Librairie ancienne Édouard Champion (p. 75-76).

CALMANTS



8 janvier 1915.


Il est un moyen de mieux supporter nos ennuis présents, c’est de les comparer à ceux de tels de nos contemporains qui semblaient encore moins que nous destinés à pâtir de la guerre. Edison, dont le laboratoire a été détruit par un incendie, qui a éprouvé là de grosses pertes, se dit, paraît-il : « Qu’est-ce que ce malheur auprès des déceptions qu’a déjà éprouvées le Kaiser, auprès de celles qu’il éprouvera encore ? Malgré tout, je suis encore plus heureux que lui. » C’est là une méthode qui a été de tout temps enseignée par les philosophes. Il faut toujours comparer son état présent à l’état des hommes qui nous apparaît comme le pire. Presque ruinés et prêts à désespérer, regardons du côté de ceux qui le sont absolument et non du côté de ceux qui sont prospères. Notre amertume en sera notablement diminuée. On trouve toujours un plus malheureux que soi et, si on ne le trouvait pas, on peut toujours l’imaginer. Mais en ces temps, on n’a pas besoin, hélas, si à plaindre que l’on soit, de faire appel à son imagination pour trouver plus à plaindre que soi-même. Il suffit de regarder à droite ou à gauche pour être bientôt forcé de convenir qu’on est parmi les privilégiés. Si la vie est le plus précieux bien, ce qui n’est pas toujours sûr de la vie toute nue, pensez à ceux qui sont morts ; mais si vous ne la concevez pas sans la richesse, pensez à ceux qui se sont réveillés un matin ruinés sans phrase ; s’il vous faut qu’elle s’écoule dans un pays libre et pacifique, pensez aux Belges ; vous n’en êtes pas et vous pourriez en être. Il y a là des millions de malheurs qui vous ont été épargnés. Je reconnais que la méthode n’est pas, en somme, très satisfaisante, le malheur d’autrui pouvant fort bien accroître le vôtre, mais par le temps présent, je n’ai pas mieux à vous offrir. Pensez aux Belges.