Imprimerie franciscaine missionnaire (p. 63-66).

LE VILLAGE JAPONAIS


Je n’ai pas encore assez vu de villages japonais pour en donner une appréciation particulière, bien détaillée. Cependant, de tous ceux que j’ai visités jusqu’ici, j’ai conservé une impression qui, si je ne m’abuse, réunit bien les traits communs à tous les villages du pays. Au Japon, m’a-t-on dit, personnes, maisons, villages, villes se ressemblent tous.

Voici cette impression :

Le village japonais n’a rien qui charme le regard. Sous ce rapport comme il diffère du village canadien ! Celui-ci est si coquet ! Soit qu’il groupe ses maisonnettes aux fraîches couleurs dans une vaste plaine embaumée des odeurs des foins et des blés, soit qu’il les accroche aux flancs onduleux et verdoyants d’une colline, soit qu’il les déroule, comme un « grand chapelet à quinze dizaines », le long des sinuosités capricieuses d’une rivière : toujours il est pittoresque, toujours il est charmant, enchanteur. Surtout la flèche de son église, qui domine toutes les habitations, et autour de laquelle celles-ci se rassemblent, comme des petits poussins autour de leur mère, comme elle s’élève fière et douce dans les airs ! On dirait une reine. À la voir, on la trouve si belle, qu’on l’aime irrésistiblement, car on sent que c’est elle qui nourrit, qui protège, qui défend, en un mot qui procure le vrai bonheur et la vraie joie dans la charité, première loi de la vie chrétienne.

Au village japonais, hélas ! rien de tout ceci : ni le site, ni les maisons n’ont rien de pittoresque, rien de charmant.

Le site est rarement bien choisi. Le village est presque toujours construit dans la plaine, bien rarement dans les montagnes, pourtant si nombreuses ici. C’est étrange ! À cela il y a cependant une raison : au Japon, la principale production étant le riz — et celui-ci ne se cultivant que dans l’eau — il est naturel que l’on choisisse de préférence les terrains plats pour y établir les rizières et conséquemment aussi pour y grouper les maisons. Mais alors, rien de misérable comme l’aspect de ces villages ; on les dirait perdus au milieu de marais interminables.

Encore si les maisons étaient jolies ! Mais d’ordinaire elles sont réellement pitoyables. Construites, partie en bois, partie en papier, ou même façonnées de paille ou de terre, ce sont plutôt des huttes que des maisons.

Rien ne domine le village. Rien non plus de saillant, rien en relief, pas d’unité par conséquent dans le spectacle : Ces petites maisons basses semblent, pour ainsi dire, fortuitement rassemblées, comme un troupeau dans un parc.

Il y a pourtant un temple païen. Mais il est toujours à l’écart du village, comme le pharisien d’autrefois, fier, hautain, dédaigneux, craignant toujours de se contaminer au contact d’un peuple qu’il méprise, tout en l’exploitant à son profit.

Il y a encore une autre maison qui remplace plus ou moins avantageusement le clocher du village canadien, ou même ici le temple païen : c’est le théâtre. Lui, il n’est pas si scrupuleux que le temple, ou plutôt il est plus grossier dans sa perfidie : il est bien au milieu du village ; du moins il a la facile obligeance de se placer à proximité des groupements les plus serrés. Presque chaque village a son théâtre ; et c’est là que, le cinémat, déjà connu ici, donne à un auditoire toujours nombreux l’enseignement que l’on sait.

Qu’il y a loin d’ici au spectacle du village canadien ! Ici encore les rôles sont renversés. Au milieu du troupeau, il n’y a de pasteur qu’un loup déguisé. Ce n’est plus la poule qui cache avec soin ses petits, sous ses ailes, c’est un vautour qui dévore avidement des œufs abandonnés.

Oh que c’est triste un village païen !… La nature y est morne, silencieuse, rêveuse ! On dirait qu’elle pleure ! Et le peuple, lui, est sans idéal, sans principes, sans convictions, ignorant, insouciant, terre à terre. Il vit sans savoir d’où il vient et où il va. Il mange, il boit, il dort, il engendre, il travaille, et c’est tout. Mais les brutes n’en font-elles pas autant ?

Oh ! Quand donc verrons-nous au-dessus de chaque village japonais une longue flèche argentée, avec des maisons jolies et proprettes tout autour, respirant l’honnête aisance, que procure ordinairement la pratique fidèle des vertus chrétiennes ?…