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gner chaque pied du cheval ; mais qu’on se rappelle les noms donnés par les chasseurs allemands aux oreilles et aux pattes des animaux (p. 101). Un voyageur anglais reproche à une langue de non-civilisés d’employer le même mot pour aimer quand il s’agit d’un ami ou d’une chose comestible ; cet Anglais voit la chose à travers sa propre langue, qui distingue to love et to like ; mais alors les Français sont des sauvages, puisqu’ils disent indifféremment aimer une femme et aimer la choucroute !

Dans certaines langues non-civilisées, les femmes sont mises, pour le genre, au rang des choses inanimées. Voilà qui est monstrueux ; mais il y a mieux encore. Nous connaissons une autre langue où un verbe transitif, tel que tuer, aimer, a son régime direct au génitif s’il s’agit d’êtres animés, et à l’accusatif pour les objets inertes. On tue un homme, un bœuf, un cheval, au génitif ; on détruit un mur, on lance une flèche, de la boue, à l’accusatif. Le plus curieux de l’affaire est que la femme est classée parmi les choses inanimées : on ne peut pas la tuer comme un bœuf, au génitif ; elle n’a droit qu’à l’accusatif, comme la boue ; pour bénéficier du génitif, il faut qu’elles soient plusieurs : la quantité compense la qualité. Et si un animal, comme