Poésies (1820)/Élégies/L’Hirondelle et le Rossignol


L’HIRONDELLE ET LE ROSSIGNOL.


Prête à s’élancer, joyeuse,
Aux libres plaines des cieux,
L’Hirondelle voyageuse
À la saison pluvieuse
Jetait un long cri d’adieux ;
Sous un chêne solitaire
Elle entend le Rossignol ;
Sa voix lui fut toujours chère ;
Et la jeune passagère
Écoute, et suspend son vol ;
Elle recueille, attentive,
L’accent qui cherche le cœur ;
Mais ce chant qui la captive,
Dans sa mesure moins vive,
N’exprime plus le bonheur !

« À quoi rêvez-vous ? dit-elle ;
« Les zéphyrs sont au beau temps :
« Sur la rive maternelle
« Le doux printemps vous appelle ;
« N’aimez-vous plus le printemps ?…

« — Sauvez-vous, pauvre petite,
« Sans me demander pourquoi
« J’ai choisi ce sombre gîte :
« L’oiseleur, qu’en vain j’évite,
« Vous l’apprendrait mieux que moi. »

Alors autour du grand chêne
Elle entrevoit des réseaux ;
Gémissante, et hors d’haleine,
Elle veut briser la chaîne
Du roi des petits oiseaux :

« Vous n’êtes pas assez forte,
« Dit-il, mais consolez-vous :
« Du monde il faut que tout sorte ;
« Dieu n’y plaça qu’une porte,
« Et la Mort l’ouvre pour tous ;
« Sous cette loi simple et juste
« On voit passer tour à tour
« L’oiseleur, l’oiseau, l’arbuste,
« Les rois et leur race auguste :
« J’y passerai donc un jour.
« Mais des rois l’ombre incertaine
« Demande grâce souvent
« Au destin qui les entraîne :
« L’oiseau blessé qui s’y traîne,

« Se repose en arrivant.
« Là de la flèche empennée
« Tous les traits sont amortis ;
« Et la mère infortunée,
« Libre et désemprisonnée,
« Chante auprès de ses petits !
« Si votre pitié naïve
« Ne craint pas de nouveaux pleurs,
« Cherchez au bord de la rive
« Une feuille fugitive
« Où sont gravés mes malheurs ;
« Un ami de la nature
« Voulut les y peindre en vers ;
« Son âme éloquente et pure
« Puise au fond de ma blessure
« Des leçons pour l’univers.
« On les retiendra sans peine ;
« Son nom sera leur appui ;
« L’écho partout le promène ;
« Je crois que c’est La Fontaine :
« Car il écrit comme lui. »

Sous l’ombre mystérieuse
La feuille alors murmura ;
Et, long-temps silencieuse,

Plus triste que curieuse,
L’Hirondelle soupira.

« Adieu donc ! s’écria-t-elle,
« Puisqu’il faut partir sans vous !
« Puisse une feuille nouvelle
« Quelque jour à l’Hirondelle
« Révéler un sort plus doux ! »