Poésies (1820)/Élégies/La jeune Épouse

PoésiesFrançois Louis (p. 99-100).


LA JEUNE ÉPOUSE.


« Que je suis heureuse avec toi !
Que mon âme est contente, et que ma vie est pure !
Ainsi coule un ruisseau sous le ciel qui l’azure ;
Ainsi devrait couler le règne d’un bon roi.
Je voudrais en voir un ! je voudrais… Mais qu’importe ?
Ce n’est pas aux bergers d’en approcher jamais.
Aux champs, du Roi des rois nous sentons les bienfaits ;
Les autres n’y vont pas ; le torrent les emporte ;
Il m’effraie. — Ah ! laissons le cours de nos beaux ans
Se perdre sans éclat dans une paix profonde !
Tu crains le bruit, je crains le monde ;
Et l’écho me déplaît s’il n’a tes doux accens !
Mais que j’aime à l’entendre au loin dans la prairie,
Dès qu’il vient m’annoncer le déclin d’un beau jour,
Qu’il m’apporte ces mots avec ta voix chérie :
Voici la nuit ! voici l’Amour !
Au-devant de tes pas je me jette dans l’ombre ;
Je demeure attachée à tes bras caressans ;
Et, dans nos transports ravissans,
Je ne sais s’il fait jour, s’il est tard, s’il fait sombre :

Il fait beau ! tout est calme, et je vois dans ton cœur ;
Je sens que ton regard est plongé dans mon âme ;
Mes soupirs l’ont mêlée à ton souffle de flamme,
Et nous avons tous deux exprimé le bonheur.
Le bonheur !… Quand le ciel nous en donna le gage,
Le ciel en avait fait ton portrait gracieux ;
Mais, comme un jeune oiseau s’envole avant l’orage,
L’Ange, avant de souffrir, retourna dans les cieux ! »

Voilà comment parlait une bergère,
Heureuse épouse, et malheureuse mère !
Son plus doux rêve est, dit-elle, un miroir
Où chaque nuit un Ange vient se voir.
Du jeune époux l’espérance craintive
Confie à Dieu sa prière naïve ;
Et le baiser du soir, qui charme les douleurs,
Unit leur âme, et s’éteint dans les pleurs.