que d’entrer, & non, avant d’entrer : la seconde est le retranchement de la négation, car il faut dire : où ils n’ayent fait ni bien ni mal, & non, où ils ayent fait.

Prétendez-vous qu’il ne doit y avoir que vous constamment heureux, dit le Pere Tarteron dans sa traduction d’Horace ; il falloit ajoûter la particule de, devant constamment, & dire : que vous de constamment heureux.

Autre exemple : je ne puis dire assurément quand je partiray d’icy, si dans un mois, dans deux ou dans trois[61], il falloit, ajoûter sera, & mettre, je ne puis dire assurement quand je partiray d’icy, si ce sera dans un mois, dans deux ou dans trois.

Celuy mesme dont le fou a receu la vie, n’aura que de la honte de luy avoir donnée[62]. Le pronom, la, estoit nécessaire en cét endroit, il falloit dire : de la luy avoir donnée.

M. d’Ablancourt retranche quelquefois les, il, lors qu’ils sont fort nécessaires. Exemple : « il fit un grand butin d’hommes & de bétail ; & aprés avoir fait le dégast par tout & enrichy ses soldats, contraignit les rebelles de se rendre ». Et un peu plus bas il ajoute : « il ramena ses troupes dans leurs quartiers, & le Printemps venu convoqua les Estats de la Province » ; il falloit, & le Printemps venu ; il convoqua les Estats de la Province.

Ce n’est pas que quelquefois il ne faille retrancher les il, & en voicy un exemple du mesme Auteur : « Cesar se trouve au rendez-vous, & dans la plus rude saison de l’année passe les montagnes ; & entrant dans l’Auvergne surprend le Païs qui se croyoit à couvert ». La suppression d’il, bien loin d’estre vicieuse en cét endroit est élégante, & donne de la force au discours.


Retranchemens élégans.

Quelquefois on retranche élégamment les articles.

M. Fléchier, par exemple, dit dans l’Histoire de Théodose : « ils ne regarderent plus dans l’entreprise du gouvernement l’emportement & la passion d’un particulier, mais la gloire du nom Romain & l’interest commun de leur nation ». Aprés quoy il ajoute : « Habitans & Soldats sortirent ensemble, & chargerent si bien ces barbares qu’il n’en resta qu’un tres-petit nombre. » Rien ne rendroit le discours plus languissant que de mettre l’article, en disant : Les Habitans & les Soldats sortirent ensemble.

M. Patru dit dans le huitiéme de ses plaidoyers : Voisins, parens & amis, hommes, femmes estoient là, ce qui est bien plus élégant que si l’on mettoit l’article les par tout, & qu’on dist, les voisins, les parens, les amis, les hommes & les femmes estoient-là. Ces sortes de suppressions donnent de la force à un discours, & embellissent beaucoup la diction, sur tout dans le stile Oratoire. Aussi Monsieur Fléchier n’a pas manqué de dire dans l’Oraison Funébre de Monsieur de Turenne : Cytoyens, Estrangers, ennemis, peuples, Rois, Empereurs le plaignent, & le réverent. Pour gaster cét exemple, il n’y auroit qu’à ajoûter, les, devant tous ces mots substantifs : les Cytoyens, les Estrangers, les ennemis, les peuples, les Rois, les Empereurs le plaignent & le réverent.

M. d’Ablancourt, dont le caractere est d’estre toûjours fort & animé dans son stile, ne manque jamais de faire ces retranchemens élégans lors qu’il en trouve l’occasion. « Les Vaisseaux, dit-il dans son César, furent tellement battus de la tourmente qu’ils perdirent & anchres & voiles, & cordages sans qu’on y pust apporter aucun remede. »

Et un peu plus bas : il laissa armes & vaisseaux pour la garde de ces Païs.

Il y a des retranchemens élégans d’une autre nature, lesquels se font en supprimant l’article devant ou aprés plusieurs mots répétez, dont les verbes sont retranchez. L’exemple le fera entendre. « Ce qui couronne la vie de cette Princesse, c’est qu’elle fut toûjours égale, mesmes vertus, mesmes retraites, mesmes prieres, mesme usage des Sacremens, mesmes principes, mesmes régles[63]. »

Rien ne rendroit cét exemple plus désagréable que de répéter l’article devant ces mesmes, & d’ajoûter auparavant, ce furent, qui est retranché, en disant : « Ce qui couronne la vie de cette Princesse, c’est qu’elle fut toûjours égale, ce furent les mesmes vertus, ce furent les mesmes retraites, ce furent les mesmes prieres ; ce fut le mesme usage des Sacremens, ce furent les mesmes principes & les mesmes régles. » Aussi M. d’Ablancourt qui est toûjours heureux dans ces sortes de figures ne manque pas de dire : avec vous tous chemins nous sont aisez, tous fleuves gayables, tous païs fertiles[64]. Rien ne seroit plus languissant que de dire : avec vous tous les chemins nous sont aisez, tous les fleuves nous sont gayables, tous les païs nous sont fertiles.

L’article un, se retranche quelquefois, comme : il y avoit sur les terres grand nombre de Maures[65]. Il se trouva grand nombre de Sénateurs ; & de Chevaliers lors qu’on délibéra là-dessus, ce qui est mieux que s’il y avoit, un grand nombre.

Il y a des rencontres où il est élégant de retrancher les verbes, lors qu’il est facile de les sous-entendre, comme : « Il leur déclara la guerre, & la commença par un combat, où ils furent vaincus, Masucca blessé à mort, & Firme mis en fuite[66]. »

En voicy encore un excellent exemple de M. Racine dans son remerciment au frere de feu M. Corneille. « Vous sçavez, Messieurs, en quel estat se trouvoit la Scéne Françoise lors que Corneille commença à travailler ; quel désordre, quelle irrégularité : nul goust, nulle connoissance des véritables beautez du Théatre : les Auteurs aussi ignorans que les spectateurs : la plûpart des sujéts extravagans & dénuez de vray-semblance : point de mœurs, point de caractére : La diction encore plus vicieuse que l’action : en un mot toutes les régles de l’Art, celles mesme de l’honnesteté & de la bienséance par tout violées. »

Cette période qui est toute pleine de force & de vivacité, deviendroit fade & languissante, si l’on y ajoûtoit ce qui y est retranché, & qu’on dist : Il n’y avoit nul goust, & nulle connoissance des véritables beautez du Théatre ; les Auteurs paroissoient aussi ignorans que les spectateurs ; la plûpart des sujéts estoient extravagans & dénuez de vray-semblance, il n’y avoit point de mœurs, ni de caractére, la diction estoit encore plus vicieuse que l’action ; en un mot les régles mêmes de l’honnesteté, & de la bienséance estoient par tout violées.

Un autre Auteur qui écrit avec beaucoup de politesse & de jugement, dit en parlant de Sénéque : « Sa latinité n’a rien de celle du temps d’Auguste, rien de facile, rien de naturel ; toutes pointes, toutes imaginations, qui sentent plus la chaleur d’Afrique ou d’Espagne, que la lumiére de Grece ou d’Italie[67]. » Ce seroit gaster cét exemple que de mettre : ce sont des pointes, ce sont des imaginations, &c. Cette suppression de verbe rend l’expression plus naturelle, plus vive, & plus agréable.

C’est à l’imitation de ces exemples, que le Traducteur du Panégyrique de Théodose le Grand a dit : « On sçait en quel estat se trouvoit alors cette Ville ; quels ravages, quelles désolations ; nul repos, nulle espérance de paix & de tranquillité ; la République renversée & presque anéantie ; les nations barbares déchaînées contre-elle, l’Empire Romain en proye à ses ennemis. »

Quelquefois il est à propos de retrancher le nominatif du verbe, comme en cét exemple, tiré de la vie de S. Ignace. Je vous le rends tout, & le remets à vostre divine volonté ; ce qui est mieux que : je vous le rends tout, & je le remets ; ainsi quand le mesme Auteur a dit dans le mesme Livre : Vostre révérence entre les mains de laquelle je me remets, & je m’abandonne tout-à-fait. Il n’a pas si bien parlé, que s’il avoit retranché le second je, en disant : Vostre révérence entre les mains de laquelle je me remets, & m’abandonne tout-à-fait.

Il y a aussi de la grace à retrancher à propos les, &, comme : Peut estre est-ce une punition de nostre orgüeil, de nostre ambition, de nos injustices[68] ; ce qui a beaucoup plus de force, que si un &, lioit le dernier membre de la phrase avec les autres de cette sorte : Peut-estre est-ce une punition de nostre orgüeil, de nôtre ambition, & de nos injustices. Aussi le mesme Ecrivain n’a pas manqué de dire dans une autre Oraison ; Ne pensons donc à cette gloire, à cét éclat, à ces dignitez, que pour réconnoistre le bon usage qu’elle en a fait[69].

En voicy encore un autre exemple de M. Mascaron, dans l’Oraison Funébre de Monsieur de Turenne : « Comme on voit la foudre conceuë presque en un moment dans le sein de la nuë, briller, éclater, frapper, abattre. Ces premiers feux d’une ardeur militaire sont à peine allumez dans le cœur du Roy, qu’ils brillent, éclattent, frappent par tout. »

Cela fait voir que si les liaisons servent quelquefois à donner de la douceur au discours, & à le rendre plus uny, elles peuvent aussi luy oster de sa force ; & voicy un exemple où cela est assez sensible : « les jeunes gens furent remplis d’un zele ardent, & ils éleverent leur courage afin d’imiter les actions que vous approuviez ; & il n’y eut pas un seul Citoyen qui ne formast le mesme dessein ». Ces deux, &, rendent la phrase languissante ; il falloit retrancher le premier, & dire : « les jeunes gens furent remplis d’un zele ardent ; ils éleverent leur courage afin d’imiter les actions que vous approuviez ; & il n’y eut pas un seul Citoyen qui ne formast le mesme dessein[70]. »

Lors que le sujét qu’on traite demande un peu de feu & de mouvement, les périodes coupées sont à propos ; car elles ont je ne sçay quoy de fort & de mâle, qui est peut-estre un des plus grands ornemens du langage ; au lieu qu’en applanissant toutes choses par le moyen des liaisons, on tombe dans une petite afféterie, qui n’a ni pointe ni aiguillon ; Et comme il est certain ; dit un Ancien, que si on lioit le corps d’un homme qui court, on luy feroit perdre toute sa force[71] ; de mesme si vous allez embarasser une passion de ces liaisons, & de ces particules inutiles, vous luy ostez toute son impétuosité, & toute la liberté de sa course.


Revanche.

Revanche est féminin, ma revanche, & non, mon revanche, comme on parle en certaines Provinces : Diogene disoit d’un mauvais Lutteur qui s’estoit fait Médecin, que c’estoit pour avoir sa revanche de ceux qui l’avoient jetté par terre[72].


Rhétorication.

C’est un mot de nouvelle estampe, dont il est facile d’abuser ; il peut déplaire aisément, à moins qu’il ne soit employé aussi à propos que dans cét exemple.

« Mon dessein n’est point icy d’expliquer physiquement les fonctions & la maniére d’agir de nostre esprit ; ni aussi d’exagerer par de vaines Rhétorications, les merveilles d’un estre qui semble parcourir la terre & les Cieux sans se mouvoir. »

Et encore ne sçay-je si l’Auteur de cét exemple, n’auroit point mieux fait de mettre un autre mot.


Richesse.

On se sert quelquefois élegamment de ce mot au singulier, au lieu du plurier : & Mademoiselle de Scudery dit presque toujours la richesse, pour, les richesses : « les avares, dit-elle, ne se soucient pas des moyens dont ils se servent ; & tout ce qui leur peut faire trouver la richesse, leur paroist équitable[73] » : & quelque pages plus bas : L’avare n’aime que la richesse, & est plus ingrat qu’un autre.


Ridiculiser.

M. Ménage aime ce mot, il affecte mesme de s’en servir : « le Pere Bouhours, dit-il, dans son avis au Lecteur, a repris mes Remarques en me ridiculisant. Il a mesme commencé son Livre par me ridiculiser. » Cependant je doute que ce terme soit aussi bon que M. Ménage l’a voulu faire passer dans ses Observations, car il en parle comme d’un mot excellent. Je ne le condamne pourtant pas, il peut avoir sa place, comme :

Cy gist de burlesque mémoire
Lubin qui mit toute sa gloire
A ridiculiser autruy,
Mais quelque chose qu’il pust dire,
Charbonner, barboüiller, écrire,
Il ne fit rien si grotesque que luy.


Rien moins, pas moins.

J’ay remarqué qu’on se sert souvent mal à propos de rien moins ; combien de fois, par exemple dit-on : il n’y va rien moins que de la vie : vous ne risquez rien moins que l’Eternité. Les méchans ne perdent rien moins que le Ciel, pour : il n’y va pas moins que de la vie, vous ne risquez pas moins que l’Eternité, les méchans ne perdent pas moins que le Ciel. Cependant des personnes polies font ces sortes de fautes, & ne considerent pas que rien moins nie au lieu d’affirmer ; & qu’ainsi il ne faut s’en servir que dans les propositions négatives, comme : les hypocrites ne sont rien moins que ce qu’ils paroissent. Il me desobeit en tout, & ne fait rien moins que ce que je luy commande. Mais quand on affirme il faut se servir de pas moins, & non de rien moins, comme : « l’homme est si foible depuis son peché qu’il ne faut pas moins que la grace toute puissance du Sauveur pour le relever de sa chute ».

« Les Casuites qui soûtiennent qu’on n’est pas obligé d’aimer Dieu, ne sont pas moins que des Impies & des Athées. »


Rime.

La rime est vicieuse en Prose, comme : le divertissement de la Comédie est un obstacle à la bonne vie. Il faut changer le mot de bonne vie, qui rime à Comédie, & dire par exemple : le divertissement de la Comédie est un obstacle à la vertu : ainsi Mademoiselle de Scudery est tombée dans une petite négligence de dire comme elle fait dans sa Morale du monde : les eaux jallissantes sont plus vives & plus rejoüissantes que les tranquilles & les dormantes[74]. Voilà trois rimes de suite.

Les rimes ne doivent pas seulement s’éviter dans la chute des périodes, & dans la fin des membres qui composent les périodes ; elles s’evitent encore dans le commencement & dans la suite du discours. Mais il ne faut pas se contenter de rejetter les terminaisons tout-à-fait semblables, il faut se garder mesme de tout ce qui approche de la rime, & de ce qu’on appelle consonance, comme : amertume, fortune, soleil, immortel, &c.


Risque.

Ce mot est féminin. Il a couru de grandes risques. M. Ménage le fait masculin, mais il n’est pas suivy en cela de beaucoup de monde.


Rompement.

Ce mot n’est bon que dans le figuré, ainsi rompement de teste se dit, pour importunité, bruit importun ; on peut dire encore au pluriel des rompemens de teste insupportables. Mais on ne dira pas le rompement d’une teste.


Rouler.

C’est un terme qui se dit élégamment dans le figuré en certaines occasions, comme : toute la vie civile roule sur le secret ; son discours n’a roulé que là-dessus ; rouler quelque chose en soy-mesme.


Rusticité.

Ce n’est point pour examiner si ce mot est en usage que je fais cette remarque, car je ne crois pas que personne en doute. Mais c’est pour faire voir ce qu’il signifie, & le sens estendu qu’il renferme ; Je dis donc qu’il marque une certaine maniére basse & grossiére, tant dans les paroles que dans les actions, laquelle est opposée directement à ce que nous appellons urbanité. Il seroit difficile de donner des exemples de tous les défauts à quoy on peut appliquer le mot de rusticité ; j’en mettray seulement icy quelques-uns pour mieux faire connoistre l’usage de ce terme.

On appelle rusticité, faire des contes que tout le monde sçait ; & qui sont si communs qu’il n’y a que les nourrices & les bonnes gens qui s’en entretiennent. Celuy-là, par exemple, tomberoit dans ce défaut, qui, dans une conversation d’honnestes gens où l’on feroit des contes plaisans sur les Prédicateurs, ce qui arrive assez ordinairement, croiroit bien régaler la compagnie, en disant : qu’un jour un Predicateur estant dans l’ardeur de son discours, & demandant avec beaucoup d’émotion, où mettray je mon Saint ? un goguenard qui s’ennuyoit se leva pour s’en aller, & cria tout haut au Prédicateur, voilà ma place que je luy laisse[75]. Ce conte dont se pare néanmoins un certain Auteur qui nous a voulu donner des régles pour plaire est trop trivial & trop usé pour estre dit par des gens d’esprit ; & cela n’est plus bon que pour divertir les crocheteurs & les gens du Pont-neuf.

On appelle rusticité ; ne pouvoir écouter une histoire sans dire qu’on la sçait, & qu’on l’a déja oüy dire cent fois ; ou quand une personne parle lentement, de courir au devant de ce qu’il veut dire, & de luy prester nos paroles, comme si nous croyions qu’il en eust besoin. Il y a des gens qui se tiennent fort offensez de ce procedé, & sur tout quand ils se piquent de bien parler[76] ; car ils font alors comme ces riches Marchands, qui se figurent que c’est leur faire affront que de leur offrir de l’argent ; comme si l’on croyoit qu’ils eussent besoin de la bourse d’autruy.

On appelle rusticité : garder un fier silence dans une honneste compagnie, tandis que les autres parlent tour à tour ; comme si l’on ne daignoit pas s’entretenir avec eux, & qu’on ne voulust pas, pour ainsi dire, payer sa part de l’écot. Ou parler si viste & si inconsidérément, qu’on se laisse pousser au delà de sa pensée, comme les lévriers que l’impétuosité emporte au delà de leur gibier.

On appelle rusticité ; estre toûjours à contrefaire les actions & les maniéres d’autruy : railler dans les sujets les plus sérieux ; tourner en ridicule les choses saintes ; n’épargner dans sa belle humeur ni la religion ni ses mysteres : Faire des allusions grossiéres, & des railleries fades comme celles dont nous avons parlé, en traitant des équivoques de pointes ; ce défaut est tres-fréquent, parce que la plûpart du monde se mêle de plaisanter ; & qu’il n’y a que tres-peu de gens qui ayent du naturel pour railler agréablement. La raillerie & les pointes ne peuvent estre bien faites que par des esprits délicats[77], prompts, & qui fournissent sur le champ : mais les personnes qui ont l’esprit grossier & matériel, ne doivent pas s’en méler. Il y en a mesme qui ont du feu, qui ont l’imagination féconde, & qui n’y réüssissent pas.

On appelle rusticité : user de termes sales & deshonnestes, employer des expressions basses & qui ne sont que du peuple, dire crûment les choses sans aucun égard à la bienséance ; car il y a des mots qui pour n’estre pas mal honnestes tout-à-fait, ne laissent pas d’avoir quelque chose de choquant dans le son & dans la signification ; il faut les éviter, & en substituer d’autres à la place, qui fassent entendre plus honnestement ce qu’on veut dire.

On appelle rusticité : vanter sans cesse sa naissance, parler toûjours de ses revenus ; ne tarir jamais quand on est une fois à parler de soy ou des siens ; paroistre trop délicat & trop pointilleux ; s’offenser de tout ; se choquer de la moindre familiarité qu’on aura prise ; exiger des remercimens dans les formes pour les moindres services ; se piquer trop aisément ; estre d’une amitié si fragile, qu’il faille que ceux qui sont avec nous prennent autant garde à eux, que s’ils estoient parmy des vases de cristal & de porcelaine.

On appelle rusticité : tenir des discours à contretemps & hors de saison, comme : de faire le Prédicateur & parler de priéres & de méditations parmi de jeunes gens qui ne sont avec vous que pour se divertir, & pour joüer. Faire le familier avec ceux à qui l’on doit du respect ; dire son sentiment à tout propos sans en estre prié ; s’ingerer à parler lors qu’on n’est pas de la compagnie ; estre si ménagé d’honnestetez, qu’on n’en fasse précisément que ce qu’on doit, comme s’il s’agissoit d’un payement où l’on craignist de donner du sien, sans prendre garde que c’est là le vray moyen qu’on ne nous en ait point d’obligation.

On appelle rusticité : s’opposer sans cesse aux plaisirs & aux divertissemens honnestes de ceux avec qui nous vivons ; contredire tout ce qu’on nous dit ; n’estre jamais du sentiment de personne ; vouloir toûjours demeurer maistre dans des questions mesmes de néant ; appuyer tout ce qu’on dit d’un, voulez-vous gager, ou de quelqu’autre terme semblable. Cette rusticité est la vraye marque qu’on n’a point eu d’éducation dans sa jeunesse ; elle nous fait ressembler à ces arbres épineux & sauvages, qui viennent d’eux-mesmes dans les campagnes, & dont personne n’a pris soin, au lieu que ceux qui ont esté bien instruits ressemblent à ces arbres cultivez & domestiques que l’adresse & les soins du Jardinier, ont rendu souples & flexibles.

On appelle rusticité : ne sçavoir donner d’autres marques de son admiration qu’un certain hurlement, ou je ne sçay quel bruit du gosier, qui ressemble à celui que font les rouës d’un chariot ; demeurer tout interdit & presque se pasmer à la veuë d’une belle chose qui nous surprend ; faire dans une conversation autant de mouvemens que si l’on preschoit ; ne pouvoir dire la mesure d’aucune chose, qu’on apporte aussi-tost sa jambe ou son bras pour exemple, ou qu’on n’en fasse la mesure soy-mesme, en écartant plus ou moins la main. C’est une grossiéreté qu’il faut laisser au menu peuple : On doit bien considerer la mesure de la chose, & puis la marquer par les termes que nostre Langue nous fournit, comme sont un pied, un pouce, une toise, une coudée, &c. A quoy bon parler par signe quand on a des termes pour s’expliquer.

On appelle encore rusticité : ne pouvoir parler du cris de quelque animal qu’on aura oüy sans le contrefaire aussi-tost. S’il s’agist d’un loup, par exemple, d’un serpent, d’un chien, &c. il y en a qui hurlent en pleine compagnie, qui siflent, qui aboyent, &c. Ou ne pouvoir raconter certaines choses, sans les réprésenter en mesme temps d’une maniére quelquefois fort incommode à celuy qu’on entretient. Il se trouve des gens, par exemple, qui ne peuvent vous dire qu’on les a poussez, qu’ils ne vous poussent aussi-tost : s’ils vous parlent de quelques menaces qu’on leur a faites, ils ne manquent point d’en contrefaire les signes, & de vous menacer vous mesmes. Tout prests à vous donner quelque rude coup s’ils le jugent nécessaire, pour vous mieux faire entendre ce qu’ils veulent dire. Cette grossiéreté est fort ordinaire ; & il y a des personnes polies d’ailleurs qui n’en sont pas tout-à fait exemptes.

Enfin on appelle rusticité : ne pouvoir faire un reproche honnestement ; ne sçavoir se plaindre qu’on ne se mette en colere ; mal traiter de paroles un honneste homme, & luy dire des injures de halle, ne prenant pas garde que c’est là le caractere des harangeres, & de tout ce qu’il y a de plus vil parmy le peuple ; ce défaut est aussi la marque infaillible d’un esprit grossier, & d’un homme de néant, qui ne pouvant se défendre avec esprit a recours aux injures qui ne luy coûtent rien. C’est pourquoy on reprend avec raison Homere de n’avoir pas pris garde que ce n’est guéres la mode entre les Héros de se dire des injures de crocheteur, & qu’Achilles pouvoit bien reprendre Agamemnon sans l’appeller yvrogne, & teste de chien. Voilà une legere idée de ce qu’on entend d’ordinaire par le mot de rusticité, & je crois en avoir assez dit, pour en marquer l’usage.


  1. Art de parler.
  2. Traduct. de l’Oraison de Cicéron. pro lege Manilia.
  3. Lettre à Mademoiselle Paulet.
  4. Histoire du Pape Sixte V.
  5. Œuvres mêlées de S. Evremont.
  6. Lettres de S. Augustin.
  7. Histoire du Card. Comm.
  8. Vie de S. Ignace.
  9. Vie de S. Ignace.
  10. Vie de S. Ignace.
  11. Le dernier Traducteur de l’Imitation de Jesus-Christ.
  12. Rhétorique de Duroure.
  13. Panegyr. de Saint Charles Borromée.
  14. Commentaires de César.
  15. Traduction de Quinte-Curse.
  16. d’Ablancourt, Commentaire de César.
  17. d’Ablancourt, Commentaire de César.
  18. Entretiens sur les sciences.
  19. Apopht. des Anc.
  20. Plaid. 22.
  21. Rhétorique de Duroure.
  22. Liv. 1 ch. 2.
  23. Chap. 7 liv. 1.
  24. Histoire de la vie de Jesus-Christ par l’Abbé de S. Réal.
  25. Histoire de la vie de Jesus-Christ par l’Abbé de S. Réal.
  26. Traité contre la Comédie.
  27. Discours sur l’Hist. universel.
  28. Recherche de la verité.
  29. Reflexions sur l’Eloquence.
  30. Essais de morale.
  31. Apologie pour M. de S. Cyran
  32. Vie de Dom Barth. des Martyrs.
  33. Oraison Funebre de la feuë Reine.
  34. Epitaphe d’Anne d’Autriche.
  35. Poëme de saint Prosper part. 3.
  36. Poëme de saint Prosper part. 3.
  37. Méthode d’estudier Chrestiennement les Poëtes.
  38. Oraison Funébre de la feuë Reine.
  39. Art de penser.
  40. Art de penser.
  41. Lettres de Saint Augustin.
  42. M. Patru, Plaid. 4.
  43. M. Racine. Remerciment à M. Corneille.
  44. Traduct. de Térence, par M. de Martignac.
  45. Art de parler.
  46. Réfléxions sur l’Eloquence.
  47. Traduct. de Juvénal par le sieur de la Valterie.
  48. Art de parler.
  49. Histoire de la vie de J. C. par M. l’Abbé de S. Real.
  50. Oraison Funébre de M. de la Moignon.
  51. Traité du sublime.
  52. Lettres de S. Augustin.
  53. Morale du monde. Entretien sur la tyrannie de l’usage.
  54. Entretien sur la tyrannie de l’usage.
  55. Ipsos introduxi loquentes, ne inquam & inquit sæpius interponetur. Cic. lib. de amicitia.
  56. Voiture à Mademoiselle Paulet.
  57. Morale du Sage.
  58. d’Ablancourt, Commentaire de César.
  59. ie du Cardin. Comm.
  60. Lettres de Saint Augustin.
  61. Voiture à Mademoiselle Paulet.
  62. Morale du Sage.
  63. Oraison Funébre de la feuë Reine.
  64. Retraite des dix mille.
  65. Vie de S. Ignace.
  66. Histoire de Theodose.
  67. S. Evrem. jugement sur Séneq. Plutarque & Petr.
  68. Oraison Funébre de M. de Turenne.
  69. Oraison Funébre de Madame de Montausier.
  70. Traduction du Panégyrique de Trajan, par M. l’Abbé Esprit.
  71. Longin, Traité du Sublime.
  72. Apopht. des anciens.
  73. Entretien sur l’avarice.
  74. Entretien de l’inégalité.
  75. Réflexions sur ce qui peut plaire & déplaire dans le commerce du monde.
  76. Galatée ou art de plaire dans la conversation.
  77. Galatée ou art de plaire dans la conversation.