Réflexions sur l’usage présent de la langue française/B

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B

Babiole.


Babiole ne se dit que dans le discours familier en parlant des joüets des enfans, & de ces petites figures qu’on leur donne pour les amuser. Les Syriens disoient βαϐίον pour dire un enfant. Babiole pourroit bien venir de là ; les Italiens ont aussi leur bambo & leur bambino, pour dire un enfant, & leur bambole, pour dire des poupées.


Bailler, donner.

Il y a des gens qui rejettent tout à fait bailler, & qui prétendent que donner doit toûjours estre préféré, mais ces personnes-là se trompent. Donner est bon, & bailler n’est pas mauvais. Il est vray que bailler n’est que du stile familier, & ne se diroit gueres bien dans un discours un peu relevé. Au lieu que donner est également bon partout, excepté dans ces façons de parler, bailler à ferme, la bailler belle. Que bailler ne soit pas mauvais dans le discours familier, il est aisé de s’en convaincre par les exemples de nos meilleurs Auteurs François, & entr’autres de Mademoiselle de Scudery, qui dans l’entretien sur la colere dit, le valet de chambre avoit baillé les deux chevaux à tenir à un laquais ; & dans celuy de la haine, Myrinthe bailla alors le papier à Cléomede qui le lut tout haut.


Balancer.

Ce mot ne se dit que dans le figuré, les vrays Moynes se contiennent dans une retraite exacte, ils balancent au jugement de Dieu l’iniquité du monde[1].


Bellement, doucement.

Les Bourguignons disent toûjours bellement, c’est un méchant mot François.


Benestier, benitier.

On dit Benitier mieux que Benestier.


Barboter.

Barboter n’est pas un terme noble ; aussi on dit que M. Colletét ayant un jour apporté au Cardinal de Richelieu le Monologue des Tuileries, où il y avoit ces Vers de la description du quarré d’eau,

La Canne s’humecter de la bourbe de l’eau,
D’une voix enroüée, & d’un battement d’aîle
Animer le Canard qui languit auprés d’elle.

Il ne voulut jamais mettre barboter, pour, s’humecter, quoy que le Cardinal le luy conseillast, & il s’en défendit, parce qu’il trouvoit ce mot trop bas.


Beneficence.

Ce mot exprime ce qu’on ne sçauroit dire autrement sans le secours de plusieurs paroles ; & bien des personnes s’en servent. M. Chardin dans son Epistre au Roy, qu’il a mise à la teste du Journal de son Voyage en Perse, dit : Cette union parfaite vous a fait prendre part à tous les actes de sa bénéficence royale. Cette expression a plû à mille gens.


Benie, benite.

M. de Vaugelas se trompe, quand il dit dans ses Remarques, qu’il faut dire à la Vierge, tu es benite entre toutes les femmes, il est certain qu’il faut dire benie, & voicy la régle qu’on doit suivre. Ce mot a deux sens, ou il signifie la bénédiction de l’Eglise sur une chose comme sur du pain, sur de l’eau, & alors on dit, benit, benite, du pain benit, de l’eau benite : ou il signifie la protection particuliere de Dieu sur une personne, sur une famille, sur une Ville, sur un Royaume, &c. & alors on dit, beni, benie : c’est un homme beni de Dieu. La Sainte Vierge est benie entre toutes les femmes, comme qui diroit, est privilegiée de Dieu, a receu des graces & des faveurs particulieres entre toutes les autres femmes. Cette Famille est benie de Dieu. C’est aussi de cette sorte que parle le Traducteur de la Génese, Toutes les Nations seront benies en vous.


Bestail, bestiail.

On dit bestail ; Je m’étonne que l’Auteur de la Cyropédie ait dit, il luy commanda de luy amener tout le bestiail qu’ils pourroient prendre. Car on ne dit point bestiail au singulier, quoy qu’au plurier on dise bestiaux. La richesse des Patriarches consistoit principalement en bestiaux[2].


Bestise.

Ce mot se prend quelquefois pour une action de stupidité & d’imprudence, comme : il a fait une bestise. D’autrefois il se prend pour la stupidité mesme, & le peu d’esprit, comme : le silence est quelquefois signe de modestie & de jugement, & quelquefois de bestise[3].


Bienfacteur, bienfaicteur, bienfaiteur.

Il y a long-temps que cette question est agitée par les Grammairiens, & elle n’est point encore decidée. Il y a tant de suffrages de part & d’autres, qu’on ne sçay quel party prendre. M. d’Ablancourt dit bienfaiteur, & bienfaicteur ; « à qui est-ce, dit-il, dans l’Epistre au Roy, qu’il a mise à la teste de sa Traduction des Apophtégmes, qu’un sujet peut mieux consacrer le fruit de ses veilles qu’à son Prince ; & celuy qui a receu un bien-fait, qu’à son bienfaiteur ». Et dans la retraite des dix mille il dit, bienfaicteur. « Osez-vous avoir de si lâches sentimens de vostre bienfaicteur ».

M. Charpentier de l’Académie Françoise dit, bien-faicteur dans tous ses Livres.

M. de Vaugelas dit toûjours bienfaiteur ; « quelle rage de Tygre s’est emparée de ton cœur, que tu ayes eu le courage d’enchaîner ton Roy, ton bien-faiteur ». Et M. Varillas ne parle jamais autrement, il empêcha que son bienfaiteur ne fust éleu dans le Conclave[4]. Le Pere Bouhours ne dit jamais que bienfacteur. M. Ménage prétend qu’on dit toûjours bienfaictrice, & qu’ainsi on doit dire bienfaicteur ; mais il se trompe. Car ceux qui disent bien-faiteur, disent aussi, bien-faitrice ; Soyez d’eternels monumens des liberalitez de vostre bien-faitrice[5].

Je ne préfére point mon jugement à celuy de tant d’habiles Ecrivains, mais cependant je serois plus porté en faveur de bienfaicteur. « L’homme qui porte son ingratitude jusques à rendre à son bien-faicteur le mal pour le bien, privera pour jamais sa maison de toutes sortes de biens », dit l’Auteur de la Morale du Sage ; & c’est ainsi, je crois, qu’il faut parler ; car bienfacteur est trop rude, bienfaiteur est trop affecté, au lieu que bienfaicteur tient le milieu entre les deux. C’est de la sorte que M. de Voiture prétend qu’il faut dire ; voicy comment il s’en explique luy-mesme à M. Costar qui l’avoit consulté sur ce mot. Bienfaiteur, dit-il, n’est pas bon, bienfacteur ne se dit guéres, dites s’il vous plaist bienfaicteur.


Bienfaisant.

On demande si ce mot a un comparatif, & si l’on peut dire, c’est l’homme le mieux faisant que je connoisse ; bien des gens habiles dans la Langue font difficulté de se servir de ce mot au comparatif, mais un grand nombre d’autres s’en servent comme d’un bon mot, & approuvent cette phrase de M. de Voiture écrivant à Monseigneur d’Avaux. « N’avois-je pas raison de trouver étrange, que vous le meilleur & le mieux faisant de tous les hommes, me refusassiez cinq ou six lignes. »


Bien meriter de quelqu’un.

Le Pere Bouhours condamne cette façon de parler ; mais tous nos meilleurs Auteurs s’en servent. Ceux qui ont le mieux merité de nostre nation, dit M. Ménage dans ses Réflexions sur la Langue. Et celuy qui a depuis peu traduit la seconde Philipique, ce n’est pas à tous de bien mériter de la République. M. de Voiture a dit aussi en écrivant à Monseigneur d’Avaux : « On ne voudra pas s’exposer à l’envie que l’on encourroit, en traitant mal un homme qui au jugement de tout le monde a bien mérité de la France. »


Bigeare, bizarre.

L’Auteur des Mœurs des Israëlites dit, bigeare au lieu de bizarre. La distinction des animaux mondes & immondes, & les fréquentes purifications nous paroissent des cérémonies bigeares. Bizarre néanmoins est meilleur & beaucoup plus usité.


Borgne, borgnesse.

Il faut dire borgne au feminin, comme au masculin. Cette femme est borgne, & non borgnesse, autrement il faudroit donc dire, cette femme est aveuglesse.

L’Auteur qui a intitulé son livre, les véritables principes de la Langue Françoise, s’est lourdement trompé de prétendre que borgne fasse borgnesse au feminin ; comme Abbé fait Abbesse. Car si borgnesse se peut dire quelquefois, ce n’est que par mépris & par dérision.


Bon-homme.

Ce mot se dit rarement en bonne part quand on dit, un bon-homme, c’est comme si l’on disoit un homme qui n’a pas beaucoup d’esprit, c’est pourquoy ce terme est fort injurieux quand on le dit malicieusement ; & mesme si l’on veut consulter l’usage, on trouvera que le nom de méchant homme, ne choque point tant que celuy de bon-homme, parce que le prémier marque un vice de volonté, au lieu que l’autre marque un vice d’esprit : car encore que les vices d’esprit ne soient pas si pernicieux, que ceux de la volonté, néanmoins comme ces prémiers sont sans remede, & que ces derniers se peuvent corriger, cela fait que l’amour propre est plus offensé du reproche de l’un, que du reproche de l’autre.


Brasil, bresil.

On dit brasil ordinairement, aussi le Pere Bouhours a dit, Ils furent tous trois mis à mort, le prémier aux Indes Orientales, & les deux autres au Brasil[6]. On dit néanmoins du bois de Bresil.


Bref, enfin.

Bref est un vieux mot, & je ne crois pas qu’on doive s’en servir, quoyque l’Auteur des Mémoires sur les guerres de Paris écrive, on disoit qu’il vouloit gouverner le Royaume par des maximes étrangeres, bref qu’il n’estoit pas capable d’un si grand fardeau. Le Traducteur de la Rhétorique d’Aristote s’en est aussi servy en ce sens. « Si la felicité, dit-il, est veritablement ce que nous venons de dire, on doit mettre au nombre de ce qui en fait partie la naissance, le credit, &c. bref la vertu, & tout ce qui en depend. » Nonobstant ces autoritez, il est certain que bref n’est plus d’usage pour enfin ; & que ceux qui se piquent tant soit peu de bien parler, ne s’en servent point.


Breveté, brieveté.

On ne sçauroit rien determiner là-dessus. L’Auteur des Essais de Morale dit, briéveté. Celuy[7] qui a ecrit les Mœurs des Israëlites dit, bréveté. Le Traducteur de la Rhétorique de Ciceron dit, briéveté. Une infinité d’Auteurs sont partagez sur ce mot, & l’on ne sçait lesquels il faut suivre. Je crois pour moy qu’on les peut joüer à croix & à pile, & que le meilleur party qu’il y ait à prendre en cela, est de regarder ces deux termes comme bons, en sorte que briéveté soit bien dit, & bréveté aussi.


Brigand.

Quelques-uns prétendent que comme d’intriguer on dit intrigant, de briguer on peut dire brigand, & appeler de ce nom ceux qui briguent. Mais ce terme n’est point receu en ce sens ; & comme l’équivoque en seroit fâcheuse, je ne crois pas que jamais il s’introduise. Trop de gens auroient interest de l’empêcher, & presque tous les Professeurs de Paris s’y opposeroient.


Bride.

Ce mot s’employe souvent dans le figuré. On dit fort bien lâcher la bride à ses passions, mais il est à remarquer qu’il y a des occasions où cette expression devient ridicule. Comme seroit par exemple de dire, que Dieu lâcha la bride au prémier homme, aussi-tost qu’il l’eut crée, ou bien qu’il faut retenir le cheval de ses passions par la bride de sa raison. On dit tenir en bride quelqu’un, pour, veiller à sa conduite & à ses actions, prendre empire & autorité sur luy. Cela se dit aussi à l’égard des peuples & des nations ausquelles on se rend redoutable. Comme, le Roy tient en bride presque toutes les Provinces, & toutes les Nations de la Terre.


Brin.

Le peuple met ce mot par tout. Un brin de feu, un brin de bois, un brin de sel, &c. ce qui est tres-mal parler ; mais on dit bien, un brin d’herbe, un brin de cheveux.


Brisement.

Ce mot est nouveau, & s’est introduit dans l’usage ; toutes les personnes polies s’en servent sans difficulté. Il déplaist néanmoins au Pere Bouhours qui le condamne comme un terme peu François ; mais cela n’empesche pas qu’il ne soit tres-bon. Il ne s’employe que dans le figuré ; & en parlant de la douleur que le cœur conçoit des péchez qu’il a commis. Brisement de cœur.


Bronze.

M. Ménage prétend dans ses Remarques qu’il faut dire, de la bronze & non du bronze ; plusieurs habiles Ecrivains néanmoins font ce mot masculin, & je ne crois point qu’ils soient à reprendre de cela. Ce que Dieu écrit sur la poussiere est immuable, ce que les hommes écrivent sur le marbre & sur le bronze ne l’est pas[8].


Bruire.

Ce verbe n’est usité en Prose qu’à l’infinitif, & ne se dit que du bruit que font des choses sonantes, lors qu’elles s’entrechoquent, comme : les Soldats firent bruire leurs armes en signe d’applaudissement[9].


Bysse.

Bysse est un mot un peu inconnu au commun du monde. C’est le nom de la soye dont les anciens s’habilloient ; l’Auteur des mœurs des Israëlites l’appelle ainsi en François : en Egypte, dit-il, & en Syrie on portoit du fin lin, du cotton & du bysse. Cette soye étoit fort différente de la nostre, laquelle estoit encore inconuë du temps des Israëlites, & dont l’usage n’est devenu fréquent au deça des Indes, que plus de cinq cens ans aprés Jesus-Christ. Ainsi il est mieux de dire du Bysse, qui est le nom qu’on luy donnoit, que non pas de la soye, puis que ce seroit confondre deux choses tres-différentes.


Style Burlesque.

Le style burlesque n’est plus guéres en usage ; on commence Dieu-mercy à s’en guérir ; mais le temps a esté, dit un Auteur célébre, que c’estoit un style si à la mode, que les Libraires ne vouloient rien qui ne portast ce nom. Pour mieux débiter leur marchandise, ils le donnoient aux choses les plus sérieuses, pourveu seulement qu’elles fussent en petits Vers ; d’où vient que durant la guerre de Paris en 1649. on imprima une piéce assez mal composée, mais sérieuse pourtant, avec ce titre qui fit justement horreur à tous ceux qui n’en lurent pas d’avantage, la Passion de nostre Seigneur en Vers Burlesques.


  1. Eclaircissement sur le Livre de la vie Monastique.
  2. Mœurs des Israëlistes.
  3. l’Art de penser.
  4. Pratique de l’éducation des Princes.
  5. M. Fléchier. Oraison Funébre de Madame d’Aiguillon.
  6. Vie de S. Ignace.
  7. M. Fleury.
  8. Entretiens d’Ariste & d’Eugene.
  9. d’Ablancourt, Commentaire de César.