Principes d’économie politique/A-II

II

LES REVENUS PUBLICS.


À la différence des simples particuliers qui sont bien obligés de régler leurs dépenses sur leurs revenus, l’État d’ordinaire règle ses recettes d’après ses dépenses. Puisque, pour remplir ses diverses fonctions, il a besoin de 3 milliards 1/2 environ, c’est 3 milliards 1/2 qu’il demandera aux contribuables. Le droit qu’il a de le leur demander est incontestable, parce qu’il est juste et indispensable que dans toute société chacun supporte sa part des dépenses qui sont faites dans l’intérêt de tous[1].

Mais ce n’est pas une chose facile que de faire suer à un peuple près de 4 milliards 1/2, — avec les impôts des communes et des départements — ce qui représente plus de 400 fr. par famille française. Jusqu’à ce jour tout l’art des hommes d’État et des financiers avait consisté à découvrir des sources de revenus publics qui fussent aussi peu onéreuses que possible pour le contribuable et qui même, si possible, pussent passer inaperçues. Mais aujourd’hui, comme nous le verrons tout à l’heure, on tend à procéder en vertu d’un principe tout différent.

Voici donc quelles sont les différentes sources de revenus publics auxquelles on va puiser.

§ 1. — Revenus domaniaux.

Si l’État avait, comme un simple particulier, des biens qui lui fussent propres, il pourrait pourvoir aux dépenses publiques avec les revenus de ses biens et par là n’avoir pas besoin de rien demander au contribuable il se suffirait à lui-même. Ne serait-ce pas beaucoup plus commode ?

Cette situation a été réalisée en partie sous le régime féodal et l’est encore aujourd’hui dans les sociétés à demi barbares où la fortune du souverain ne se distingue guère de la fortune de la nation. Les princes souverains de l’Inde, tout comme le faisaient les anciens rois de France, vivent en grande partie et entretiennent leurs armées sur les revenus de leurs domaines. Mais dans les pays civilisés le domaine de l’État, depuis longtemps dilapidé, est réduit en général à peu de chose. En Prusse cependant et dans les États de l’Allemagne, l’État retire encore de ses domaines (qui ne comprennent pas seulement des forêts, mais des fermes, des mines, des usines, etc.) des revenus de plusieurs centaines de millions. En France, il ne lui reste guère que les forêts et un grand nombre de monuments improductifs. Le domaine privé de l’État représente cependant un capital considérable, 4 milliards environ (sans compter la nue-propriété des chemins de fer), et le domaine des départements et des communes presque autant, mais la plus grande partie ne rapporte rien en argent, étant affectée à des services publics. Le tout donne en revenu brut une cinquantaine de millions, mais qui se réduit de moitié si l’on tient compte des dépenses ce n’est donc qu’une goutte d’eau dans le budget.

Si la théorie de la nationalisation du sol (Voy. p. 529) devait recevoir un jour quelque application, si par exemple les pays nouveaux se réservaient dorénavant la propriété des terres publiques et ne les concédaient aux individus qu’à titre temporaire, on pourrait voir se reconstituer dans l’avenir des revenus domaniaux considérables qui permettraient à l’État d’abolir tout ou partie des impôts et c’est précisément un des arguments invoqués en faveur de cette doctrine. Tel est le système de M. Walras : abolition de tout impôt pesant sur l’individu, sur son travail ou sur les produits de son industrie : l’État vivant désormais uniquement sur la rente des terres qui constitueront (après rachat) son domaine propre[2].

§ 2. Bénéfices provenant d’industries et monopoles.

Pour que l’État pût se suffire à lui-même, il ne serait pas indispensable qu’il possédât, des domaines et vécût en propriétaire rentier ; on peut admettre aussi qu’il fonde une industrie ou un commerce lucratif et gagne ainsi sa vie comme un entrepreneur privé.

Cette branche de revenus, à la différence de la précédente qui tend à diminuer, tend à grandir de jour en jour en raison même du développement du socialisme d’État. En France, par exemple, l’État exerce les industries les plus variées il a le monopole de la monnaie, du tabac, de la poudre, des allumettes, des cartes à jouer il a seul le droit d’expédier toutes les correspondances postales, télégraphiques et téléphoniques en outre il fabrique, mais sans monopole, des porcelaines (Sèvres), des tapis (les Gobelins) : il est imprimeur (Imprimerie Nationale), journaliste (Journal Officiel) ; il exploite un réseau de chemin de fer (chemin de fer de l’État). Le tout réuni donne un produit brut de plus de 750 millions, mais comme il y inévitablement des frais très considérables, le produit net est de beaucoup inférieur et ne dépasse guère 350 millions. Plusieurs États, l’Allemagne notamment, possèdent leurs chemins de fer et en tirent un revenu considérable[3]. Beaucoup de municipalités (notamment aux États-Unis, en Belgique) exploitent directement des entreprises d’éclairage, d’eaux, de forces motrices, de tramways[4].

Cette catégorie de revenus a-t-elle l’avantage, comme les revenus domaniaux, de dispenser le contribuable de tout sacrifice ? Il faut distinguer. Si l’État ou la commune ne fait pas d’autres bénéfices que ceux que pourrait faire un simple particulier, il n’y a, en ce cas, aucun impôt. Mais si l’État ou la profite de sa situation de monopoleur pour vendre à des prix très supérieurs aux prix de revient, en ce cas le supplément de prix que doit payer le consommateur constitue évidemment un impôt déguisé. Dans certaines de ces exploitations qui ont un caractère d’utilité publique, comme celle des postes, par exemple, l’État ne cherche pas à gagner quelquefois même, comme aux États-Unis, il est en perte. Dans d’autres qui n’ont pas ce caractère (tabac, alcool), l’État, au contraire, tire de son monopole tout ce qu’il en peut tirer en élevant les prix de vente au maximum[5].

§ 3. — Taxes sur les objets de consommation.

Les revenus tirés du domaine ou des industries de l’État ne représentant encore, dans l’organisation économique actuelle, qu’une petite part du budget — 11 ou 12 % environ en France — il faut chercher une autre source de revenus. On en a trouvé depuis longtemps une très importante en frappant de droits certaines marchandises. Ceci s’appelle moins un impôt qu’une taxe, Sans doute il faudra bien que le consommateur la paie sous la forme d’un supplément du prix, mais elle a le double avantage : 1° d’être dissimulée dans le prix même de la marchandise, ce qui fait que le consommateur ne la sent pas ; bien rares les Français qui, en achetant 1 kil. de sucre à 1 fr., savent que la moitié de ce prix est pour le Trésor. Aussi les appelle-t-on en France contributions indirectes ; 2° d’être en quelque sorte facultative, en ce sens qu’on ne la paie qu’autant qu’on achète la marchandise imposée, et qu’au bout du compte on est libre de ne pas l’acheter du tout ou de ne l’acheter qu’en telle quantité que bon vous semble.

Il faut ranger dans la même catégorie les droits de douane qui ne diffèrent en rien des contributions indirectes. Ils paraissent à première vue avoir cette supériorité de faire payer l’impôt non aux nationaux, mais aux étrangers ; si c’était vrai, ce serait assurément l’idéal des impôts, malheureusement nous avons vu qu’il n’y avait là généralement qu’une illusion (Voy. p. 313).

Les contributions indirectes, en y comprenant les douanes, figurent dans les budgets de tous les pays pour une somme considérable, et dans celui de la France pour plus d’un milliard fr., soit près du tiers du budget. Les principaux articles taxés sont les alcools, vins et boissons, les sucres (indigènes ou coloniaux), le sel, le café, le pétrole. Mais le nombre des marchandises que l’on peut frapper ainsi est assez limité, car elles doivent, réunir ces deux conditions qui sont à certains égards contradictoires : 1° d’être d’une grande consommation, pour offrir une base suffisante à l’impôt ; 2° de ne pas être indispensables à l’existence, pour ne pas donner à l’impôt un caractère trop injuste.

§ 4. Taxes sur les actes.

Faute de marchandises, on a eu l’idée de frapper certains actes de la vie — tels que successions, aliénations, paiements, procès, etc. sous le nom de droits de mutation, d’enregistrement, de timbre, de greffe. Ces impôts aussi présentent cet avantage au point de vue fiscal de ne frapper qu’indirectement le contribuable, ou du moins de ne le frapper, qu’au moment où il en souffre le moins celui qui recueille un héritage, surtout s’il n’y comptait pas, peut sans trop de regrets en abandonner une partie à l’État[6] : celui qui achète une terre, sachant d’avance le montant des droits de mutation qu’il aura à payer, calcule son prix d’achat en conséquence le timbre de 0 fr. 40 centimes perçu sur toute quittance au-dessus de 10 fr. ne gêne ni l’acheteur parce qu’il s’imagine que c’est le marchand qui le paie, ni le marchand parce que celui-ci augmente son prix en conséquence, etc. Cependant ces droits ont de graves inconvénients au point de vue économique tout particulièrement les droits de mutation parce qu’ils gênent le transfert des terres et vont ainsi à l’encontre de la tendance vers la mobilisation que nous avons signalée (Voy. p. 522, 534).

Ils figurent dans le budget de la France pour une somme considérable près de 700 millions, plus du 1/5 du budget.

§ 5. — Impôts personnels.

Les diverses catégories de revenus fiscaux que nous venons de passer en revue ne fournissent guère, tout compte fait, plus de 3 milliards : or nous savons qu’il en faut 3 1/2. Il faut donc bien finir par nous attaquer directement au contribuable lui-même par un impôt personnel et nominatif.

Ici plus de détour ! l’État réclame au contribuable une somme déterminée et, en cas de refus de paiement, procède contre lui par la saisie et l’exécution. Aussi est-ce, de toutes les catégories d’impôts, celle qui paraît la plus lourde pour le contribuable et la plus vexatoire, et les gouvernements, de peur de se rendre impopulaires, évitaient-ils d’y recourir. Quand après la guerre de 1870, par exemple, il a fallu trouver en France 700 millions par an de ressources nouvelles, la presque totalité a été demandée aux contributions indirectes.

Mais tout annonce qu’un changement radical est en train de se faire dans les esprits et, chose curieuse, c’est précisément la même crainte de se rendre impopulaires qui pousse les gouvernements de nos jours à réduire les contributions indirectes pour demander la plus grande partie, et au besoin même la totalité des revenus publics, à l’impôt direct ! Voici l’explication de ce singulier revirement. On se préoccupe aujourd’hui beaucoup moins de chercher l’impôt le plus productif ou le moins vexatoire que de chercher l’impôt le plus conforme à la justice : on tend même à chercher dans l’impôt un moyen de corriger l’inégale répartition des richesses : en un mot on se place au point de vue social et politique plutôt qu’au point de vue économique et fiscal. Or l’impôt personnel présente a ce point de vue, sur tout autre mode de contribution, deux supériorités incontestables[7] :

1° Il est le seul, à raison de son caractère personnel, qui permette de répartir les charges proportionnellement à la situation de fortune des contribuables, le seul qui permette de faire payer aux riches plus qu’aux pauvres. Sans doute, même pour les contributions indirectes, un homme riche aura à supporter d’ordinaire une plus forte charge qu’un homme pauvre, par cette raison toute simple qu’un homme riche consomme davantage mais enfin il est clair qu’un homme qui jouit de 100. 000 fr. de rentes ne consomme pas cent fois plus de sel, ni même cent fois plus de sucre ou de vin[8] qu’un ouvrier qui gagne 1. 000 fr. par an, surtout si l’on suppose que cet ouvrier a une nombreuse famille ;

2° Au point de vue moral, le caractère personnel et désagréable de l’impôt direct doit être considéré comme une supériorité. Il est bon, en effet, il est indispensable même que chaque citoyen dans un pays libre sente directement, et de façon à ne pouvoir l’ignorer, les conséquences et le contrecoup de chaque dépense faite par l’État, c’est-à-dire par les représentants qu’il a nommés : c’est le meilleur moyen de faire son éducation politique.

La forme la plus naturelle de l’impôt direct, c’est l’impôt proportionnel sur le revenu. Si l’on pouvait déterminer exactement le revenu de chaque citoyen, il suffirait de calculer par une simple opération d’arithmétique quel est le tant pour cent qu’il faut prélever sur ce revenu pour suffire aux dépenses publiques, et l’on aurait ainsi, semble-t-il, un système fiscal d’une simplicité parfaite et d’une justice irréprochable[9].

Malheureusement, quand on en vient à l’application, on rencontre de graves difficultés, il est en effet extrêmement difficile de déterminer exactement le revenu de chacun. Pour cela, on n’a le choix qu’entre les moyens suivants : 1° s’en remettre à la déclaration des contribuables. Ce serait le meilleur système dans un pays où le niveau moral serait, très élevé, mais comme ces pays sont rares, il est fort à craindre

que les gens honnêtes ne paient pour ceux qui ne le sont pas, et qu’ainsi cet impôt qui paraissait le plus juste ne réalise au contraire le maximum d’injustice ; 2° taxer les revenus d’office, ce qui revient à dire, à l’aveugle ou si l’on procède à des investigations sur la fortune de chacun, il faudra, pour pénétrer ainsi dans le secret de la vie privée, employer des mesures singulièrement vexatoires ; 3° procéder par voie de présomption légale, c’est-à-dire évaluer le revenu d’après certains signes extérieurs, tels que logement, domestiques, chevaux, etc. mais aucun qui ne soit trompeur.

Néanmoins ces difficultés ne doivent pas être considérées comme insurmontables, car ce serait déclarer que la bonne foi et la vérité ne pourront jamais servir de base à un système d’impôts. Aujourd’hui chacun a une tendance à dissimuler sa fortune vis-à-vis de l’État et à l’exagérer vis-à-vis du monde, mais ces habitudes de mensonge, précisément parce qu’elles agissent en sens inverse, finiraient par disparaître si comme dans certains cantons suisses la situation de fortune de chaque personne était rendue publique. Au bout de quelques générations on saurait à peu près à quoi s’en tenir et personne n’aurait plus d’intérêt à dissimuler en plus ou en moins.

Au reste l’impôt sur le revenu existe déjà et fonctionne passablement dans un grand nombre de pays, notamment, en Allemagne, Hollande et en Suisse et même, pour certains cantons de ce dernier pays, sous forme progressive.

Au lieu d’établir l’impôt sur le revenu en bloc, ne pourrait-on l’établir sur chaque branche de revenu séparément ? Il semble que le résultat serait équivalent, à la condition de n’omettre aucune catégorie de revenus ; — qu’il serait plus facile à asseoir sur des renseignements précis, et qu’il aurait l’avantage (auquel le contribuable tient beaucoup trop, en France surtout) de laisser inconnu le chiffre total de ses revenus.

Il est vrai, mais ce système d’impôt sur les revenus présente cependant deux graves inconvénients :

1° Il est sujet d’ordinaire à répercussion et retombe ainsi non sur le capitaliste ou propriétaire, mais sur les consommateurs et la masse qu’on voulait épargner. L’impôt sur le revenu foncier retombe sur le prix des denrées, — l’impôt sur le revenu des maisons, sur les loyers, l’impôt des patentes sur le prix des marchandises, etc., — tandis que l’impôt général, global, comme on dit, sur le revenu, ne se répercute pas ;

2° Il équivaut à une confiscation partielle du capital et d’autant plus injuste qu’elle frappe seulement celui qui a la malechance de le posséder au moment où l’impôt est établi. Ainsi un impôt de 10 p. 0/0 sur le revenu foncier diminue la valeur du sol de 10 p. 0/0, l’impôt de 4 p. 0/0 sur le revenu des valeurs mobilières a diminué la valeur de chaque titre, action ou obligation de 4 p. 0/0 également, etc. Donc quant à ceux qui achèteront, après coup, la terre ou le titre, comme ils déduiront du prix d’achat le montant de l’impôt capitalisé, ils n’auront en réalité aucun impôt à payer. Tout se passe comme si l’État s’était attribué à titre de copropriétaire perpétuel la 10e ou la 30e partie de la valeur du capital et il n’y a que la part restante qui soit dans le commerce.

Cependant c’est le système qui existe en Angleterre sous le nom d’income-tax. C’est à peu près aussi celui qui a existé en France jusqu’à présent. Nous n’avons pas l’impôt sur le revenu, mais un certain nombre d’impôts sur les revenus qui n’en laissent pas beaucoup exempts[10].

Le tout réuni donne un peu moins de 500 millions.

Nous avons épuisé par là la liste des divers revenus publics[11]. S’ils suffisent, le budget est en équilibre : c’est parfait. Malheureusement il n’y a presque toujours dans les budgets, en dehors des dépenses ordinaires, des dépenses extraordinaires. On y fait face par l’emprunt et ceci nous amène directement à notre troisième chapitre.

    car la Société, représentée par l’État, devrait être l’héritière naturelle de tous les individus qui n’ont point disposé formellement de leurs biens. C’est en effet, grâce à la collaboration de tous, grâce à ce fonds social aidées, d’inventions, de moyens d’action et de transport, dont nous bénéficions tous, que chacun de nous a pu faire quelque chose et devenir propriétaire. Il est donc juste qu’à notre mort — mais seulement à défaut de toute autre personne à laquelle nous aurions délégué notre droit — nos biens retournent grossir ce patrimoine social d’où ils sont, dans une certaine mesure, sortis.
    Pourquoi « proportionnel » dit-on ensuite, ou plutôt dans quel sens faut-il entendre ce mot ? Les sacrifices sont-ils proportionnels quand un ouvrier qui n’a que 1.000 fr. de revenu paie 100 fr. tandis qu’un homme riche qui a 100.000 fr. de revenu paie 10.000 ? Non certainement, car le premier doit prélever les 100 fr. sur son nécessaire, tandis que le second se les prélève que sur son superflu et même son ultra-superflu. La vraie proportionnalité, sinon au point de vue arithmétique, du moins au point de vue économique, c’est celle qui fait varier non seulement le montant de l’impôt, mais le taux de l’impôt avec la fortune, qui par exemple ne demandera que 1 p. 0/0 à celui qui n’a que 1.000 fr. de revenu et 10 p. 0/0 à celui qui a 100.000 fr. de rentes. C’est là ce qu’on appelle l’impôt progressif.
    Cette thèse, très en faveur aujourd’hui dans les partis socialistes ou même radicaux, peut s’appuyer sur les théories nouvelles de la valeur et de l’utilité finale (Voy. p. 60), sur ce fait aussi que d’ordinaire les causes sociales et collectives contribuent davantage à la formation des grandes fortunes qu’à celle des petites et que par conséquent il est juste que les premières paient plus à la Société que les secondes : c’est une sorte de dette qu’elles acquittent. Nous ne verrions donc pas d’objection de principe contre l’impôt progressif, tant qu’il n’aurait d’autre but que d’établir une proportionnalité plus exacte que la simple proportionnalité arithmétique. — Mais si, ce qui est fort à craindre, il devait avoir pour but de rejeter sur les classes riches la totalité des dépenses publiques et d’en décharger complètement la classe salariée, il aurait au point de vue politique des conséquences déplorables : en effet, par suite du suffrage universel, ce sont ces classes là, en fin de compte, qui gouvernent or le premier principe de tout gouvernement c’est que celui qui gouverne doit subir la responsabilité de ses actes. Sinon, on ressuscite, en le renversant, le privilège de l’ancien régime qui exemptait d’impôt les classes gouvernantes, les nobles et le clergé (Voy. Seligman, Progressive Taxation. — Mazzola, L’imposta progressiva et pour la progressivité, le livre du professeur Denis de Belgique, l’Impôt).

  1. La théorie économique de l’impôt comprend deux grandes questions. La première est celle de savoir à quel titre l’impôt est perçu par exemple, si on doit le considérer strictement au point de vue économique comme le prix d’un service rendu par l’État au citoyen, vu au point de vue moral, comme une obligation naturelle de l’individu vis-à-vis de la Société, et la distinction est fort importante au point de vue des conséquences qu’on en peut tirer (par exemple pour l’impôt progressif). La seconde, célèbre sous le nom de la répercussion de l’impôt, est celle de savoir qui est effectivement frappé par l’impôt ce n’est.pas toujours en effet celui qui doit le payer légalement le plus souvent, au contraire, celui-ci le rejette sur d’autres (le propriétaire de maison rejette l’impôt foncier sur ses locataires, le marchand rejette l’impôt des patentes sur ses clients, etc.). Voy. pour ces difficiles questions, que nous ne pouvons aborder dans cet appendice qui est un exposé tout à fait sommaire : — Cauwès, op. cit., p. 265, 415. Mazzola, Dati scientifici delle finanze, — Seligman, On the shifting and incidence of taxation, avec une bibliographie très étendue du sujet.
  2. Voy. pour toutes les conséquences que M. Walras attend de ce système, au point de vue de la répartition des richesses, son Économie sociale.
  3. En Suisse l’État (la Fédération) va probablement racheter tous ses chemins de fer. En France, l’État est l’héritier désigné de toutes les grandes Compagnies de chemin de fer de France, héritage qui vaut à ce jour une douzaine de milliards de francs au moins, et qui doit lui échoir vers le milieu du prochain siècle (puisque c’est à cette époque qu’expirent les concessions) — s’il ne l’a pas mangé par anticipation d’ici là.
  4. On a proposé récemment a l’État de prendre en main une exploitation commerciale qui ne lui rapporterait pas moins d’un milliard par an ! à savoir la vente de l’eau de vie. Ce projet, dont l’auteur est M. Alglave, professeur de science financière à la Faculté de Paris, a été écarté en France ; mais la Suisse et la Russie sont entrées dans cette voie.
    Que l’État se fasse débitant d’eau de vie, c’est très discutable, mais pour certaines branches d’industries qui, par leur nature, ne peuvent prendre que la forme de monopoles, mieux vaut qu’elles soient monopolisées au profit de tous que monopolisées au profit d’individus ou de compagnies —par exemple pour l’État les postes, télégraphes, chemins de fer, banques d’émission pour les villes : l’éclairage au gaz ou à l’électricité, les omnibus et tramways, l’eau comme boisson ou comme force motrice. Il ne faut voir ici du reste qu’une forme particulière de la coopération quand il s’agit de pourvoir à des besoins spéciaux à certaines personnes, c’est le domaine de la coopération libre quand il s’agit de pourvoir aux besoins de tous, c’est le domaine de la coopération municipale ou nationale.
  5. Le tabac en France donne 318 millions fr. de produit brut (plus d’un million par jour !) sur lesquels 305 de produit net.
  6. Ce n’est qu’autant que tes droits sur les successions sont assez modérés qu’ils peuvent être rangés parmi ces taxes. S’ils arrivent à représenter une véritable quote-part de la succession ou même (en cas de déchéance) la succession entière, en ce cas ils prennent un tout autre caractère et doivent être considérés comme un impôt direct sur le capital que nous verrons dans le § suivant.
  7. On peut signaler d’ailleurs une tendance générale à substituer le caractère personnel au caractère réel. Nous l’avons déjà signalée à propos du crédit (p. 329, note 2) et dans la conception même de la science économique (Voy. p. 3). Nous voyons là un progrès incontestable au point de vue moral.
    Remarquez que dans les sociétés primitives on ne connaît guère que l’impôt personnel (en dehors du revenu domanial qui n’est pas un impôt). Encore un nouvel exemple de cette évolution régressive que nous avons eu souvent l’occasion de signaler (p. 280, note 1).
  8. Il est très possible qu’il dépense cent fois plus en vin que l’ouvrier, parce qu’il en boit de meilleur, mais nous disons seulement qu’il n’en consomme pas davantage. Or, les droits en général ne sont pas proportionnels à la valeur des objets consommés, mais seulement à leur quantité : le vin de Château-Laffite ne paie ni plus ni moins de droits que le vin de
  9. Cependant cette formule n’est pas unanimement acceptée et les deux termes sont fort controversés.
    Pourquoi sur « le revenu », dit-on d’abord, et non pas plutôt sur le capital ? En effet, le capital peut être pris comme base pour certaines richesses qui ne produisent pas de revenus (terrains à bâtir, parcs, châteaux, galeries de tableaux, diamants, etc.), mais étendue à la généralité des richesses, cette base serait tout à fait illogique par la raison bien simple que pour la plupart des richesses, terres, maisons, valeurs mobilières, la valeur du capital n’est déterminée que par le montant du revenu:il est donc bien plus simple de frapper directement le revenu. On dit, il est vrai, que le capital, représentant la richesse déjà créée, doit être frappé de préférence au revenu qui représente la richesse en voie de formation ? Mais il est facile de donner satisfaction à ce qu’il peut y avoir de fondé dans cette critique, en taxant les revenus du capital à un taux plus élevé que les revenus du travail. Il est certain qu’on doit établir une différentiation des revenus suivant leur origine; le revenu du capital doit être plus frappé que celui du travail non pas précisément parce que le premier serait moins légitime que le second, mais parce qu’il est perpétuel tandis que l’autre est viager.
    Il est une forme d’impôt direct sur le capital fort prôné (notamment par Godin le fondateur du Familistère de Guise) : c’est une part héréditaire dévolue à l’État quand il y a des héritiers directs, et même l’hérédité totale quand il n’y a que des collatéraux. Il nous paraîtrait très légitime dans le cas de succession ab intestat et quand il n’y a que des parents éloignés, par exemple au delà du 4e degré (cousins-germains), cabaret, et si injuste que paraisse cette égalité-là, on ne voit guère le moyen pratique de faire autrement, à moins d’autoriser les contrôleurs des contributions indirectes à déguster chaque barrique avant de la taxer.
  10. On voit que les seuls importants qui soient exempts sont les rentes sur l’État et les traitements des fonctionnaires. Pour les premiers on a pensé que puisque c’est l’État qui doit les payer en tant que débiteur, le fait d’en retenir une partie à titre d’impôt constituerait une sorte de banqueroute partielle. D’ailleurs si l’État en France, a diverses reprises, en émettant des emprunts a promis que les rentes ne seraient pas frappées d’impôt — Et pour les seconds, on a pensé que puisque l’État en définitive est bien obligé de payer un traitement suffisant à ses fonctionnaires, il serait assez inutile qu’il retînt d’une main ce qu’il donne de l’autre.
    Voici les cinq impôts les plus importants sur les revenus :
    1° L’impôt foncier, qui frappe le revenu de toute propriété sur le sol, bâtie ou non.
    2° L’impôt des portes et fenêtres, qui porte spécialement sur les maisons et est calculé principalement d’après le nombre des ouvertures, mais il
  11. Nous n’avons parlé que des revenus publics de l’État. Ceux des communes et des départements sont fort importants cependant, puisqu’ils dépassent 1 milliard (il y a, il est vrai, quelques doubles emplois avec ceux de l’État). — Les deux sources principales de leurs revenus sont les octrois, qui donnent 300 millions environ (dont la moitié rien que pour Paris) et les centimes additionnels, qui donnent 360 millions (moitié pour les communes, moitié pour les départements). Les centimes additionnels sont un tant pour cent qui est ajouté au principal des quatre contributions directes et qui est perçu en même temps que ces impôts. Quant aux octrois, tout le monde sait que ce sont des droits perçus à l’entrée des villes, particulièrement sur les denrées alimentaires, le combustible, le fourrage, etc. Ils sont depuis quelque temps vivement attaqués, à peu près par les mêmes arguments que ceux que l’on fait valoir contre les contributions indirectes, et ne tarderont pas sans doute à être supprimés.