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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


obtint, à cette même époque, un résultat considérable.

Ce n’est pas qu’il n’éprouve un vif regret de ses propositions rejetées, de sa laborieuse enquête compromise en quelques heures. Mais il juge, en homme pratique, et qui n’a rien d’un sentimental, « qu’il n’y a rien à faire pour le moment[1] ».

Picquart, en signalant l’erreur judiciaire de 1894, a obéi au cri de sa conscience[2] et, aussi, à cette politique prévision que, si l’initiative de la réparation ne vient pas des chefs de l’État-Major, il en résultera « une crise fâcheuse », une « situation inextricable[3] ». À rechercher la vérité et à réclamer la justice, il a cru « rendre un grand service à son pays et à l’armée[4] » Il a plaidé alors cette cause, plein de confiance d’abord, puis avec le sentiment très net qu’en tenant ce langage, « il dessert plutôt ses intérêts[5] ». L’idée d’agir autrement lui eût fait horreur.

Mais, en même temps, il aime passionnément son métier, cette armée à qui il a donné plus de vingt années de sa vie[6] ; et il n’a pas renoncé encore à ses rêves d’ambition. Donc, il se conforme strictement aux ordres de ses chefs, aux défenses qu’il reçoit d’eux. Et il continuera à s’y conformer, par cette habitude d’obéissance qui est devenue pour lui, comme pour tout soldat, une seconde nature. Il sait ce dont est capable la sourde rancune d’un supérieur tout-puissant. Peut-être compte-t-il aussi sur le hasard.

Les hommes sont ce que la nature et l’éducation les

  1. Rennes, I, 447, Picquart.
  2. Procès Zola, I, 321, Picquart.
  3. Lettres du 8 et du 14 septembre 1896 à Gonse (Voir p. 344 et 357).
  4. Procès Zola, I, 365, Picquart.
  5. Ibid., 321, 322, Picquart.
  6. Ibid., 365,. Picquart.