Pendant l’orage/Un vieux portrait

Librairie ancienne Édouard Champion (p. 97-98).

UN VIEUX PORTRAIT



29 janvier 1915.


Christophe Dupuy, le frère de l’historien, a écrit au XVIIe siècle un recueil des opinions et des conversations du cardinal du Perron, qui mérite probablement peu de crédit, mais qui n’en est pas moins fort curieux, même quand il serait plutôt l’expression de l’esprit de Dupuy que l’expression de l’esprit du cardinal. Mais ceci est un point sans importance pour le moment. Ce recueil, Perroniana, nous intéresse parce qu’il contient un portrait du caractère allemand. N’ayant pas le volume sous la main je cite d’après un des collaborateurs de l’Intermédiaire. C’est à propos des diverses nations de l’Europe : « La plus curieuse et la plus brutale nation, à mon gré, c’est l’Allemande, ennemie de tous les étrangers ; ce sont des esprits de bière, et de poisse, envieux de tout ce qui se peut ; c’est pour cela que les affaires se font si mal en Hongrie : car ils portent envie aux étrangers et sont marris quand ils font bien, et pour eux ils ne font rien. Si un Français ou un Italien sort à l’écart, ils le tuent, cela est assuré. Les Anglais encore sont plus polis de beaucoup, la noblesse est fort civilisée, il y a de beaux esprits. Les Polonais sont honnêtes gens, ils aiment les Français et ont de beaux esprits : les Allemands, leur veulent un grand mal. » On voit que le caractère des nations change peu. « Esprits de bière et de poisse », esprits lourds et gluants, esprits pâteux et sans initiative, tels ils furent toujours et tels ils resteront éternellement. À propos d’esprit de bière et de poisse, je ne puis m’empêcher de remarquer avec quelle vérité et quelle verdeur, quelle hardiesse aussi, le moindre des écrivains du xviie siècle manie sa langue. C’est le charme de ces gens à perruque que leur pensée est presque toujours aussi nette que leur verbe est original.