Petit Dictionnaire de l’Ancien Français/Avant-propos


Librairie Garnier Frères (p. 5-6).


AVANT-PROPOS




Il existe de la vieille langue française deux dictionnaires assurément très précieux, celui de La Curne de Sainte-Palaye et celui de Frédéric Godefroy, mais d’un maniement encombrant (ils ont chacun 10 volumes in-4o) et d’une acquisition difficile à cause de leur rareté et de leur prix — au surplus incomplets et muets sur bien des points qui nous intéressent aujourd’hui : l’étymologie et la filiation des sens[1].

D’autre part, surtout à notre époque, pour éviter la peine de recourir à ces gros ouvrages, les éditeurs d’œuvres particulières ont accompagné celles-ci de glossaires spéciaux (comme l’excellent lexique de la Chanson de Roland, par Clédat, comme celui du Roman de la Rose, par Langlois, etc.) ; mais ces glossaires par définition ne servent que pour l’ouvrage en question qu’ils complètent, traduisant au fur et à mesure chaque mot avec le sens qu’il a dans le passage cité, sans vue générale ni méthode rigoureuse. Beaucoup de ces glossaires dans les éditions Champion, accompagnés d’ailleurs d’excellentes notes critiques, sont tout à fait déficients pour quantité de mots et les explications indispensables ; de sorte que ceux qui étudient ces ouvrages sont à chaque instant obligés de recourir aux gros dictionnaires, d’où il résulte une perte de temps fâcheuse et des difficultés de tout genre : les candidats à l’Agrégation en savent quelque chose.

D’excellents ouvrages de détail, comme la Chrestomathie de Bartsch, remarquable par des renseignements grammaticaux et dialectaux ; comme celle de L. Constans, où figure en plus un essai d’étymologie ; comme celle aussi de Clédat qui, en plus de notes étymologiques, donne quelques explications et toutes les formes de conjugaisons intéressantes, constituent un grand progrès, mais ne suffisent que pour les morceaux choisis qu’ils contiennent.

Le besoin se fait de plus en plus sentir d’un ouvrage d’ensemble comprenant le plus de mots possible ; à cet égard le lexique ou abrégé du grand dictionnaire de Fr. Godefroy, par J. Bonnard et Am. Salmon, publié en 1901, a rendu d’éminents services. Mais ce lexique qui ne donne que le sens des mots sans souci de leur étymologie prouvée par la phonétique, sans notes morphologiques ni formes dialectales dont les œuvres abondent, tout en étant assez volumineux, ne laisse pas que d’être fort insuffisant et incomplet. L’innovation la plus utile de ce répertoire consiste dans le grand nombre d’expressions et de locutions qu’il cite.

Depuis longtemps je me suis demandé s’il ne serait pas possible de composer un dictionnaire qui contînt la plupart des qualités de ces ouvrages, en complétant les lacunes qu’ils présentent ; je sais qu’un livre de ce genre est demandé par tous ceux qui étudient le vieux français, à l’étranger comme en France. Je me suis donc efforcé de réunir, dans un livre relativement court et facile à manier, les termes les plus usités, le meilleur et le plus indispensable paru jusqu’ici dans les ouvrages généraux et de détail. J’y ajoute, à titre personnel :

1o Une étude approfondie de l’étymologie, grâce à une méthode rigoureusement scientifique, qui m’a permis de découvrir un bon nombre d’étymologies encore ignorées ;

2o Un exposé de toutes les formes de déclinaison et de conjugaison aux différentes époques ;

3o La citation, l’explication au besoin, des variantes dialectales ou orthographiques ;

4o Quantité de locutions et d’expressions à propos de chaque mot, en mettant largement à contribution, outre celles rencontrées dans mes lectures, celles qui figurent dans Bartsch et dans le lexique Bonnard et Salmon ;

5o La disposition des sens des mots dans l’ordre à la fois logique et chronologique.

Je me considérerais comme amplement récompensé de ma peine, si ce « petit dictionnaire » pouvait contribuer à répandre dans le public français le goût de notre vieille langue qui déjà au XIVe siècle était cultivée dans tous les pays de l’Europe, et la lecture de notre littérature du Moyen Age, littérature aussi riche que variée et intéressante, mais à peu près ignorée chez nous.


Besançon, le 28 décembre 1939.H. V. D.

  1. Le Dictionnaire Frédéric Godefroy vient d’être réimprimé tel quel, sans addition ni changement.