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L’INSTRUCTION DES MARCHANDS AU MOYEN ÂGE

écoles publiques qui étaient loin d’avoir disparu, la connaissance non seulement de la lecture et de l’écriture, mais même celle du calcul et des rudiments du droit. L’extrême abondance du papyrus employé en Gaule jusqu’au commencement du viiie siècle, atteste d’une manière frappante combien la pratique de l’écriture y était répandue, et ce serait faire preuve d’un parti pris vraiment excessif que de se refuser à croire que les marchands s’y soient initiés[1]. Si l’indigence de nos sources ne nous permet pas d’apporter des preuves décisives, la vraisemblance doit suffire à notre édification. De l’identité du commerce mérovingien avec le commerce des temps antérieurs, on doit inférer l’identité de la culture des hommes qui se sont adonnés à celui-ci comme à celui-là.

Mais il est évident que cette culture ne pouvait durer plus longtemps que les conjectures économiques dont elle était la conséquence nécessaire. Lorsque l’Islam, au commencement du viiie siècle, eut achevé de soumettre à sa domination les rives de la Méditerranée, de la Syrie à l’Espagne, la mer qui, depuis l’aurore de l’histoire, n’avait cessé d’entretenir le contact entre l’Occident et l’Orient de l’Europe, ne fut plus pour de longs siècles qu’un vaste fossé les séparant l’un de l’autre. Grâce à sa flotte, l’Empire byzantin parvint à conserver la maîtrise de la mer Égée et de l’Adriatique, mais sa navigation ne put plus rayonner jusqu’à la mer Tyrrhénienne. Celle-ci fut désormais un lac musulman, et elle le devint davantage à mesure que l’Islam s’empara de ses îles et édifia sur le côte d’Afrique et en Sicile de puissantes bases navales[2].

Ce renversement complet des conditions qui avaient jusqu’alors déterminé l’évolution de la civilisation européenne eut pour résultat de substituer en Occident à l’économie antique, qui avait survécu à l’invasion des Germains, l’économie au milieu de laquelle s’ouvre la période que la tradition de l’école continue à désigner sous le nom de moyen âge. Cette économie n’est pas du tout, comme on le suppose parfois, une économie primitive, mais une économie de régression ou, si l’on veut, de décadence. Son caractère le plus frappant, la disparition générale de la circulation et, avec elle, l’extinction du commerce et de l’industrie — ne s’explique pas par une cause interne, mais par la catastrophe extérieure qui a fermé la mer. On peut prouver jusqu’à l’évidence que l’interruption de la navigation méditerranéenne par l’invasion islamique a provoqué par voie de conséquence l’extinction de la vie urbaine, la disparition de la classe marchande qui l’entretenait et enfin la substitution à l’économie d’échange, qui avait fonctionné jusqu’alors, d’une économie uniquement appliquée

  1. H. Pirenne, Le commerce du papyrus dans la Gaule mérovingienne (Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions, 1928, p. 178 et suiv.).
  2. Cf. plus haut, p. 16, n. 3.