Apparition (1895)
PleureusesErnest Flammarion (p. 169-170).
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APPARITION


Hélas, si nous savions la fin de la journée…


Quand la chute du soir, grande tempête nue,
Dépouille les maisons au bord de l’avenue,
Quand dans la chambre faible, à l’heure sans abri,
Le fond du cœur est vague et désert comme un cri,
Quand la rumeur se tait laissant dormir tranquilles
Les grands rêves lassés comme les grandes villes
Et que tout front en deuil s’incline dans un coin,
Je te vois t’ébaucher, rêve qui viens de loin.
Et le blême décor, lorsque sur tes vieux charmes,
Tes voiles, on dirait, tombent comme des larmes,

C’est le jour malheureux, c’est le jour de longueur,
C’est le jour et le soir, pauvres frères sans cœur !
Ton front lent et brouillé n’est plus qu’un blanc vestige.
Ton œil n’est plus que triste ainsi qu’un vieux vertige,
Et sur ta lèvre pâle à l’ancien pli moqueur
S’entr’ouvre doucement le sanglot de ton cœur…
Et je vois la douleur qui vit sous ta paupière
Tomber de tes grands yeux comme un peu de lumière.
Tu viens, très malheureuse, au foyer qui fut tien,
Tu me tends vaguement ta main qui ne peut rien
Et dans tes yeux ternis à peine l’on devine
Le fragile rayon dont ma lampe est divine.
Puis tu t’en vas toujours, souffrance du dehors.

Douleur pâle du ciel dont tous les jours sont morts,
Angoisse du passé toujours inassouvie,
Reste, douce et paisible, au grand seuil de ma vie
En remuant ton voile avec tes doigts tremblants :
Reste douce et paisible avec tes cheveux blancs.