Réflexions sur l’usage présent de la langue française/Q

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Q

Quand et quand.

Ce terme a vieilly & n’est plus d’usage ; il se disoit encore du temps de M. de Voiture, « la faveur dit-il, dans une Lettre à Mademoiselle de Paulet, que me font trois si excellentes personnes me soulage de toutes mes peines, & m’en donne quand & quand une nouvelle de ne pouvoir m’en rendre digne. »


Quasi.

Il y a des gens qui en veulent à ce mot, mais il ne laisse pas d’estre bon, nos meilleurs Auteurs s’en servent ; & en voicy plusieurs exemples :

« Je ne me laisse pas emporter aux haines publiques, que je sçay estre quasi toûjours fort injustes[1]. »

« Je remercie tres-humblement M. Godeau des Vers qu’il m’a envoyez, je n’estudie quasi plus que dans les choses qu’il a faites[2]. »

« Les Romains ne s’occupoient quasi à rien, qui n’eust rapport à l’Eloquence[3]. »

« L’amour n’a quasi jamais bien estably son pouvoir qu’aprés avoir ruiné celuy de nostre raison[4]. »

« Il n’y a quasi personne qui n’ait de l’ingratitude pour les grandes obligations[5]. »

« Les Fables ne plaisent que lors que l’artifice du Poëte est tel que l’on s’imagine, quasi qu’elles sont véritables[6]. »

« Heureusement nous sommes à la Campagne, & nous menons quasi une vie pastorale[7]. »

« Ny la valeur de ce Prince, ny ses qualitez heroïques ne sont quasi pas des exemples[8] pour vous, tant elles sont élevées au dessus de vous. »


Que, pour, ou.

Il est souvent à propos de se servir de que, au lieu de ou, comme : n’est-ce pas à Paris qu’il va, pour, où il va.

« C’est dans les pensions des Colléges que la jeunesse se gaste le plus », pour où la jeunesse.

« C’est en Dieu que nous devons mettre nos espérances », pour où nous devons mettre.

Le que pour se met souvent aprés les noms de temps, comme : le jour que je partis, le jour qu’il arriva, &c.

« Il vescut dans le désordre jusqu’à l’âge de vingt ans, que Dieu luy ouvrit les yeux[9]. »

« Quel fut le jour heureux qu’on la vit sortir comme la Colombe de l’Arche[10]. »


Que pour d’où & pour de qui.

Souvent l’on met que au lieu de mettre d’où, ou de qui, comme : « c’est de Dieu que nous devons attendre nôtre salut », pour, de qui.

« C’est de cette illustre Maison que sont sortis tant de grands hommes », pour, d’où sont sortis.


Que pour Avec.

Il n’est pas moins ordinaire de se servir de que pour avec ; exemple : « J’ay receu vostre lettre, avec tout le contentement & la satisfaction que l’on doit recevoir cét honneur », dit M. de Voiture, au lieu de avec tout le contentement & la satisfaction avec laquelle l’on doit recevoir cet honneur, ce qui ne seroit pas si bien.


Que pour si.

Que pour si est encore fort en usage ; comme : « si les choses vont bien, & que je vienne à bout de mes affaires. »

Si vous allez à Paris, & que vous y demeuriez long-temps, mieux que, & si je viens à bout, & si vous y demeurez longtemps.


Que pour puisque.

Que se met aussi élégamment pour puisque.

Quand nostre hoste charmé m’avisant sur ce point
Qu’avez-vous donc, dit-il, que vous ne mangez point[11].

Et le Pere Tarteron dans son élegante traduction d’Horace, se sert de la mesme façon de parler. « Laquais, les bouteilles sont-elles cassées, qu’on ne m’apporte point, quand j’en demande ? »

C’est comme s’il y avoit ; puis qu’on ne m’apporte point, quand j’en demande.


Que au lieu de par.

Que est souvent necessaire au lieu de par, comme : « si l’exercice de cette importante Charge laissoit autant de loisir à M. le Chancelier qu’il a d’estime pour vous[12], le Conseil rendroit ses Arrests par la mesme bouche, que sa Majesté rend ses oracles » ; pour par laquelle sa Majesté.


Se plaindre que. Se plaindre de ce que.

Il y a bien de la différence entre l’un & l’autre, se plaindre de ce que, suppose un sujét de plainte & se plaindre que, n’en suppose point : de la vient que ce seroit mal s’expliquer, si je répondois à une personne, qui m’accuseroit à tort de l’avoir choquée ; vous avez tort de vous plaindre, de ce que je vous ay choqué ; parce que ce seroit avoüer que je l’aurois choquée, je devrois dire : vous avez tort de vous plaindre que je vous aye choqué.


Quel quantiéme.

M. Ménage n’est pas à suivre, quand il dit dans ses observations, qu’il ne faut pas dire quel quantiéme ; mais quantiéme tout seul. Car il est certain qu’on dit aujourd’huy quel quantiéme avons nous ? quel est le quantiéme du mois ? & si cela avoit besoin de l’autorité de quelques Ecrivains, il ne me seroit pas difficile d’en rapporter icy plusieurs exemples ; mais je ne crois pas que ce soit plus une question, & qu’il y ait personne qui sur la décision de M. Ménage, voulust reprendre le Traducteur des Caracteres de Théophraste, d’avoir dit : « Il luy demande combien de colomnes soûtiennent le théatre de la Musique ? quel est le quantiéme du mois ? »


Du pronom qui.

Le pronom qui ne se dit que des personnes, hors le nominatif & l’accusatif qui se disent des choses & des personnes ; il seroit ridicule, par exemple, de dire : ce sont des artifices à qui vous devez prendre garde ; chacun sçait qu’il faut dire, à quoy ou ausquels ; & il est mieux de dire, à quoy, comme : « Il n’y a point de raison à cette varieté d’habits ; & à ces changemens si fréquens à quoy nous sommes accoûtumez[13]. » Mais quand on parle par Prosopopée, & que les phrases sont personnelles ; on peut dire à qui, comme : voilà une herbe à qui je dois la santé. On a parlé assez amplement de cela dans la Grammaire générale.


Qui.

Le Soleil que l’on dit qui est plus grand que la terre.

Le Pere Bouhours prétend qu’on doit dire, le Soleil que l’on dit estre plus grand que la terre ; mais ce tour semble plus Latin que François ; l’autre est sans doute préférable & plus conforme à l’usage ; aussi un Auteur fort poli n’a pas manqué de s’en servir.

« La Lune que je vous disois hier[14], qui selon toutes les apparences estoit habitée, pourroit bien ne l’estre point. »

Il est vray qu’il n’y a pas en cela beaucoup de Grammaire ; mais il suffit que ce soit l’usage ; c’est à quoy devoit prendre garde le dernier Traducteur de l’Imitation, lequel a fait une fort méchante phrase, en voulant s’exprimer par l’infinitif ; « l’humble contribution, dit-il, est ce parfum précieux que vous voulutes autrefois estre répandu sur vos pieds sacrez ». Il falloit que vous voulutes autrefois qui fust répandu sur vos pieds sacrez, ou bien que vous voulutes autrefois qu’on répandist sur vos pieds sacrez.


Qui, ce qui.

Exemple : Pour aimer Dieu il faut se mépriser soy-mesme, qui est une chose fort difficile à l’homme. Il semble qu’il faudroit ce qui est ; mais j’ay remarqué que tous nos bons Auteurs parlent ainsi.

« Les Gaulois se disent descendus de Pluton, qui est une tradition des Druides[15]. »

« Nous viendrons à bout d’éviter ces vices, si nous apprenons à en bien juger, qui n’est pas une chose peu difficile[16]. »

La raison de cela, c’est que ce relatif qui au lieu de se rapporter à un mot précédant, comme c’est l’ordinaire, se rapporte à un mot suivant. Dans ces paroles, par exemple : les Gaulois se disent descendus de Pluton, qui est une tradition des Druides, ce qui se rapporte à tradition ; & ce rapport du relatif au mot suivant est fort ordinaire aux Latins : tous les Orateurs en sont pleins aussi bien que les Poëtes.

C’est par là qu’on peut rendre raison de ces autres façons de parler : Il luy donne tous les ans mille francs, qui est la rente qu’il est obligé de luy payer. Il n’a que douze ans qui est un âge encore tendre. M. d’Ablancourt dit dans les Commentaires de César : « le mur avoit quarante pieds d’épaisseur, qui est ordinairement la longueur des poutres » ; il semble qu’il faudroit : qui sont, en faisant rapporter qui à quarante pieds, mais ce seroit mal dit, il doit se rapporter à longueur, qui est aprés.


Qui, lequel.

Il est souvent bon de se servir de lequel, au lieu de qui, pour éviter l’ambiguité, ainsi que nous l’avons dit en parlant des équivoques ; mais il est bon aussi de s’en servir quelquefois, pour éviter deux qui de suite, comme : c’est un homme lequel n’a rien qui le distingue, & non, c’est un homme qui n’a rien qui le distingue ; c’est aussi comme a parlé le Pere Bouhours : certaines plaintes, lesquelles n’ont rien qui les distinguent[17] ; car autrement deux qui choqueroient l’oreille. Il est à propos encore de mettre lequel, au lieu de qui, pour rendre la phrase plus soûtenuë ; & en voicy un exemple de M. le Maître, contre un accusé qui se défendoit mal.

« Il imite ces peuples, qui habitent la Zone torride, lesquels jettent des fléches contre le Soleil, lors qu’ils se sentent piquez par la chaleur de ses rayons[18]. »

Il est certain que ce lesquels soûtient mieux la phrase, que ne feroit un qui.


Qui, pour les uns.

Exemple : Les hommes se conduisent qui d’une façon, qui de l’autre.

Cela fut cause que les Gaulois s’adonnerent qui plus, qui moins à entendre & à parler leur Langue.

Ces expressions sont supportables, pourveu que le qui soit au nominatif, comme il est là ; mais elles sont à éviter lors que le qui est le cas d’un verbe, comme en cét exemple : « Satan s’est servy de la curiosité pour perdre les hommes, qui d’une façon, qui de l’autre[19] » ; car ce qui est là le cas de perdre.


Qui ay, qui a.

Exemples : C’est moy qui ay fait cela, & non, qui a fait cela, ce n’est pas moy qui l’ay dit, & non, qui l’a dit.

Vous n’estes pas gens qui vous contentiez de peu de chose, & non, qui se contentent ; c’est ainsi qu’on parle aujourd’huy, & cét usage est mesme fondé sur une régle de Logique tres-véritable, comme on l’a montré dans la Grammaire générale : qui est que dans ces sortes de propositions le sujét attire à soy l’attribut, & le détermine ; d’où vient que ces raisonnemens cy sont faux : l’homme est animal, le singe est animal ; donc le singe est un homme, parce que animal estant attribut dans les deux premiéres propositions, les deux divers sujéts le déterminent à deux diverses sortes d’animal ; c’est pourquoy c’est parler conformément à la régle, que de dire : vous estes homme qui avez bien veu des choses ; c’est vous qui m’avez appris cela ; c’est moy qui ay fait cela : parce que le mot d’homme & le mot de qui est déterminé par celuy de vous, à estre mis à la seconde personne ; & dans le troisieme exemple, qui est déterminé par moy, à estre mis à la premiére, aujourd’huy on est assez exact là-dessus ; mais il y a peu d’années que les meilleurs Ecrivains mesme y faisoient des fautes. M. d’Ablancourt, par exemple, ne dit-il pas quelque part[20] : Vous estes le premier Romain, qui a entrepris une telle accusation, pour, qui avez. Et M. de Voiture fait ces sortes de fautes en mille endroits ; il dit, par exemple, en écrivant à M. le Cardinal de la Valette ; Il vous semble que tous les autres ont du loisir, & qu’il n’y a que vous qui travaille, & à M. le Duc de la Trimoüille, vous ne vous contentez pas de me faire de nouveaux bienfaits, vous les accompagnez de circonstances si obligeantes, qu’il faut avoüer qu’il n’y a que vous au monde qui le scache faire de la sorte, pour, qui le sçachiez. Il dit encore dans une Lettre à M. Davaux : La paix ne se peut plus faire que par miracle ; on croit que c’est vous qui fera ce miracle, pour, qui ferez.


Quietude, repos.

Le Pere Bouhours a fait une remarque là-dessus, & montre par deux ou trois autoritez, que ce mot est élégant en certains endroits. Je crois qu’on peut ajoûter à sa réflexion que quiétude marque plus de repos de l’esprit que du corps ; on peut estre en repos sans estre dans la quiétude, c’est à dire, que le corps peut reposer, & l’esprit estre dans l’agitation. Quiétude est proprement l’opposé d’inquiétude. Au reste il est bon d’observer que ce mot pour être dit avec grace, veut ordinairement estre joint avec quelque adjectif, on ne dit point une quiétude ; mais on dira bien une grande quiétude, comme : « il passoit les nuits entiéres dans une grand quiétude[21]. »


Quoyque, pour.

C’est le sentiment de quelques personnes, qu’il est souvent à propos de mettre pour au lieu de quoyque ; j’en connois qui n’approuveroient pas cette phrase : vous sçavez que quoyque l’on soit riche, on n’en est pas plus heureux, & qui aimeroient mieux : vous sçavez que pour estre riche, on n’en est pas plus heureux ; ce quoy entre deux que, leur déplaist ; je dis la mesme chose de presque : & il y a des gens qui trouvent quelque chose de rude en cet exemple de M. Sarasin ; ce sont des choses, qui bien que presque semblables, ne laissent pas d’estre dignes du témoignage de l’Histoire[22]. Ces mots : qui bien que presque leur choquent l’oreille ; il eust esté peut-estre plus doux de dire : ce sont des choses qui pour être presque semblables, ne laissent pas d’être dignes du témoignage de l’Histoire. Je n’ose pourtant rien decider là-dessus.


Quotidien.

C’est un mot consacré, pour marquer ce pain que nous demandons tous les jours à Dieu dans l’Oraison Dominicale ; quelques-uns néanmoins aiment mieux qu’on dise : nostre pain de chaque jour : On dit, l’experience de tous les jours, ou, l’experience journaliere ; mais on ne dit point, l’experience quotidienne, on dit encore : le mouvement journalier des Cieux.


  1. Lettres à M. de Voiture.
  2. Lettre à Mademoiselle Paulet.
  3. Réflexions sur l’Eloquence.
  4. Œuvres mélées de S. Evremont.
  5. Réflexions morales de la Rochefoucault.
  6. Nouvelles réflexions sur l’Art Poëtique.
  7. Entretiens sur la pluralité des mondes.
  8. Oraison funébre du prince de Condé par le P. Bourdalouë.
  9. Oraison Funébre de M. de Turenne.
  10. Oraison funébre de la feuë Reine, par M. Fléchier.
  11. Satyres de Dépreaux.
  12. M. le Maistre. Présentation de M. le Chancelier Séguier au Grand Conseil.
  13. Mœurs des Istaëlites.
  14. Entretiens sur la pluralité des mondes.
  15. d’Ablanc. Commentaire de César.
  16. Art de parler.
  17. Entretiens d’Ariste & d’Eugene.
  18. Plaid. 26.
  19. Panégyr. de Saint Charles Borro.
  20. Traduct. de l’Oraison de Cic. pour Ligar.
  21. Vie de S. Ignace.
  22. Histoire de Dunkerque.