Réflexions sur l’usage présent de la langue française/A

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A


À, pour DE.

Il y a quelque fois des gens qui disent, c’est le livre à mon frere, c’est le cheval à mon cousin, pour c’est le livre de mon frere, c’est le cheval de mon cousin ; autrefois on parloit ainsi, & l’on trouve dans Ronsard la guerre à Troyes, pour de Troyes ; les victoires aux Dieux, pour les victoires des Dieux : mais on ne parle plus aujourd’hui de la sorte, & cette expression n’est en usage, que parmy le petit peuple.


À, au lieu de Par.

A, est quelquefois plus élegant que, par ; & c’est dans ces sortes de phrases-cy : se laisser prendre à l’éclat, se laisser prendre à l’apparence, se laisser emporter à ses passions, se laisser conduire à quelqu’un, laissez-vous conduire à moy ; qui diroit ; Se laisser prendre par l’apparence. Laissez-vous conduire par moy, ne parleroit pas tout à fait bien ; la raison de cela est, que le verbe laisser gouverne tout en ces sortes d’expressions : & que quand on dit, par exemple ; Je laisse conduire l’affaire à mon ami, c’est comme s’il y avoit, je laisse à mon ami l’affaire à conduire ; ce n’est qu’une transposition, qui ne change rien dans le regime.


A l’abandon.

A l’abandon se dit dans le discours familier, mais il n’est pas assez noble pour le stile élevé. C’est un terme composé de ces trois : à-Ban-Don, car ban signifioit autrefois, licence, permission ; ainsi abandon est comme qui diroit donné à ban, c’est à dire, laissé au pouvoir & à la liberté de quiconque en voudra. On disoit mesme donner une chose à ban, pour dire, l’exposer à la discretion du public ; les Espagnols disent aussi baldon pour licence, permission, & les Allemans disent Bann, pour dire un champ ; ce qui revient assez à nostre mot, car abandonner une chose, c’est comme la laisser dans un champ à la merci de tout le monde.


A l’aveugle, aveuglément.

L’un & l’autre se dit, mais differemment ; il faut dire faire une chose à l’aveugle, & non, faire une chose aveuglément ; mais on peut dire fort bien, courir aveuglément apres les objets de ses passions ; & ce seroit mal dit, courir à l’aveugle apres les objets de ses passions. C’est qu’aveuglément marque le mouvement déréglé de la volonté vers un objet, & à l’aveugle, le mouvement de l’esprit & le défaut d’intelligence. C’est un homme qui fait toutes choses à l’aveugle, est fort bien dit : mais ce seroit mal parler de dire, c’est un homme qui fait toutes choses aveuglément. Je m’etonne que le P. Bouhours n’ait pas observé cela, & qu’il ait dit decisivement dans ses Remarques, que à l’aveugle étoit une locution basse & populaire, dont les persones polies ne se servoient point.


A aujourd’huy, aujourd’huy.

Monsieur de Vaugelas a fait là-dessus une Remarque, qui n’est point conforme à l’usage présent. Il pretend que jusques aujourd’huy est meilleur, & qu’il ne faut dire à aujourd’huy que quand il peut y avoir de l’équivoque, en disant aujourd’huy, comme en cet exemple-cy ; l’affaire est remise à aujourd’huy, où vous voyez que si l’on mettoit a esté remise aujourd’huy, cela seroit obscur, & qu’on ne sçauroit si c’est aujourd’huy qu’elle a esté remise, ou si c’est aujourd’huy le terme jusques auquel elle a esté remise. A ces rencontres prés, il prétend qu’il faut toûjours dire aujourd’huy. Son sentiment a esté suivy par quelques Ecrivains ; & un Esprit célébre de ce Siécle, qui a sçeu joindre à l’exactitude & à la fidelité de ses Traductions, toute la beauté & toute la delicatesse de notre Langue, dit iusqu’auiourd’huy, au lieu de iusqu’à aujourd’huy. Il appela ce Puits Abondance, & le nom en est demeuré iusques auiourd’huy à la ville de Betsabée. Mais l’usage présent y est contraire ; & ce qui a porté ces Ecrivains à parler c’est qu’ils ont pris ce terme comme trois mots, au jour d’huy, comme on diroit, au jour d’hier. Et effectivement selon la raison, cela est ainsi, mais non pas selon l’usage. Or on sçait bien qu’en fait de Langue, l’usage l’emporte ; ayant donc consideré ce terme comme trois mots distinguez, ils se sont imaginez que c’estoit aussi mal parler de dire jusques à aujourd’huy, que jusques à au jour d’hier. Que aujourd’huy soit un seul mot selon l’usage présent, on n’en peut douter, puisque nous disons par exemple, l’affaire aujourd’huy, & non l’affaire du jourd’huy ; depuis aujourd’huy, & non depuis ce jourd’huy ; entre hier & aujourd’huy, & non entre hier & ce jourd’huy ; d’aujourd’huy à demain, & non du jourd’huy à demain ; autrefois cependant on partageoit ordinairement ce mot en trois, & cet usage s’est encore conservé dans les Contracts, dans les Signatures, & sur les dates des Livres de Compte, où l’on voit souvent ce jourd’huy ; du iourd’huy 25. de Mars, &c. mais hors ces occasions, cet ancien usage n’est point en pratique. Tous ceux qui écrivent à present avec quelque politesse, mettent à aujourd’huy, aprés jusques, ou aprés un mot qui gouverne le datif. Supposons, dit l’Auteur des Entretiens sur la pluralité des Mondes, qu’il ne soit arrivé aucun changent dans les Cieux jusques à aujourd’huy. Et celuy qui a fait les Caractéres de ce Siécle, Rien ne ressemble mieux à aujourd’huy que demain.


A l’envi, à qui mieux mieux.

A qui mieux mieux, est du stile simple & familier, A l’envy, est plus noble. M. de Vaugelas condamne à qui mieux mieux, comme un mauvais mot[1] ; mais ou il s’est trompé, ou l’usage s’en est introduit depuis. Il est vray que à l’envi est plus propre au stile sérieux & élevé ; & que lorsque M. d’Ablancourt dit dans ses Commentaires de César, la Cavalerie, pour réparer la honte de sa fuite, témoigna à l’envi sa valeur. Il parle mieux que s’il disoit, la Cavalerie pour réparer la honte de sa fuite, témoigna sa valeur à qui mieux mieux. Mais dans le discours familier, & sur tout dans le stile plaisant, à qui mieux mieux bien loin d’estre vicieux, est élégant, & mesme beaucoup meilleur qu’à l’envi. Aussi le Reverend Pere Tarteron, qui a traduit Horace avec tant de grace & de politesse, n’a pas manqué de dire dans une des Epistres de cet Auteur, Si vous en croyez le Poëte Cratinus, les Buveurs d’eau ne feront jamais de Vers qui puissent longtemps plaire ; depuis ce bel Edit, tous les Poëtes se sont mis à boire jour & nuit à qui mieux mieux ; à l’envi, ne seroit pas si bien en cet endroit ; il seroit trop sérieux. Tant il est vray qu’il est quelquefois moins important de songer aux paroles dont on se sert, qu’au lieu où on les met. Non tam refert quam dicas quam quo loco, dit Quintilien.


A l’estourdy, estourdiment.

On dit à l’étourdy, on peut dire aussi étourdiment. On ne doit jamais esperer ce qu’on desire étourdiment, dit l’Auteur de la Morale du Monde[2], dans l’entretien sur l’Espérance.


A l’exemple, par l’exemple.

Ces deux expressions ont chacune un sens different : à l’exemple signifie à l’imitation ; comme il faut mépriser les plaisirs à l’exemple des Saints : par l’exemple, signifie quelquefois tout le contraire, comme on le peut voir en ces paroles de M. de Voiture, qui écrivant à Madame de Ramboüillet qui luy avoit envoyé une Lettre d’un stile enflé, luy dit ; Je devrois craindre par vostre exemple, d’écrire d’un stile trop élevé ; il est facile de voir que s’il eust mis à vostre exemple, il eust fait un sens tout different.


Avoir part à l’amitié, en l’amitié.

En l’amitié est meilleur, & plus soûtenu, quoy que à l’amitié ne soit pas mauvais. On se fit honneur d’avoir part en son amitié, dit M. Fléchier en parlant de Madame de Montausier, dans son Oraison Funebre. Il en est comme de à l’honneur. Tous ceux qui parlent bien, demeurent d’accord que en l’honneur est meilleur.


Avoir confiance à la misericorde de Dieu, en la misericorde, ou dans la misericorde.

Avoir confiance en la misericorde, est le meilleur de ces trois, à la misericorde se peut dire ; mais pour dans la misericorde, il le faut éviter, quoy que ce soit ainsi qu’ait parlé un Auteur nouveau. J’ay cette confiance dans la misericorde de Dieu[3]. On ne dit point, avoir confiance dans quelqu’un, mais en quelqu’un ; J’ay confiance en vous ; Il a beaucoup de confiance en moy.


Renoncer la Foy, ou à la Foy.

L’on dit renoncer la foy, aussi bien qu’à la foy. Je sçay bien qu’il y a des gens qui croyent qu’il n’y a que le dernier de bon, quelqu’autorité qu’on leur puisse alléguer au contraire ; parce qu’on ne dit pas, Je renonce cela, mais à cela ; renoncer au monde, & à ses pompes, & non renoncer le monde, & ses pompes : mais cela n’empesche pas qu’on ne puisse dire renoncer la foy ; & j’ay pour garants de très-bons Auteurs, & entr’autres M. Fléchier, qui dit dans l’Histoire de Commendon, leur Tyran a renoncé la Foy Chrestienne, pour embrasser le culte profane de Mahomet. Et l’Auteur de la Traduction de l’Ecclésiaste, Nous devons faire un retranchement de tout ce qui est en nous d’humain, & de charnel, en nous renonçant nous-mesmes, & en nous faisant la guerre à nous-mesmes. Cette maniere de parler en retranchant l’à, après renoncer, est peut-estre venuë de ce qu’on a confondu renoncer avec renier ; plusieurs personnes disant aujourd’huy, S. Pierre renonça son Maître, au lieu de renia son Maître.


A merveille.

A merveille, ne se dit plus qu’en bonne part ; il écrit à merveille, il parle à merveille. Autrefois il se disoit aussi bien en mauvaise part qu’en bonne, & l’on voit encore dans de vieux Livres, Il estoit hideux à merveille, un monstre horrible à merveille. Cette expression venoit du Latin, où le mot mirabiliter, qui revient à celuy-là, s’employe indifferemment en bien & en mal, comme il me seroit facile de le faire voir par plusieurs exemples des meilleurs Auteurs.


A nage, à la nage.

L’un & l’autre sont bons, cela dépend de la cadence de la phrase ; & M. Ménage se trompe, de prétendre dans ses Remarques, que à nage soit meilleur. Mons. Fléchier dit dans l’Histoire de Théodose, Ils passerent à cheval à la nage ; qui ne voit qu’en cét endroit à nage, n’eust pas esté si bon ?


A la Persanne, à la Persienne.

On dit ordinairement à la Persienne, mieux que à la Persanne. Il ramena un Prisonnier, qui avoit un Carquois à la Persienne, dit M. d’Ablancourt dans la Retraite des dix Mille. Maison dit plûtost, & mieux, le langage Persan, que le langage Persien, quoy qu’il y en ait beaucoup qui préfèrent ce dernier.


President à mortier, au Mortier.

Plusieurs personnes tres-habiles dans la Langue, soûtiennent qu’on doit dire : President à Mortier, comme on dit un homme à grand’Barbe, des Heures à fermoirs, un Coûteau à ressort, une étoffe à fleurs, un homme à grand Chapeau ; & j’avouë que la raison voudroit qu’on parlast de la sorte, mais l’usage combat cette façon de parler, qu’on a voulu introduire depuis quelques années, & veut qu’on dise Président au Mortier ; apparemment que cela vient de ce qu’on dit Président au Parlement, aux Enquestes, à la Grand’Chambre, & qu’ainsi on a dit President au Mortier ; l’oreille estant accoûtumée à cette maniére, quoy que la raison semble estre pour President à Mortier.


Faire aimer de, ou faire aimer à

M. Sarrazin dit dans la Vie d’Attions, qu’Atticus se fit chèrement aimer aux Athéniens. Il est certain que selon l’usage, il faut dire ; se fit chèrement aimer des Atheniens. On ne dit point, se faire aimer à quelqu’un, mais de quelqu’un ; cependant il y a des occasions, où l’on dit à pour de, comme : il y a des gens à qui on ne sçauroit faire aimer la lecture. Il est difficile de faire aimer la retraite à certaines personnes ; il a fait aimer l’estude à un tel. Ainsi, ce ne sera peut-estre pas une chose peu curieuse, de sçavoir la raison de cette difference. On met de, apres aimer, lors que ce verbe signifie avoir de l’amitié, & marque une attache autre que celle qu’on peut avoir pour des choses inanimées, je veux dire cette affection qui fait les amis : comme, C’est un homme qui se fait aimer de tous ceux qui le frequentent. Ses belles qualitez le font aimer de tout le monde. Il m’a fait aimer de tous ceux à qui il a parlé de moy. Mais quand ce verbe ne marque que cette attache qu’on a pour des choses insensibles, on met à, comme, c’est un homme qui a un talent particulier à enseigner, il fait aimer l’estude à tout le monde. La Religion fait aimer l’austerité aux hommes, la Grace fait aimer invinciblement le bien au cœur le plus dur ; il est difficile de faire aimer la vérité aux meschans. Qui mettroit de, en ces endroits-là, au lieu de, à, parleroit mal. Ce que je dis là du verbe aimer, se doit entendre de tous les autres, comme de fuir, de blâmer, &c, pourvû qu’ils n’ayent pas pour cas des choses inanimées ; il faut excepter le verbe craindre ; car on dit egalement se faire craindre à quelqu’un, & se faire craindre de quelqu’un.


A raison que.

Quelques personnes prétendent que à raison que, n’est pas si bon que parce que ; Je n’oserois pourtant pas le condamner, & de très-habiles Ecrivains s’en sont servis. On aura de l’inclination pour ceux qui ne seront point sujets à reprocher les fautes d’autruy, ni le bien qu’ils ont fait, à raison que ceux qui font de telles choses sont importuns.


Abbé à court manteau, en court manteau.

Ces deux expressions sont fort différentes ; Abbé à court manteaux, Abbé à perruque, marque un Abbé qui fait métier & coûtume d’aller en manteau court, & de porter la perruque ; Abbé en court manteau marque seulement un Abbé qui a un manteau court, sans supposer quece soit sa coûtume d’aller habillé de la sorte : Cét exemple en fait entendre plusieurs autres, qu’il seroit inutile de rapporter.


Abstrus, pour caché.

Abstrus ne se dit que dans le figuré, & se dit avec grâce, comme ; la Physique est une science abstruse & profonde, où l’on convient de peu de choses[4].


Accablement.

On ne dit accablement que dans le figuré, comme : l’accablement des affaires, l’accablement du sommeil : mais on ne dira pas, l’accablement d’une maison tombée.


Accelerer.

Ce mot n’est pas assez estably ; on dit néanmoins en Philosophie, l’acceleration du mouvement, comme, Galilée est le premier qui ait trouvé la proportion de l’acceleration du mouvement.


Academie.

Académie se dit de tout lieu d’exercice, soit pour le corps ou pour l’esprit. Ce mot tire son origine d’un petit Bourgeois d’Athenes, nommé Academus, qui s’avisa de donner aux Philosophes de son temps un Jardin de quelques arpens de terre au Faux-bourg de cette fameuse Ville. Ce lieu fut depuis nommé l’Academie, & delà est venu qu’on a appelé de ce mesme nom presque tous les lieux d’exercice où l’on cultive les Sçiences & les Arts nobles ; je dis presque tous les lieux d’exercice, parce, que j’excepte les Colleges ; on ne dit guéres, Academie, pour dire, College ; il feroit beau voir dire l’Académie du Plessis, l’Academie de Clermont, on dit le Collége du Plessis, le Collége de Clermont. Le mot d’Académie a quelque chose de plus noble que le mot de Collége ; l’Academie Françoise, l’Academie des Sçiences ; il y a je ne sçay quoy de bas dans le mot de Collége, c’est qu’on sçait bien qu’en ces sortes de lieux on ne s’y polit point, on ne s’y forme point, & qu’au contraire on y contracte des defauts ridicules ; c’est de là que sont venus ces termes méprisans, de gens de Collége, de langage de Collége, d’Eloquence de Collége, &c. Et apparemment que ce n’est pas pour choquer M. Pelisson, que le Pere Bouhours dit de luy au sujet du mot de Vacations dont il s’estoit servi pour celuy de Vacances[5] ; il y a bien de l’apparence que M. Pelisson avoit oublié le Collége, & les termes de Collége, quand il se mit à écrire l’Histoire de l’Académie Françoise.


Accostable.

Ce mot vieillit. Un Homme accostable, pour dire de facile acces.


Accoustrement.

Ce terme ne peut guéres avoir de place que dans le Burlesque ou le Stile bas, non plus que le verbe accoustrer.


Accüeillir quelqu’un.

Il y en a qui évitent de se servir de ce verbe dans le propre, & qui aiment mieux dire, on lui a fait un accüeil favorable, il a esté bien receu que non pas, il a esté bien accueilly ; on dit aussi quelques fois, on luy a fait une honneste reception. Accüeillir se dit souvent dans le propre, je fus accueilly d’une tempeste, je ne fus pas plustost en chemin que je me vis accueilly d’une gresle epouventable.


Achalander.

Il n’y a guéres que le peuple qui parle de la sorte ; on dit accréditer.


Acquérir.

On est souvent en peine de sçavoir comment fait le Futur de ce verbe, si c’est j’acquerray ou j’acquerreray. Plusieurs personnes qui se picquent de politesse, croyent que cela est indifferent, d’autres pensent qu’on doit dire j’acquerreray, comme : Si vous addressez vos corrections au Sage, vous vous l’acquerrerez pour amy[6].


Acquiescer, acquiescement.

Ces deux mots sont tout à fait bons, & je m’estonne qu’il se trouve des gens assez bizarres pour les condamner : Consentir n’est-il pas meilleur, disent-ils ? & quand il le seroit, ce qui n’est pas, est-ce une raison pour les rejetter ? s’il falloit ne garder que les meilleurs mots & abolir tous les autres, on se verroit bientost reduit à des redites continuelles, on appauvriroit nostre Langue, & l’on ne pourroit plus s’exprimer que par des circonlocutions ; ce qui est le plus grand défaut d’une Langue. Acquiescer & acquiescement sont fort en usage, & se disent mesme quelques fois avec plus de grace que consentir ; aussi tous nos bons Ecrivains s’en servent. Ces veritez, dit l’Autheur des memoires sur la religion, sont si évidentes, qu’elles n’ont nul besoin de preuves pour y acquiescer : Et un peu plus bas. Nostre salut éternel depend de nostre acquiescement à ces veritez.


Acrostiche.

On fait ordinairement ce mot feminin, c’est une chose fort méprisée aujourd’huy que l’acrostiche, & quand on dit d’un Poëte que c’est un faiseur d’acrostiches, c’est en dire assez pour le rendre ridicule ; en effet il n’y a qu’un petit esprit qui puisse mettre son application à une si petite chose ; joint que jamais on ne vit de bons Vers dans une acrostiche. On sçait que c’est un petit maneige où l’on se contente d’ordinaire d’ajuster des Lettres, aprés quoy on en demeure-là, s’imaginant follement qu’on fera passer par cet artifice puerile, des Vers qui ne peuvent estre que fades & insipides.


Additions elegantes.

Il est bon quelquefois d’ajouter certains mots qui ne servant point au sens, ne laissent pas néanmoins de donner de la force & de l’ornement au discours, comme il est aisé de le voir en ces exemples, quand le Sublime vient à paroistre, il renverse tout comme un foudre[7], ce qui est beaucoup mieux que s’il y avoit quand le Sublime paroist, &c.

Là-dessus il arrive que cette Chrisis meurt[8], ce mot il arrive n’ajoûte rien au sens ; car en disant, là-dessus Chrisis meurt, on dit la mesme chose, mais la phrase n’a pas tant de grâce.

Si Vous assez embaraller une passion par des liaisons & des particules inutiles, vous luy ostez toute son impetuosité[9] ; mieux que, si vous embarassez, &c. Nous avons plusieurs termes de la sorte en nostre Langue qui sont d’un merveilleux secours pour s’exprimer facilement & clairement ; on dit par exemple, il commença tout d’un coup à se fâcher, pour il se fâcha tout d’un coup. Il se mit à rire, il se prit à rire, pour il rit. Il y a cent autres exemples de cette nature.

Des ajectifs.
Et où il les faut placer.

On ne sçauroit déterminer quand il faut mettre l’adjectif avant ou après le substantif. On sçait bien qu’il y a de certaines occasions où il doit estre toûjours aprés, & d’autres où il doit estre toujours devant, comme : une belle maison, un chapeau noir ; mais ce n’est pas dequoy il s’agit, la question n’estant que de ces adjectifs qui n’ont aucun lieu arresté par l’usage. Je croy pour moy que la meilleure regle qu’on puisse suivre en cela, est de consulter l’oreille. Je me souviens d’avoir lû dans le jugement sur Sénéque, Plutarque & Petrone, que Seneque estoit le plus riche homme de l’Empire, ce riche homme a quelque chose de rude : si l’Auteur eust consulte l’oreille, il eust dit, que Seneque estoit l’homme le plus riche de l’Empire, cét adjectif doit se mettre aprés en cette rencontre ; cela est incontestable. J’ay remarqué que cét Auteur, d’ailleurs si poly, est sujet à placer ainsi des adjectifs devant des noms, lors que la douceur du son demanderoit qu’on les mist aprés : par exemple il dit un peu plus bas en parlant de Jules Cesar, qu’il fut le plus agissant homme ; il eust esté plus doux de mettre, l’homme le plus agissant. Quelquefois aussi il les place aprés, au lieu de les placer devant, comme : il y a une délicatesse grande à séparer les choses confonduës ; il falloit, il y a une grande délicatesse. Le sentiment de M. Malherbe au sujet des adjectifs en e, me paroît digne de remarque ; ce grand homme tenoit pour maxime, dit M. Pelisson dans l’Histoire de l’Académie, que les adjectifs qui ont la terminaison en e masculin ne devoient jamais estre mis devant les substantifs, mais aprés ; au lieu que les autres qui ont la terminaison féminine pouvoient estre placez avant ou aprés, suivant qu’on le jugeroit à propos, qu’on pouvoit dire, par exemple, ce redoutable Monarque, ou ce Monarque redouté, mais non pas ce redouté Monarque ; & M. Pelisson dans l’Histoire de l’Académie dit, qu’il a souvent oüy dire à M. de Gombault, qu’avant qu’on eust encore fait cette réflexion ; M. de Malherbe & luy, se promenant un jour ensemble, & parlant de certains Vers de Mademoiselle de Rohan, où il y avoit.

Quoy ? faut-il que Henry, ce redouté Monarque.

M. Malherbe asseura plusieurs fois que cette fin luy déplaisoit, sans qu’il pust dire pourquoy : Que cela l’obligea luy-mesme d’y penser avec attention ; & que sur l’heure en ayant trouvé la raison, que nous venons d’apporter, il l’a dit à M. Malherbe, qui en fut aussi aise que s’il eust trouvé un tresor, & en forma depuis la regle que nous avons dit. On peut néanmoins observer encore, que quelquefois la clarté & la symetrie du discours détermine à une certaine place un adjectif, qui paroist de soy indifférent où on le mette, par exemple, quand un fameux Prédicateur a dit dans l’Oraison Funébre du Prince de Condé, sa conversion & sa mort sont des modéles que Dieu vous avoit réservez, & dont je défie les cœurs les plus impénitens & les plus endurcis pecheurs de n’avoir pas esté touchez. Il a mal placé l’adjectif, endurcis : il devoit le mettre après son substantif, comme celuy de devant, pour rendre la période plus juste, & mesme plus claire en disant, dont je défie les cœurs les plus impénitens, & les pecheurs les plus endurcis de n’avoir pas esté touchez, autrement il semble qu’endurcis soit l’épitete de cœurs impénitens, & on ne s’attend point qu’il y a ait un substantif après, auquel il se rapporte.


Adjectifs sans substantifs.

J’ay remarqué que nous avons un grand nombre d’adjectifs qui sont sans substantifs ; en sorte que souvent faute de substantifs on est obligé d’exprimer sa pensée comme on peut, & non comme on voudroit. C’est sans doute une imperfection à nostre Langue, on ne peut le desavoüer ; & je ne comprens pas comment il se trouve des personnes qui la veüillent faire passer pour la plus riche & la plus abondante de toutes les Langues ; elle a assez d’autres avantages sans vouloir luy donner celuy-là qu’elle n’a pas asseurément. Il seroit inutile de rapporter icy tous les adjectifs qui sont sans substantifs. Il suffira d’en faire remarquer seulement quelques-uns. Vaste, par exemple, vil, illustre n’en ont point. On ne dit point vastité ou vastitude, vileté, illustration. Je sçay bien que pour ce dernier on me le pourra cõtester ; mais quand je dis qu’on ne le dit point, j’entens comme substantif d’illustre. Courbé, gasté, poly, raboteux, sont encore sans substantifs ; on y peut joindre, sauvage, louche, aussi bien que chauve, car on ne dit point calvitie, ny chauveté. Je mets encore de ce nombre morne, turbulent, battu, frappé, pilé. Il y en a une infinité d’autres.

Mais si nous avons des adjectifs qui manquent de substantifs, nous avons aussi un tres-grand nombre de substantifs qui manquent d’adjectifs, tels que sont par exemple, pain, chapeau, cheveux ; pour ce qui est de ce dernier, je sçay bien qu’on dit Clodion le Chevelu, mais c’est dans cette seule occasion ; car on ne dira point d’un homme qui aura beaucoup de cheveux, qu’il est chevelu : il y a en cecy beaucoup de bizarrerie, car, par exemple, voile, étoile, ont voilé, étoilé, pour adjectifs, & cependant toile, poësle, n’en ont point, prison a emprisonné, & maison n’a rien ; il y en a un grand nombre de cette sorte, cercle, manteau, perruque, ruband & plusieurs autres n’ont encore point d’adjectifs. Nous n’avons point de mot unique, pour dire qu’une chose est environnée d’un cercle, qu’un homme a un manteau, une perruque, des rubans.


Adjectifs pour substantifs.

On s’imagine quelquefois que c’est la mesme chose de s’exprimer par les substantifs, ou par les adjectifs, d’accuser, par exemple, un homme d’ignorance, ou de dire qu’il est un ignorant, de luy reprocher une sottise, ou de luy dire qu’il est un sot. Cependant ce sont deux choses fort différentes, l’une est bien plus outrageante que l’autre. D’où vient, par exemple, que ceux qu’on a choquez par quelques paroles, ont toûjours soin de changer les substantifs en adjectifs ? car si on les a accusé d’imposture, ils disent qu’on les a appelez imposteurs. Si on leur reproche un déguisement dans leurs paroles, ils le plaignent qu’on les traite de menteurs. D’où vient cela, sinon de ce que les adjectifs estant plus injurieux que les substantifs, on est bien-aise de donner ce tour aux paroles de ses ennemis, pour autoriser sa colere ?


Advertance.

Ce mot n’est pas en usage, quoy que inadvertance y soit.


Aduste pour brûlé.

Ce terme n’est d’usage qu’en Medecine, un temperament aduste, des humeurs adustes.


Adulateur.

Ce mot est un peu hardy, il est meilleur en Poësie qu’en Prose.

D’un Tyran soupçonneux pasles adulateurs[10]

Il y en a qui se servent en Prose du mot d’adulation, & ce terme a souvent de la grace. Un Prédicateur qui est assez fameux aujour-d’huy, s’en sert presque toujours. Et un autre qui ne l’est pas moins l’a écrit dans l’Oraison Funébre du Prince de Condé. « Le foible des Grands est d’aimer à estre trompez, & d’écoûter avec plaisir l’adulation & le mensonge, dont on nourrit sans cesse leur amour propre. » Saint-Evremont dit encore : « Les femmes doivent plus à nos adulations qu’a leur mérite. »


Æ.

Cette diphtongue æ n’a point de lieu dans la Langue Françoise, & tous les noms qui viennent du Latin, & qui commencent par æ doivent s’écrire en François par une e simple, ainsi il faut écrire, Egyptien, Edile, César, Enée, Elien, &c. M. Fléchier néanmoins a écrit Æliens, dans l’Histoire de Theodose ; cette Princesse estoit née dans l’ancienne Famille des Æliens. M. Charpentier de l’Académie Françoise écrit toûjours Cæsar, Cæcilius, Lacædemone, Præteur, Ægyptien, Æneide, Cyropædie, comme on le voit dans son Cyrus, & dans sa défense pour la Langue Françoise, mais je ne crois pas qu’il en fasse mieux.


Affection.

Ce mot ne se prend pas toûjours dans le sens d’amitié, il se prend aussi quelquefois pour les qualitez & les changemens différens, qui arrivent aux choses, comme lors que l’Auteur des Réflexions sur la Physique dit, on a trouvé l’art d’observer toutes les différentes affections de l’air par le Thermometre.


S’affectionner à quelque chose.

Cette maniere de parler est bonne, il s’affectionna tellement à la solitude qu’il cherchoit le silence des foréts, pour vacquer aux exercices de la vie intérieure[11].


Affectionné serviteur.

On ne signe jamais affectionné serviteur qu’en écrivant à une personne inférieure : Ce seroit ne pas sçavoir vivre que d’en user autrement. Il en est de même du tout à vous qui tient plus de la familiarité que du respect ; il faudroit n’avoir aucune connoissance du monde pour oser, en écrivant à une personne d’une plus haute qualité que nous, signer ainsi, je suis vostre tres-humble & tres affectionné serviteur, il faut dire, votre tres-humble & tres-obeyssant serviteur, ou si son a quelque obligation à la personne, ajoûter obligé. Je m’étonne que M. l’Abbé de Furetiere dans la souscription de son Epistre Dédicatoire au Roy, se soit servy du mot de, tres affectionné serviteur. Il est vray qu’il tâche dans son second Factum d’excuser cette faute, mais la raison qu’il apporte n’est pas des meilleures. « M. d’Urfé, dit-il, homme de qualité, & le plus poli Courtisan de nostre siècle, s’est servy d’une pareille souscription en dédiant son Astrée au Roy deffunt. Ce n’estoit pas un homme à faire des fautes en ce genre là. Il avoit aussi raison de préférer le mot de tres affectionné à celuy de tres obeïssant, puisque l’affection comprend l’obeïssance, & que tout sujet & serviteur qui est affectionné à son maître, luy obeït volontiers, au lieu que celuy qui ne se dit qu’obeïssant n’est pas toûjours fort affectionné. Que si cet usage a changé depuis, c’est un malheur, pour la Langue qui a fait une réformation contre le bon sens & la raison. » On voit par ces mots qu’il reconnoist néanmoins que l’usage est contraire à ce qu’il dit, ce qui n’est pas un petit préjugé contre luy, puisque c’est l’usage qui doit estre le maître, ainsi en vain apporte-t-il l’autorité de M. d’Urfé, qui sans doute n’eust pas parlé de la sorte s’il eust vécu en ce temps cy. Mais examinons un peu le raisonnement de M. l’Abbé Furetiere, il prétend donc que le mot de très-affectionné est préférable à celuy de très-obeissant, parce que l’affection, dit-il, comprend l’obeïssance, au lieu que l’obeïssance ne comprend pas l’affection, & que celuy qui ne se dit qu’obeissant n’est pas toujours fort affectionné. Il n’y a rien de si foible que ce raisonnement. Il n’est nullement vray que l’affection comprenne toûjours l’obeïssance, autrement il s’ensuivroit qu’un pere & une mere seroient obeïssans à leurs enfans, parce qu’ils leurs seroient affectionnez, il peut donc y avoir de l’affection sans obeïssance. C’est ce qui fait que ceux qui écrivent à des inferieurs doivent mettre ordinairement affectionné serviteur, parce que ce mot laisse toûjours une idée d’autorité & de superiorité ; nos superieurs nous devant l’affection mais non pas l’obeïssance. Il n’est encore nullement vray que l’obeïssance ne comprenne pas l’affection. Une obeïssance véritable est toûjours accompagnée d’affection, ce n’est pas estre obeïssant que de n’obeïr que par contrainte, & l’on ne dira jamais qu’un enfant qui fait en grondant & à contre-cœur ce que son père luy commande, soit obeïssant à son père, ce seroit confondre les idées des choses, & donner aux mots de nouvelles significations. Estre donc véritablement obéyssant, c’est estre tres-obéyssant, comme on le met dans les Lettres ; c’est aimer à satisfaire les volontez justes & raisonnables de la personne à qui on se dit obeïssant, c’est se soumettre volontiers & avec affection à ce qu’il veut ; c’est pour cela qu’il est plus respectueux quand on écrit à des personnes superieures, pour lesquelles on doit avoir non seulement de l’affection, mais du respect & de la soûmission, de signer tres-obeyssant, au lieu de tres-affectionné qui se mettoit autrefois. Si donc cet usage a changé, bien loin que ce soit un malheur, comme le prétend M. de Furetiere, c’est au contraire un bonheur pour la Langue, qui a fait une reformation conforme aux regles du bon sens & de la raison.


Affluer pour abonder.

Quelques-uns évitent ce mot, comme un peu vieux ; & en effet je ne vois aucun bon Auteur François qui s’en serve aujourd’huy. Affluence néanmoins est fort bon.


Agneau, anneau.

Quand on parie de la chair de cét animal, on prononce anneau. Nous avons mangé de l’anneau, un quartier d’anneau, mais si l’on parle de l’animal mesme, il faut dire agneau ; l’agneau est un animal sans malice, il est doux comme un agneau. Mais en l’un & en l’autre sens il faut toûjours écrire agneau.


Aheurté.

Ce mot est fort bon pour marquer l’attache opiniastre à un sentiment ; il est tellement aheurté a cela, qu’il n’y a pas lieu de l’en desabuser.


Aider.

Ce verbe gouverne le datif ou l’accusatif, ainsi on peut dire indifféremment il l’aide, ou il luy aide, exemple, il demanda deux Théologiens qui luy aidassent à porter une charge si pesante[12], & un peu plus bas, il l’aida à mourir Chrétiennement. Je viens néanmoins d’apprendre qu’il y a quelque différence entre aider quelqu’un, & aider à quelqu’un, & qu’en prenant ces mots selon l’exactitude & la pureté de la Langue, aider à quelqu’un, signifie proprement partager avec luy les mesmes peines ; ainsi on dira fort bien d’une qui aura mis la main à l’ouvrage d’un autre, il luy a aidé à faire cela. Et c’est en ce sens que l’Auteur de la vie de S. Ignace dit, il demanda deux Theologiens qui luy aidassent à porter une charge si pesante, c’est à dire, qui portassent avec luy le mesme fardeau. Mais si l’aide qu’on donne ne consiste pas à prendre sur soy-mesme une partie du travail de celuy que l’on secourt, alors il faut dire aider avec l’accusatif ; ainsi on dira d’une personne qui aura donné à quelqu’un une somme d’argent pour achever un édifice, qu’il l’a aidé à bâtir sa maison. Et c’est en ce sens que le mesme Auteur a dit, il l’aida à mourir Chrestiennement.


Ail.

M. Ménage prétend que ce mot n’est pas usité au pluriel, mais pourquoy ne dira-t’on pas donné moy un ail, deux ails, trois ails ; pour des aulx il n’est plus en usage, on dit des ails. Ce n’est pas que de l’ail ne soit mieux dit. Il mange de l’ail, pour il mange des ails. Et j’aimerois mieux dire deux testes d’ail, que trois ails. Mais cependant je ne voudrois pas condamner ceux qui disent deux ails, trois ails.


Aise.

Ce mot joint au verbe aimer, ou à quelqu’autre à peu prés semblable, ne se met qu’au pluriel, aimer ses aizes, chercher ses aizes, on s’en sert quelquefois dans le sens de joye, de transport de joye & d’allegresse, comme fait M. d’Ablancourt lors qu’il dit, Cyrus ne se laissa pas transporter à l’aize de la victoire[13].


Aisé, riche.

Ce terme se dit quelquefois, c’est un Bourgeois aisé, & l’Auteur des Mémoires sur les Guerres de Paris dit : on taxa les aizés, & les mal aizés.


Alambiquer.

Ce mot n’est d’usage qu’au figuré burlesque, alambiquer son esprit, mais on ne dira pas alambiquer des herbes, pour, distiller des herbes.


Aliéner.

Aliéner est du bel usage, & tous nos bons Auteurs s’en servent, cela luy aliéneroit tous les esprits de la Province. D’Ablanc. Rien n’estoit si dangereux que d’aliéner les esprits des alliez[14].


Allécher, alléchement.

Allécher déplaist à quelques personnes, mais je crois qu’on peut s’en servir quelquefois, pourveu qu’on ne l’employe que dans des occasions où l’on ait besoin de quelque expression forte & énergique. Je dis le mesme d’alléchement, qui peut avoir sa place dans le discours, & estre dit tres-élegamment, comme il est aisé de le voir en cet exemple, d’un de nos meilleurs Ecrivains. C’est pour cela que tantost ils se servoient de tous les alléchemens des voluptez les plus infames, pour les gagner, & que tantost ils les mattoient par des supplices[15].


Aller, venir.

Aller se dit du lieu où l’on est à celuy où l’on n’est pas, comme : J’iray ce soir chez vous ; venir se dit du lieu où l’on n’est pas à celuy où l’on est, comme, je viendray icy au plutost ; il se dit aussi quelquefois du lieu où l’on est à celuy où l’on n’est pas. Mais M. Ménage s’est trompé de dire dans ses Remarques que ce n’est que lorsqu’on est sur le point de quitter le lieu où l’on est. J’avouë que si je partois de Paris pour aller à Lyon, je pourrois fort bien dire, voulez-vous venir avec moy à Lyon ? Mais cela n’empesche pas que je ne puisse dire aussi, J’iray dans un an à Rome, voulez-vous venir avec moy ? Quand on parle du lieu où l’on fait sa demeure, on peut dire aussi quoy qu’on n’y soit pas, voulez-vous venir chez moy ? voulez-vous venir en mon logis ?


Il est allé, il a esté.

Les Provinciaux confondent souvent ces deux termes, qui néanmoins sont fort différens en leurs significations, il est allé à la Messe, par exemple, suppose qu’on y est encore, & il a esté à la Messe, suppose qu’on en est revenu ; il n’arrive pas qu’on dise il a esté, pour il est allé ; mais souvent on dit, il est allé, pour, il a esté ; ce qui est une faute assez considerable. Combien de gens disent, je suis allé le voir, je suis allé luy rendre visite, pour, j’ay esté le voir, j’ay esté luy rendre visite ; la regle qu’il y a à suivre en cela est que toutes les fois qu’on suppose le retour du lieu, il faut dire il a esté, j’ay esté, & lorsqu’il n’y a point de retour, il faut dire, il est allé, ils sont allez, je suis allé.


Aller disant.

Si je veux marquer qu’une personne va dire une chose par tout, cette maniere de parler sera bonne, il va disant, & c’est comme a parlé un Auteur nouveau, J’apprens que vous allez disant que je n’ay osé vous exposer ma foy. Vous ne devriez pas aller disant comme vous faites, que je n’ay osé vous exposer ma foy[16].

Et Mademoiselle de Scudery dans l’entretien de la discretion dit : ces gens qui se font un mérite de sçavoir toutes les nouvelles, & qui vont les répandant avec autant de diligence, que s’il y avoit beaucoup d’honneur à acquerir pour eux, le font quelquefois fort indiscretement. Mais l’on ne sçauroit excuser ces façons de parler, dont les Prédicateurs se servoient tant autrefois, Saint Augustin va disant, Tertullien va disant.


Alliage.

Cét alliage de Lettres, dit l’Auteur de l’Art de parler, augmente les alphabets d’un grand nombre de consonnes. Alliage n’est pas bon là, il ne se dit gueres que des métaux.


Alors, lors.

Alors, au lieu de lors, ne se dit gueres. Autrefois il estoit fort en usage ; & M. d’Ablancourt s’en est servy en plusieurs endroits ; Vn Prince, dit-il, chassé de son trône, s’écria qu’il n’avoit reconnu ses amis & ses ennemis, qu’alors qu’il n’estoit plus en estat de leur faire du bien ny du mal, il falloit mettre : que lors qu’il n’estoit plus en estat, &c.[17]


Altération.

Ce mot signifie changement, comme, les Elemens sont incapables d’aucune altération[18]. Il parut une grande alteration sur son visage. Il se prend aussi pour soif, exemple[19], il n’est rien de plus délicieux que de rencontrer une fontaine claire & fraîche, quand on est dans une grande altération. Quelques personnes néanmoins pretendent qu’il ne se dit bien en ce sens que dans le figuré, comme : l’altération d’une terre desséchée par les ardeurs du Soleil. Mais qu’on ne pourroit pas dire de mesme, je suis dans une grande altération, pour, je suis dans une grande soif.


Aménité.

Ce mot commence à s’establir, mais dans les mots nouveaux il faut garder beaucoup de ménagement. Car il y a je ne sçay quoy de petit de prendre à tâche de s’en servir. Le meilleur terme est toûjours le plus usité, à moins qu’il ne soit difficile d’en trouver qui exprime aussi bien que le nouveau ; & pour revenir à notre mot, je ne sçay si l’Auteur de la Défense de la Langue Françoise n’auroit pas mieux fait de s’en abstenir, quand il a dit, que les Livres d’Hérodote ont paru aux anciens remplis d’élégance & d’amenitez. Ce terme-là seroit bon en Poësie, mais je craindrois qu’il ne fust un peu affecté en Prose,


Amelette, omelette.

L’un & l’autre est bon ; il y en a qui préfèrent amelette, le faisant venir du Grec ἀμυλάτον ou d’ἅμα, ensemble, & λύειν battre, dilayer, dissoudre, comme qui diroit œufs battus & mêlez ensemble. D’autres aiment mieux dire omelette du mot oomelina pris de ᾨόν œuf & de μέλι miel. Je crois le sentiment de ces derniers plus conforme à l’usage.


Amaigrir, maigrir.

Il faut dire, il amaigrit tous les jours, & non il maigrit. « Si c’est le dessein des Auteurs de se nourrir du succés de leurs pieces, & d’amaigrir lorsqu’elles ne reüssissent pas, pour moy je renonce au métier[20]. »


Amorcer, attirer.

Ce verbe est vieux & s’employe mal dans le sens figuré, mais il est d’usage dans le propre, amorcer une arme à feu. Amorce néanmoins est usité en l’un & en l’autre sens.


Amour.

Amour dans le sens de passion est ordinairement féminin, hors cela il est masculin, l’amour divin.


Ancien, vieux, antique.

Vieux se dit d’une chose ou d’une personne usée par le temps : il y a des gens qui sont plustost vieux que d’autres, dit-on d’ordinaire, pour dire, qui sont plutost usez. Ses habits sont si vieux qu’ils se déchirent. Vieux se dit aussi pour marquer le long-temps d’une chose ou d’une personne, quoy que cette chose ou cette personne n’en soit pas devenue pire, comme : il est vieux, mais il a une vigueur de jeune homme. A le voir on ne diroit pas qu’il fust si vieux.

Ancien marque aussi le temps, mais d’ordinaire il a un sens plus noble, s’employant pour signifier un avantage acquis par le temps, comme : il doit passer devant, puis qu’il est le plus ancien. C’est le plus ancien de la maison. C’est une ancienne famille. Les anciens.

Antique se dit d’une chose non seulement vieille, mais qui est faite à l’ancienne mode, comme : un habit à l’antique, un Tableau antique ; ainsi, par exemple, si je parle d’un bastiment ruiné par le temps, mais dont la construction ne soit pas differente des bastimens d’aujourd’huy, je diray que c’est un vieux bastiment, une vieille maison, mais s’il est fait selon l’ancienne maniere de bâtir, je diray que c’est un bâtiment antique ; on dit aussi des médailles antiques, & non des médailles anciennes. Je ne dis rien d’ancienneté & d’antiquité, le Pere Bouhours a dit là-dessus dans ses Remarques tout ce qui l’en falloit dire.


Angoisse.

Un Auteur nouveau a dit, J’ay sceu vos peines & vos angoisses qui marquent si bien le zéle dont vous estes embrasé[21]. Ce mot estoit vieux, on l’a fait revivre, & M. l’Abbé de Saint Réal, dit dans la vie de Jesus Christ, il s’abandonna à la frayeur & parut dans de cruelles angoisses.


Il est apparu, il a apparu.

L’un & l’autre se disent, il luy estoit autrefois apparu en songe, dit M. Fléchier dans l’Histoire de Théodose ; & dans un autre endroit du mesme Livre, il luy avoit autrefois apparu.


Aprés, estre aprés quelque chose.

Cette maniere de parler est d’usage, j’estois apres trouver une Méthode sûre & facile pour retenir cela[22].


Applatir, applanir.

Ces deux mots ont des sens différens, & ne se prennent point l’un pour l’autre, comme le croyent certaines gens. Applanir signifie proprement unir quelque chose au niveau, oster & enlever ce qu’il y a de raboteux ; ainsi je diray fort bien d’une hauteur qui rendra difforme une allée de Jardin, qu’il la faut applanir, c’est-à-dire la couper, la retrancher ; aussi dit-on aplanir les Montagnes, pour dire, couper les Montagnes. Applatir signifie autre chose, ce n’est point retrancher ny oster, c’est proprement presser & comprimer une chose en sorte qu’elle devienne moins épaisse ; lorsque par exemple, je frape à coup de marteau une bale de plomb, je l’applatis, & ce ne seroit pas bien parler de dire que, je l’applanis ; ainsi je diray qu’à coups de marteau on applatit le fer, qu’une boule de cire molle s’applatit quand on la presse.


Approfondir, creuser.

Approfondir se dit dans le figuré, & non dans le propre, approfondir une matiere, mais on ne dira pas approfondir la terre. Creuser ne se dit point pour approfondir ; on dit creuser la terre. Et l’on ne dira pas creuser une matiere. Et le Pere Bouhours se mocque d’avoir dit comme il a fait dans ses nouveaux Dialogues, je vous sçay bon gré, dit Philanthe, de faire honneur à Saint-Evremont, ce que nous avons de luy marque un beau génie, qui creuse & qui égaye toutes les matières qu’il traite.


Ardüe.

Ce mot plaist à plusieurs personnes, il n’a point de masculin, M. de Voiture s’en sert quelquefois. C’est-là, dit-il en écrivant à Mademoiselle de Ramboüillet, une des plus arduës questions que j’aye jamais oüy faire.


De l’arrangement des mots.

Pour rendre le discours nét, il faut presque toujours mettre à la fin de la période les mots qui marquent l’action du verbe, & mettre auparavant, les autres mots qui expriment ou, l’état, ou le lieu, ou le temps, ou le sujet, ou la cause, ou la maniere, ou l’instrument, ou la fin de l’action. Comme il est aisé de le voir dans les exemples que je vais apporter.

L’effet : « Il y avoit du temps de Samuël tres-grand nombre de Prophetes, témoin cette troupe que Saül rencontra qui prophétisoit au son des instrumens, transportez de l’esprit de Dieu »[23]. Cela n’est pas bien rangé, il falloit, qui transportez de l’esprit de Dieu prophétisoient au son des instrumens.

Le lieu : « Je m’enferme quand il fait mauvais temps, dans ma chambre » ; il faut, Je m’enferme dans ma chambre, quand il fait mauvais temps. « Quand Charles-Quint leva le Siége de devant Mets, on railla fort sur sa retraite dans le monde »[24], il falloit dire, on railla fort dans le monde sur sa retraite.

Le temps : « détestons les péchez que nous avons commis au plûtost ; » il faut, détestons au plustost les pechez que nous avons commis.

Le sujét : « employons toute cette vaine curiosité qui se répand au dehors aux affaires de nôtre salut » ; il faut, employons aux affaires de nostre salut, toute cette curiosité qui se répand au dehors.

La cause : « il faut jetter les yeux sur les souffrances du Sauveur, afin d’adoucir les afflictions qui nous arrivent par cette veuë » ; cela n’est pas nét, on doit dire, il faut jétter les yeux sur les souffrances du Sauveur, afin d’adoucir par cette veuë les afflictions qui nous arrivent.

« La moindre traverse qui vous survient vous décourage, & vous fait rélâcher de tout le bien que vous avez commencé, pour chercher avec avidité des consolations au dehors », dit le dernier des Traducteurs de l’Imitation de Jesus-Christ. Il devoit dire, la moindre traverse qui vous survient vous décourage, & pour chercher avec avidité des consolations au dehors, elle vous fait rélâcher de tout le bien que vous avez commencé. Car autrement il y a de l’équivoque.

La maniere : « les Maistres qui grondent toujours ceux qui les servent avec emportement, sont les plus mal servis »[25] ; il falloit dire : les Maistres qui grondent toujours avec emportement ceux qui les servent, sont les plus mal servis.

« Les Prestres Egyptiens ne s’aviserent jamais de voiler les observations qu’ils faisoient de la nature sous leurs Hiéroglyphes, que pour en dérober la connoissance au peuple »[26]. Il falloit, les Prestres ne s’aviserent de voiler sous leurs Hiéroglyphes les observations qu’ils faisoient de la nature, que pour en dérober la connoissance au peuple.

« Croyez-vous pouvoir ramener ces esprits égarez par la douceur », dit l’un des plus polis & des plus exacts Ecrivains que nous ayons, pour : croyez-vous pouvoir ramener par la douceur ces esprits égarez.

L’instrument : « Ignace parut sur la breche à la teste des plus braves, & receut les ennemis l’épée à la main »[27]. Cela n’est pas net, on ne sçait si ce sont les ennemis qui estoient l’épée à la main, ou si c’estoit Ignace. Il falloit, & l’épée à la main il receut les ennemis.

La fin[28]. « La premiére action de l’homme fut de se révolter contre son Créateur, & d’employer tous les avantages qu’il en avoit receus pour l’offenser » ; il falloit, & d’employer pour l’offenser tous les avantages qu’il en avoit receus.

Un certain Auteur dans un Livre qu’il a intitulé, Traité de Morale sur la valeur, fait encore une faute de cette nature. « Mille sorte d’ouvriers, dit-il, travaillent pour armer le Soldat, on s’occupe mesme ou pour le réjoüir, ou pour l’animer à faire des Tambours & des Tymbales. » Ne diroit-on pas à ce langage, qu’on anime le Soldat à faire des Tambours. Il falloit donc dire pour oster cette ambiguité insupportable : mille sortes d’ouvriers travaillent pour armer le Soldat, & mesme on s’occupe à faire des Tambours, & des Tymbales pour le réjoüir ou pour l’animer.

Il est visible combien on doit avoir égard à cet arrangement, puisque sans cela on court risque de faire des sens tout contraires, & mesme ridicules. Mais il faut remarquer que quand l’action du verbe ne consiste que dans un seul mot ; on n’observe pas cette régle, parce qu’il n’y a point d’ambiguité à craindre ; & que d’ailleurs le discours n’auroit pas une juste cadence. Comme il est aisé de le voir par cét exemple. Dieu se rend maistre du cœur, par la puissance de sa grace ; car si je veux observer la régle, & dire Dieu se rend maistre par la puissance de sa grace du cœur, la phrase aura une chûte trop brusque. On pourroit dire néanmoins, Dieu par la puissance de sa grace se rend maistre du cœur.

Il y a une autre sorte de mauvais arrangement qui ne fait point d’ambiguité, mais qui consiste en des termes mal placez & hors de leur situation naturelle, en voicy des exemples. M. de Voiture écrivant à M. de Chaudebonne, luy dit : « si je désire quelque chose, c’est seulement que le temps ne m’oste rien de la part, que si libéralement vous n’avez donnée en vostre affection ; » il falloit, que vous m’avez donnée si libéralement en vostre affection : & écrivant à M. de Chavigny. « M. Esprit, dit-il, qui va à la Cour avec une Lettre de recommendation pour vous, a crû avoir besoin que je le vous recommendasse. » Il falloit vous le recommendasse. Cette transposition de le est aujourd’huy une faute, mais autrefois c’estoit l’usage de le placer ainsi devant le pronom vous ; comme il est facile de le voir en lisant M. de Balzac & quelques autres, où l’on trouve, je n’ay pu les vous donner, je les vous promets, je le vous récommande, &c. ce n’est qu’une bisarrerie de l’usage, si cela a changé ; car ne disons nous pas encore, je le luy diray, je le luy récommande ; pourquoy donc ne pourroit-on pas dire, je le vous diray, je le vous récommande ? ce n’est donc que le caprice de la coûtume qui ne le veut plus. Il y a néanmoins certaines transpolitions qui viennent bien dans le stile plaisant, qui diroit par exemple en parlant sérieusement, c’est un homme que bien vous connaissez, se feroit mocquer, & cependant cette transposition sied tout-à-fait bien dans le discours badin. Comme lorsque M. de Voiture dit, écrivant à M. Chapelain, si Apollon que bien vous connoissez fust venu luy-mesme à Narbonne, je dis avec tous ses rayons, il n’y eust esté receu qu’en qualité de chirurgien.

Il est bon d’observer encore qu’il y a certains pronoms qui pour estre bien placez doivent estre mis ayant le verbe, exemple : ne trompez pas mon espérance, & vous montrez digne de la liberté que vous possedez[29]. L’Auteur d’où est tire cet exemple auroit pu dire, ne trompez pas mon espérance & montrez vous digne, &c. Mais il n’eust pas si bien parlé, car c’est un usage estably parmy les personnes qui parlent poliment, qu’en ces occasions le pronom se doit placer devant le verbe. Si je disois par exemple, lisez promptement ce livre, & rendez le moy au plustost, je ne m’exprimerois pas si bien que si je disois, lisez promptement ce livre, & me le rendez au plustost ; C’est ainsi qu’on en doit user lors qu’il y a deux imperatifs de suite, qui ont tous deux pour cas la mesme chose.


Armes, armoiries.

M. Ménage dit dans ses Remarques qu’il faut dire, quelles sont vos armes, & non quelles sont vos armoiries ; blazonner des armes, & non des armoiries ; mais qu’on dit, un traité d’armoiries ; un livre d’armoiries. Il semble insinuer par là que armoiries n’est bon qu’en parlant d’un livre & d’un traité sur cette matiére, en quoy sans doute il s’est trompé ; car je ne vois pas que armes fust aussi bien dit que armoiries, dans cét exemple tiré du Pere Ménestrier, Religieux de la Compagnie de Jesus, lequel dit dans l’Epistre Dédicatoire du Traité qu’il a fait sur les Régles des Ballets : « Dés le temps que la Noblesse a commencé à se distinguer par des noms propres, & par des armoiries, on a veu le nom d’Aumont considérable par toute l’Europe », le mot d’armes n’iroit point bien là.


Arrhes, airrhes.

Arrhes ne se dit que dans le figuré, vous avez esté scellez du sceau de l’Esprit Saint, lequel est le nouveau gage & les arrhes de nostre héritage[30].


Arsenal, arsenac.

On dit Arsenal ; « les voyages qu’il fit de sa maison à l’Arsenal, me semblent plus glorieux que ceux qu’il a faits delà les Monts », dit M. de Voiture. Et M. Mainard

Quand sera-ce, grand Cardinal,
Que la paix fera des marmites
De tout le fer de l’Arsenal ?

Une grande preuve encore qu’il faut dire Arsenal, c’est qu’on dit arsenaux au pluriel ; il y avoit quatre cens Galeres en mer, ou dans les Arsenaux, dit M. d’Ablanc. retraite des mille. Les rebelles s’estoient saisis des arsenaux & des magazins, dit M. Masc. dans l’Oraison Funebre de la Reyne d’Angleterre.


Artistement.

L’Abbé Danét décide un peu vite quand il dit dans un certain Dictionnaire François, que ce mot est vieux. Il n’est point si vieux qu’on ne s’en serve encore aujourd’huy ; aussi M. Depreaux dans la Traduction de Longin, ne fait pas difficulté de dire, y a t’il rien de beau dont on ne luy ait fait des presens ; combien de vases d’or & d’argent enrichis de pierres précieuses, ou artistement travaillez.


Assaillir.

Assaillir n’est guéres en usage au figuré, quoy qu’un habile Ecrivain ait dit, il estoit bien plus seur de l’aller assaillir que de l’attendre ; mais ce mot est elegant quelquefois dans le figuré ; & M. Mascaron s’en est servy avec assez de grace, lors qu’il a dit dans l’Oraison Funebre de Madame la Duchesse d’Orleans, disons que la mort a mis fin aux plus grands périls, dont une ame chrétienne peut estre assaillie.


Ascendant.

Il y a des gens qui se servent trop de ce mot, & qui mettent l’ascendant à tout. C’est un terme fort en usage aujourd’huy, mais il ne faut pas l’affecter : Il se dit des Astres & des Constellations ; on l’employe néanmoins au figuré, & on dit d’ordinaire de certains esprits superieurs, qu’ils ont un ascendant universel sur tous ceux avec qui ils s’entretiennent.


Assertion, proposition.

Assertion est plus du stile dogmatique ; on dit ordinairement ma proposition, ou, ce que j’ay avancé, plûtost que mon assertion, qui ressent un peu trop l’école.


Assez suffisant.

Les bonnes gens disent quelquefois, cela n’est pas assez suffisant, il n’y en a pas assez suffisamment ; mais c’est tres-mal parler. Dire qu’une chose est suffisante, c’est dire qu’il y a assez d’elle, & qu’il n’est pas besoin d’une autre. Ainsi il y a de la contradiction à dire qu’une chose n’est pas assez suffisante, ou qu’une chose est assez suffisante, parce que c’est supposer qu’elle peut estre suffisante, sans suffire. Cette sotte phrase néanmoins s’est communiquée par contagion à quelques personnes qui se piquent de politesse ; M. l’Abbé Furetiere par exemple, n’a-t’il pas dit dans son second Factum : « il est temps de donner à Messieurs les Ministres des Mémoires assez suffissans, pour prendre connoissance de la manière dont ils servent le public » ; par cét, ils, il entend Messieurs de l’Académie Françoise, contre lesquels il se dechaine dans ce Factum.


Assouvir.

Assouvir ne se dit bien que des passions déréglées de l’ame, assouvir sa vangeance, sa haine, sa cruauté.


S’asseoir, s’assir.

On dit s’asseoir, & il n’y a que le menu peuple qui parle autrement. Il dit aussi assisez-vous, pour asseyez-vous, ce qui est tres-mal.


Astreindre, lier.

Ce verbe n’est d’usage qu’au figuré, on nous a astreint à cette loy.


Astronomie, astrologie.

Astronomie est la science des Astres ; Astrologie se prend d’ordinaire pour l’art de deviner par les Astres ; ainsi astronome & astronomie se disent en bonne part, & Astrologue & Astrologie en mauvaise. D’où vient que l’Auteur des Mœurs des Israëlites dit fort à propos : on ne trouve que trop de gens qui écoutent les Astrologues, & toutes ces sortes d’imposteurs.


Attrayant.

Ce mot est tres-beau, & d’un grand usage ; des personnes tres-polies dans la Langue prétendent qu’on ne le doit dire que des objets de la veuë, & que ce ne seroit pas parler dans l’exactitude que de dire, la Musique est quelque chose d’attrayant. Tous néanmoins ne sont pas de ce sentiment.


Atteler les chevaux.

Mettre les chevaux au Carosse.

Le dernier est plus noble que le premier, & c’est comme parlent les personnes de qualité, mettez les chevaux au Carosse. Mais il est bon de remarquer que s’il y a grand nombre de chevaux à mettre au Carosse, il est mieux de dire, atteler. Qu’on attele les chevaux, se dit ordinairement d’un grand train ou cortege.


Attendre, esperer.

Ces deux verbes sont un peu différens dans le sens propre : esperer marque de l’incertitude, mais attendre marque quelque chose d’assuré ; on n’espere pas une chose certaine, on l’attend, & qui dit espérer, dit de l’incertitude.


Attendu que.

Veu que est meilleur, attendu que, a un peu vieilly.


Atterrer.

Atterrer signifie confondre, exterminer, ruiner, &c. comme : « lorsque le cœur de quelqu’un Morale s’enfle & s’éleve par un vain orgueil, on peut prendre cela pour une marque certaine que ła Justice Divine est preste de l’Atterrer[31]. »


Attiédir, tiédir.

Tiédir se dit de froid en chaud, & attiédir de chaud en froid : Il faut remarquer qu’on ne dit pas tiédir de l’eau, mais faire tiédir de l’eau, pour dire la faire un peu chauffer : attiédir signifie le contraire, cette eau commence à s’attiédir, l’eau froide attiédit l’eau chaude. Le mot est aussi d’usage au figuré, rien n’attiédit plus la ferveur ou le zéle que le mauvais exemple.


S’attifer.

S’attifer ne se dit que par mocquerie, la pluspart des femmes ne songent qu’à s’attifer.


Attrocité.

C’est un tres-bon mot pour exprimer la noirceur & la grandeur d’un crime, atrocement ne se dit pas.


S’attrouper.

Ce verbe est fort en usage, & nos meilleurs Ecrivains s’en servent, exemple : Theodose avoit envoyé des Soldats pour écarter dans les principaux quartiers les séditieux qui s’y attroupoient[32].


Avant, auparavant.

Avant est préposition, auparavant adverbe ; ainsi il faut dire, avant qu’il vienne & non auparavant qu’il vienne, avant luy & non auparavant luy ; auparavant ne se dit que lorsqu’il ne vient rien aprés, comme : faites le moy sçavoir auparavant. L’Auteur du Jugement sur Sénéque, Plutarque & Pétrone ne laisse pas de dire, auparavant que, au lieu de avant que. « Auparavant que Néron se fust laissé aller à cet étrange abandonnement, personne ne luy estoit si agréable que Pétrone » : mais cét Ecrivain tout habile qu’il est, n’est pas infaillible non plus que les autres.


Avant, devant.

Avant est plus propre pour désigner le temps, & devant pour marquer la présence d’une personne, ou d’une chose, comme : il a fait cela en ma présence, il l’a fait devant moy. Sa maison est devant la mienne. Ainsi si l’on veut dire d’une personne qu’il parla le premier, & que les autres ne parlerent qu’aprés luy. Il faut dire : il parla avant tous les autres, & non devant. Car le sens sembleroit estre, qu’il parla en la présence des autres.


Avancement.

On ne se sert point de ce mot au sens naturel, mais seulement au figuré ; on ne dira pas par exemple, on luy a fait abatre sa maison à cause de son avancement dans la ruë : mais on dit tous les jours dans le figuré, chacun travaille à son avancement.


D’avanture.

D’avanture & par avanture ne se disent plus que dans le style badin, & burlesque.


Aube du Jour.

On dit le point du jour ; aube du jour a vieilly, ce mot d’aube signifie cette premiére blancheur qui commence à paroistre lorsque le Soleil se leve. Il vient du mot Latin album, d’où l’on a fait le mot François aube, & celuy d’aubade, changeant la lettre l. en u ; ainsi qu’on l’a fait en plusieurs autres mots, comme dans Aubene, par exemple, qui signifie le droit du Prince sur les biens des étrangers qui sont demeurez sans héritiers legitimes : car le mot, droit d’Aubene, vient d’albena, qui s’est dit pour alvena, & advena, étranger.


Avarement.

On dit avec avarice, avarement n’est nullement en usage.


Aucune fois.

Ce mot ne se dit plus, il a vieilly aussi bien que parfois. Il faut dire quelquefois.


Au devant, aller au devant.

Il est allé au devant de luy, & non, il luy est allé au devant. Ils sont venus au devant de nous, & non ils nous sont venus au devant.


Avec de, avec du.

Avec veut quelquefois de aprés soy, & quelquefois du. Quand le substantif qui le suit n’a point d’adjectif, l’on met du ; cela est fait avec du ciment : quand il en a & qu’il en est précédé, l’on met de. Cela est fait avec de bon ciment. Je dis quand il en est précedé, car si l’adjectif suivoit, il faudroit mettre du, comme : cela est fait avec du ciment fort dur.


Aveine, avoine.

Tous deux se disent ; je crois néanmoins qu’il vaut mieux dire avoine.


Aveindre.

Le peuple de Paris se sert de ce mot, qui n’est pas des meilleurs.


Avénement, exaltation.

En parlant du Souverain on dit, avénement ; « dés son avénement à l’Empire il avoit eu cette pensée »[33]. En parlant du Pape, on dit, exaltation. « Le Pape Paul III, depuis son exaltation ne songeoit qu’à rémédier aux maux de la Chrêtienté »[34].


Un augure, une augure.

Ce mot est masculin, & M. d’Ablancourt dans son Livre des Apophtégmes ayant écrit mauvaise augure, marque dans l’errata qu’il faut lire mauvais.


Avis, il m’est avis.

Cette façon de parler n’est plus en usage : du temps de Sarrasin & de Voiture on la disoit encore, ne vous est-il pas d’avis d’estre aux Petites-Maisons, dit M. Sarrasin dans ses Dialogues. Il m’est avis que le visage de ma fortune se change, dit M. de Voiture écrivant à M. le Cardinal de la Valette.


Avorter.

Plusieurs personnes prétendent que avorter ne se dit que des animaux ; & qu’on dit d’une femme qu’elle s’est blessée, mais on ne doit pas faire de cela une régle générale ; car on dit fort bien d’une méchante femme, elle a fait avorter son fruit. Elle ne pouvoit manquer d’avorter. Elle a avorté deux fois par le moyen de certains breuvages. Ainsi avorter, se dit d’une femme qui fait périr à dessein son fruit ; mais si c’est par accident, alors on dit qu’elle s’est blessée. Pour ce qui est des animaux, on dit toûjours avorter.


Aussi, au lieu de, si.

Il faut souvent se servir d’aussi, au lieu de si, c’est lors qu’il y a comparaison, comme : vous ne devez pas estre indifférent pour une personne qui vous honore aussi véritablement que je fais, quand il n’y a point de comparaison on se sert de si : comme, une santé si foible succombe d’abord ; ainsi c’est une faute d’exactitude que le Traducteur des Lettres de Saint Augustin a faite, quand il a dit, c’est avec la plus grande joye du monde que je donne ce Livre à un si homme de bien que vous estes, il falloit à un aussi homme de bien que vous estes. M. de Vaugelas fait souvent la mesme faute, il avoit en révérence, dit-il, dans son Quinte-curse, la misérable fortune d’une princesse issuë du Sang Royal, & un nom si fameux que celuy d’Ochus. M. de Voiture peche aussi fort souvent contre la mesme régle ; à un si grand malheur que le mien, dit-il, écrivant à Mademoiselle Paulet, il ne falloit pas une moindre consolation. Et ecrivant à M. de Chaudebonne, je vous supplie, dit-il, de trouver occasion de témoigner à Monseigneur les vœux que je fais pour une santé si importante à tout le monde que la sienne. Il falloit, pour une santé aussi importante à tout le monde que la sienne. Le Père Bouhours a dit quelque chose là-dessus dans ses Remarques qui confirme ce que je dis ; mais il n’a pas remarqué que quand la proposition est négative, on doit pour l’ordinaire se servir de si, soit qu’il y ait comparaison ou non, comme : rien ne la toucha si sensiblement que l’interest de sa religion[35]. Si au contraire la proposition est affirmative, il faut se servir de aussi, comme nous l’avons veu dans les exemples précédens.


Avoüer.

Avoüer, ne se doit dire que d’une chose vraye, ce seroit mal s’expliquer de dire comme quelques-uns, il a avoüé des choses qui ne sont point. Il avouë ce qu’il n’a point fait. Les tourmens font souvent avoüer des crimes dont on n’est pas coupable. Avoüer & aveu, aussi bien que confesser & confession, supposent la verité, c’est à quoy on ne prend pas assez garde.


Aussi comme, aussi que.

On ne met point aujourd’huy comme aprés aussi, on met toûjours que ; autrefois on n’estoit pas si scrupuleux, témoin M. d’Ablancourt qui met dans ses Commentaires de César, il dit qu’il ne falloit pas que l’alliance Romaine luy fust dés-avantageuse, qu’autrement il y renonçoit d’aussi bon cœur, comme il l’avoit recherchée. Témoin M. de Voiture, qui écrivant à M. de Fargis, dit : à ce que je vois vous estes aussi libéral de loüanges comme de toute autre chose. Et M. Sarrazin, qui dans son Dialogue, fait dire à M. Ménage, je ne sçay si vous ne voudrez point excuser l’Ecolier aussi bien comme le Maistre. Dans tous ces exemples il faut que au lieu de comme ; cela est incontestable.


Auteur.

Ce mot se prend quelquefois en mauvaise part. Et quand on dit tout court, c’est un Auteur, c’est quelquefois plûtost une injure qu’une loüange. Un Auteur tout court, c’est un homme qui n’a pas le sens commun, qui se mêle d’écrire & qui n’y entend rien. C’est un homme qui ne raisonne pas comme les autres hommes, & qui prenant des routes toutes différentes s’égare dans ses pensées, s’enteste de soy-mesme, ne parle jamais naturellement, met son souverain bonheur à mettre un Livre au jour. Trop heureux de faire parler de soy en quelque maniere que ce soit, pourveu que ce soit sous le nom d’Auteur. Il ne faut rien artendre de ces gens-là de raisonnable, tout y est hors des bornes de la nature & de la raison ; C’est ce qui a fait dire à M. Paschal, que « quand on voit le stile naturel, on est tout étonné & ravy, parce qu’on s’attendoit de voir un Auteur & qu’on trouve un homme ; au lieu que ceux qui ont le goust bon, & qui en voyant un Livre croyent trouver un homme, sont tout surpris de trouver un Auteur[36]. »


Autre, autruy.

M. de Vaugelas se trompe de dire dans ses Remarques, qu’il ne faut dire autre que quand il y a relation ; comme : il ne faut pas ravir le bien des uns pour le donner aux autres : & que quand il n’y a point de relation, il faut dire autruy, comme : il ne faut pas désirer le bien d’autruy. Ce principe paroist beau, mais il n’est pas seur, car est-ce que ce seroit mal parler de dire, par exemple, il faut sçavoir plus que les autres quand on veut enseigner, il ne faut point porter envie aux autres, où plûtost, ne seroit-ce pas mal parler, de mettre autruy en ces exemples.


  1. Remarques sur la Langue Françoise.
  2. Mademoiselle de Scudery.
  3. traduct. des Lettres de S. Aug.
  4. Reflexion sur la Physique.
  5. Remarques nouvelles sur la Langue Françoise.
  6. Morale du Sage.
  7. Traité du Sublime.
  8. Traduction de Terence.
  9. Traité du Sublime.
  10. Satyres de M. Dépreaux.
  11. Vie de S. Ignace.
  12. Vie de S. Ignace.
  13. Retraite des dix mille.
  14. Histoire de Theodose.
  15. Traduction des œuvres de Saint Cyprien. Préface.
  16. Traduction des Lettres de Saint Augustin.
  17. Apophtegm. des Anciens.
  18. Varillas. Histoire de Charles IX.
  19. Morale du Sage.
  20. Traduction d’Horace par le P. Tarteron.
  21. Traduct. des Lettres de S. Aug.
  22. Traduction d’Horace par le Pere Tart.
  23. Mœurs des Israëlistes.
  24. Entretiens d’Aristote et d’Eug.
  25. Morale du monde, conversation sur la colere.
  26. Reflexions sur la Philosophie.
  27. Vie de S. Ignace.
  28. Préface sur les pensées de M. Paschal.
  29. Retraite des dix mille.
  30. Traduction du nouveau Testament. Espistre aux Ephesiens.
  31. Morale du Sage.
  32. Histoire de Theodose.
  33. Histoire de Theodose.
  34. Vie de S. Ignace.
  35. M. Fléchier. Oraison Funébre de la feuë Reyne.
  36. Pensées de Paschal.