Réflexions sur l’usage présent de la langue française/L

◄  I
M  ►


L

Labeur.


On ne dit point ce mot, c’est un terme qui a vieilly, & qui ne se trouve plus que dans les Livres gaulois.


Parole labiale.

Parole labiale se dit pour la distinguer de la parole intellectuelle. « Tous les hommes parlent une même parole intellectuelle ; il n’y a de la différence qu’à la parole labiale[1]. »


Labour.

Ce terme s’employe en certaines occasions : on dit, terre de labour, propre au labour. Il y a des plaines propres au labour, & aux pasturages.


Laict.

Ce mot n’a point de plurier, si ce n’est quand on parle de ce laict, qui se fait avec des amandes ou autres choses. Car on dit fort bien un laict d’amande, deux laicts d’amande. « J’ay de la satisfaction d’avoir passé un Caresme sans que nous ayions eu querelle sur les laicts d’amande[2]. »


Le, luy

On demande s’il faut dire la fiévre luy prit ; ou, la fiévre le prit ; plusieurs personnes pensent que l’un & l’autre est bon. Neanmoins je crois le premier meilleur. Le Pere Bouhours dit toûjours luy prit. Cependant la fiévre luy prit[3] : & un peu plus bas. La fiévre leur prit. M. Pélisson dit aussi luy prit : « Voiture estoit d’Amiens, son Pere estoit Marchand de Vin en gros, il mourut à l’âge de cinquante ans d’une fievre qui luy prit, à ce qu’on dit pour s’estre purgé ayant la goute[4]. »


Celle qui est le plus.
ou
La plus affligée.

De toutes ces Dames, celle qui estoit la plus affligée, & non, le plus affligée, parce que le mot affligée est mis aprés. Autrement il s’ensuivroit qu’on pourroit dire en parlant à une femme : vous estes le plus affligée de toutes. Ce qui seroit ridicule. Il faut dire aussi de toutes ces femmes celles qui estoient les plus affligées, & non, le plus, par la mesme raison.

Mais si le mot affligé est mis auparavant, il faut dire le plus. Comme : de toutes ces femmes affligées, celle qui l’estoit le plus. Ainsi on dit : celle qui est la plus affligée, celle qui est affligée le plus. Il y a pourtant une occasion où l’on peut dire le, quoyque l’adjectif soit aprés, c’est lors que plus ou moins n’emportent pas proprement de comparaison. Comme : Nous ne pleurons pas toûjours quand nous sommes les plus affligez. Les femmes pleurent souvent, mais ce n’est pas quand elles sont le plus tristes. Et c’est ainsi que M. le Maistre a dit : il avoit tant de tendresse pour ses enfans qu’il ne pouvoit se resoudre à les condamner lors qu’ils estoient le plus coupables[5]. Au lieu que dans les autres exemples, il y a comparaison, car quand je dis de toutes les femmes, celle qui est la plus affligée, c’est comme s’il y avoit, de toutes ces femmes, celle qui est plus affligée que les autres.


L’est-ce, est-ce luy.

L’est-ce ne se dit que des choses. N’est-ce pas mon livre que vous lisez, dites-moy l’est-ce. Est-ce luy, ne se dit que des personnes, comme : connoissez-vous bien ce Monsieur, est-ce luy. Celuy à qui l’on fait cette demande doit répondre, s’il s’agit du Livre, ce l’est, ce ne l’est pas. Et s’il s’agit de la personne, c’est luy, ce n’est pas luy. Et si l’on parle au plurier, il faut dire : sont-ce là mes Livres, oüy, ce les sont, & non, ce sont eux ; sont-ce là ces Messieurs, oüy, ce sont eux, & non, ce les sont.


Des liaisons.

Les liaisons rendent le discours doux, coulant & uny. Elles consistent dans de petites particules, qui lient ensemble les parties du discours, comme : Car, veu que, ainsi, de sorte que, si bien que, &, &c. Elles sont à propos lors que l’on parle sans émotion, sans mouvement, & sans passion. Mais lors qu’on doit s’exprimer avec feu & avec chaleur, les liaisons ne servent qu’à affoiblir & à énerver la force des expressions. Là-dessus on peut voir ce qui est dit en ce Livre, sur les rétranchemens élégans.


Limpide, clair.

Limpide ne se dit que de l’eau, il n’est guéres en usage ; mais je crois qu’en Poësie on peut le dire ; & il y a des personnes tres-délicates dans la Langue qui aiment beaucoup ce mot. C’est dommage qu’il ne soit pas estably.


Logis, maison.

Ceux qui parlent bien disent : il est venu au logis, je m’en vais au logis, il a dîné au logis, il n’y a que le petit peuple qui dise à la maison.


Loisible.

M. de Vaugelas condamne ce terme dans ses Remarques, il dit qu’il sent beaucoup le vieux ; mais ou M. de Vaugelas s’est trompé, ou le mot a rajeuny, car on s’en sert aujourd’huy sans scrupule : Est-ce qu’il sera loisible à tout le monde de, &c. Croyez-vous qu’il vous soit loisible d’insulter, ainsi impunément toutes sortes de personnes, &c.


Lors de, au temps de.

On dit fort bien lors de son élection, lors de la bataille, « Il a fallu rechercher ce que ceux qui gouvernoient l’Eglise, lors de la naissance de cette héresie en ont jugé[6]. » Nous avons mille exemples de cela dans nos bons Auteurs.


Lumiere.

Ce mot dans le figuré n’a point de singulier ; on ne dit point à un habile homme, qu’on veut profiter de sa lumiere, mais de ses lumieres. On dit tous les jours, je suis bien aise de pouvoir profiter de vos lumieres. C’est un homme qui a de grandes lumieres. Mais je ne prends pas garde que ma remarque souffre icy une exception. Car ne dit-on pas tres-souvent : « Vous m’avez donné une bonne lumiere, pour faire réüssir cette affaire ». « Je ne pensois pas à cela, c’est une bonne lumiere que vous me donnez-là. » « Il me semble qu’on peut expliquer avec cette lumiere, presque tout ce qu’il y a de plus difficile dans la Physique. »

La regle donc qu’on peut faire là-dessus, est je crois que lumiere, au sens d’avis & de conseil, comme il est pris dans les deux premiers exemples, & au sens de sentiment, d’opinion de systeme, comme il est pris dans le dernier, se peut mettre au singulier ; & qu’au sens de ce qu’on appelle les belles connoissances, les connoissances de l’esprit, il se doit mettre au plurier. En effét on dit : c’est un homme qui a bien des lumieres, ou, qui a de grandes lumieres sur toutes choses, & non, c’est un homme qui a bien de la lumiere.


  1. Deffense de la Langue Françoise.
  2. M. de Voiture. Lettre à Mademoiselle de Ramboüillet.
  3. Vie de S. Ignace.
  4. Histoire de l’Académie Françoise.
  5. Premier plaidoyer.
  6. Traduct. de la Cité de Dieu, par M. Lumbert.