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pauvre république qui ne sait pas se gouverner elle-même. On dit, dans Genève, que M. le duc de Praslin enverra M. le marquis de Castries. Si c’est un bruit faux, comme je le crois, je ne vois pas pourquoi le résident de France ne serait pas nommé médiateur. Il me semble que les lois en seraient plus respectées et la paix mieux affermie, quand le médiateur, restant résident, serait en état de faire aller la machine qu’il aurait montée lui-même.

De plus, M. Hennin, étant déjà très au fait du sujet des dissensions, serait plus capable que personne de concilier les esprits. Enfin c’est une idée qui me vient ; il ne me l’a point du tout suggérée, et je vous la soumets ; voyez si vous voulez en parler à M. le duc de Praslin.

Il y a quelques têtes mal faites dans Genève, qui trouvent mauvais, dit-on, qu’on ait consulté des avocats de la petite ville de Paris sur les affaires de la puissante ville de Genève ; on prétend même qu’elles veulent engager Crommelin à s’en plaindre. Je ne crois pas qu’elles veuillent pousser le ridicule jusque-là. Je n’ai d’ailleurs rien fait que sur les prières des meilleurs citoyens, je n’ai agi que dans des vues d’impartialité et de justice ; et cela est si vrai que je me suis adressé à vous.

En voilà assez pour Genève ; venons à l’autre tripot. Il se peut faire qu’en lisant rapidement la copie d’Adélaïde du Guesclin, que Lekain m’avait envoyée, et la voyant en général assez conforme à un exemplaire que j’avais, je n’aie pas fait assez d’attention à ces deux malheureux vers qui feraient tomber Phèdre et Athalie :


Gardez d’être réduit au hasard dangereux
Que les chefs de l’État ne trahissent leurs vœux[1].


Je n’aurais pas fait de pareils vers à l’àge de quatorse ans ; on a fait une coupure en cet endroit. Il se peut que cette coupure ait été faite autrefois pour une seconde représentation, et qu’on ait cousu ces deux vers diaboliques pour attraper la rime.

Quand je les ai vus imprimés, j’ai été sur le point de m’évanouir, comme vous croyez bien. Si vous voyez Lekain, je vous prie de lui peindre le juste excès de ma douleur. Je suis bien loin de l’accuser de ce sanglant affront, j’en rejette l’opprobre sur Quinault[2], et sur qui on voudra ; mais je prie Lekain instamment

  1. Voyez lettres 6168 et 6182.
  2. Quinault-Dufresne était retiré du théâtre depuis 1741 ; mais c’était lui qui