Poésies (Amélie Gex)/Je te revois encor, pauvre chère maison

Claude-Paul Ménard Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 121-122).

Al di che füro con la mente riedi.
Alcardo Aleardi.


Je te revois encor, pauvre chère maison,
Que les vents habitaient dans la froide saison !
Le toit rouge où le givre, en hiver, étincelle ;
La gouttière où s’abreuve, en été, l’hirondelle ;
Le vieux volet qui geint sur le gond tout rouillé ;
Le mur gris qui se fend par le temps éraillé…
Je revois la fenêtre où la vitre irisée
Se mouillait, au matin, d’une larme rosée ;
Le cep dont les rameaux, tout chargés de raisins,
En festons tortueux, grimpaient chez nos voisins ;
Et l’escalier branlant toujours veuf d’une marche ;
Et le noyer courbé comme un vieux patriarche ;
Le jardin, le verger, la fontaine, l’étang,
Les deux saules pleureurs où s’abritait un banc.
Ô matins pleins d’azur ! ô beaux soirs pleins de rêves !
Ô soleil d’autrefois, tout joyeux tu te lèves
Quand mon regard se plonge en ces brumeux lointains
Où dort le souvenir des bonheurs enfantins !


Oh ! qui nous les rendra cès heures envolées !
Les blanchies visions de nos nuits étoilées !
Le mirage doré d’un espoir triomphant
Qui planait, doux rayon, sur notre front d’enfant !
Qui nous rendra ces jours de paix et de lumière !…
Le baiser maternel ouvrant notre paupière
À l’heure où le soleil, frappant à chaque seuil,
Eveille pour chanter le merle et le bouvreuil !…

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Vous, les anges du rire, ô chères têtes blondes,

Enfants qui vous lassez en courses vagabondes
À poursuivre à travers les ondoyants sillons,
Dans leur vol inégal, tous les bleus papillons,
Savez-vous le bonheur qu’un de vos cris rappelle
À l’âme qui souvent sous la douleur chancelle,
Et quelle aube sereine, un instant, plane et luit
Sur le front du penseur quand, à votre doux bruit,
Le vent du souvenir sur ses ailes lui porte
Les parfums oubliés de sa jeunesse morte !