Poésies (Amélie Gex)/Une Morte

Claude-Paul Ménard Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 123-125).

UNE MORTE.



De la jeunesse, de la jeunesse

Un chant me revient toujours !

Ruckert.


Ami, la morte que je pleure
Mourut un doux soir de printemps,
Toujours, toujours, depuis ce temps,
Son souvenir en moi demeure…

Il semble que je vois encor
L’éclair de son jeune sourire
Et le rayon qui venait luire
Parfois sur ses longs cheveux d’or.

Si vous saviez qu’elle était belle,
Ami, la morte que j’aimais !
Je ne la verrai plus jamais,
Ma joie est partie avec elle.

Elle avait l’azur dans les yeux,
Au cœur l’amour, au front le rêve,
À sa bouche, comme une séve,
Montait le baiser radieux.


Sa main se tendait confiante,
Sans soupçonner l’ami trompeur ;
Elle allait, sans haine et sans peur,
Simple, crèdule et souriante…

Elle voulait de tout un peu :
Elle aimait le rire et les larmes,
Parfois l’amour, parfois les armes,
La femme au bal et l’or au jeu.

Le soir sur quelque beau nuage
Ensemble nous allions rêver…
Cent fois, sans pouvoir l’achever,
Nous reprenions notre voyage.

Si j’étais triste elle disait :
— Buvons, ami, ta coupe est pleine,
Buvons la vie à longue haleine ! —
Et son espoir me séduisait…

Ses blanches ailes de colombe
Je ne les verrai plus jamais,
Et de la morte que j’aimais
Mon pauvre cœur n’est que la tombe ! —

Sans trop songer au lendemain,
Tous deux, nous allions par le monde
Comme si tout l’or de Golconde
Tenait dans le creux de sa main !


Libres et fiers, buvant l’eau pure
Du fleuve bleu de l’idéal,
Nous passions… ne sentant du mal
Ni le venin, ni la morsure…

Elle savait tant de chansons
Sur les bois, l’amour et les roses
Que ses deux lèvres n’étaient closes
Qu’à l’heure où dorment les pinsons…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Et maintenant, quand sur ma route,

Las et courbé par le chagrin,
J’entends quelque jeune refrain,
Comme un souvenir, je l’écoute…

Mais rien ne peut me rendre, hélas !
Cette chère voix bien aimée,
Et cette bouche refermée,
Muette, dort sous les lilas !

Ami, la morte que je pleure
Mourut un doux soir de printemps,
Toujours, toujours, depuis ce temps,
Son souvenir en moi demeure !

Je ne la verrai plus jamais
La radieuse enchanteresse
Car, ami, c’était… ma jeunesse
La belle morte que j’aimais !…